Paroles de la chanson :
C'est
la java de Benoît,
Cell'
qui fait peur aux bourgeois ;
C'est
la java de Broutchoux,
Cell'
qui fait table ras' de tout.
Broutchoux
était un prolo
Qu'aimait
pas les socialos ;
C'est
un cochon d'anarchisse,
Affirmait
Basly-la-jaunisse.
Les
élus sont des vendus,
Les
baslycots des lav'dus,
Rétorquait
Benoît Broutchoux,
Les
réformiss's sont bien trop mous.
La
catastrophe de Courrières
Fit
mill' morts et des poussières,
Pour
les patrons la fortune,
Pour
les mineurs la foss' commune.
Dans
le Comité de grève,
Broutchoux
s' bagarrait sans trêve ;
Les
pandores l'ont alpagué
Et
pour deux mois l'ont hébergé. |
Benoît
détestait les flics ;
Pour
caus' de désordr' public,
La
villa des mill' barreaux
Devint
vit' sa maison d' repos.
Brûler
l'dur, c'est croquignol ;
Faut
pas aimer les contrôles,
A
part celui des naissances :
Pas
d' chair à canons pour la France !
Dans
ses canards syndicaux,
Pour
se marrer, notre poteau,
Narrait
des histoires de cul :
La
lutt' des classes a ses cocus.
Viv'
l'éducation sexuelle,
Les
ratichons au bordel,
Plus
d' patrie, moins de travail,
A
bas la troupe et la mitraille !
Tous
les bons bougres de ch' Nord,
De
Lille à Douai s' remémorent
Sa
gouaille et tous ses combats
Et
chantent la java de Benoît. |
NOTE INSEREE PAR
LES EDITEURS DANS LA RE-EDITION
DE 1993 A L'OCCASION DE LA SORTIE DU FILM "GERMINAL"
A
la réédition des "Aventures épatantes et véridiques de Benoît
Broutchoux", nous avions mille et une raisons. Laissons de côté les
mille et donnons-en une.
Depuis
quelque temps s'étendent sur les murs des rues et routes du Nord
Pas-de-Calais d'étranges affiches. Des hommes à l'air sombre et
mécontent, arborant un maquillage que l'on croyait définitivement tombé
en désuétude dans la région, cheminent avec détermination vers quelque
mauvaise action. L'homme du commun, lecteur de revue et spectateur de
son poste de télévision, comprend vite qu'il est là question d'un des
derniers avatars cinématographiques de "Germinal" [note
du claviste : version de Claude Berri sortie en septembre 1993].
Il se rappelle qu'on
en a fait grand cas dans la presse régionale (gros budget, grosses
vedettes, grosse figuration) et qu'anciens mineurs et nouveaux chômeurs
revêtirent l'habit d'obscurité des ancêtres dans ce triste simulacre.
Il apprendra aussi que le Conseil régional du Nord Pas-de-Calais a
voulu en racheter les
décors à grand prix. La destruction (peu de temps auparavant et pour
d'obscures affaires immobilières) de l'estaminet lillois où fut créée
et chantée pour la première fois l'Internationale ne mobilisa pas tant
d'énergie.
Vivant
au "pays de Germinal", comme se plaisent encore à baptiser la région
nombre de journalistes manquant d'imagination, le roman de Zola nous
connaissons. Ce fut souvent le premier livre étudié en classe sous la
direction de professeurs soucieux de faire connaître la condition
ouvrière aux fils d'ouvriers. C'est ainsi que riches d'une lecture
superficielle du roman et d'une imagerie du mineur mythifié (pour être
encore plus souvent mystifié par les bons soins d'un PCF triomphant),
nous finissions par trouver au parent ou voisin s'adonnant aux joies de
la "fosse", l'air inquiétant du rédempteur social et du vengeur du
prolétariat. Aujourd'hui, on ne peut relire cet admirateur de Fourier
qu'était Zola sans une grande imitation.
Des
classes laborieuses et dangereuses, Zola s'en était déjà occupé dans un
précédent ouvrage, "L'Assommoir". Alors que les souvenirs de la
"Commune"
donnaient encore quelques suées fort salutaires aux nantis, il nous
compose un roman dans le style "salauds de pauvres", style qui fera
longtemps la fortune de toute une littérature droitière. II n'y a pas
d'autre coupable à cette vie de miséreux que la fatalité héréditaire et
l'alambic diabolique, nous démontre-t-il en sociologue inspiré. Le
livre connut un grand succès, ce qui permettra à Zola d'élever quelques
tours supplémentaires à son manoir de Medan. Quelques ingrats, venus
des milieux révolutionnaires, n'ayant aucune reconnaissance pour le
grand écrivain qui fit entrer le prolétariat au Panthéon de la grande
littérature, l'accusèrent néanmoins d'avoir commis une mauvaise action.
Après
quelques épisodes de son feuilleton, il revient à ses pauvres et
entreprend "Germinal", livre ô combien ambitieux. II le déclare lui
même: « Le roman posera
la question la plus importante du siècle, la
lutte du Capital et du Travail ». L'homme se documente,
se procure un
grand nombre d'ouvrages, au style austère et rébarbatif, de théoriciens
barbus et mauvais coucheurs. Il visitera les corons et descendra dans
la mine. Y a-t-il "fait sa gaillette", comme tout bon président de la
III° République ? La chose reste mystérieuse...
Que
nous conte donc ce livre ? Nous nous abstiendrons de toute critique
quant à sa valeur artistique ou documentaire, ceci n'étant pas notre
profession, Zola étant lui-même un grand professionnel et n'ayant quant
à nous que sympathie pour les bons travailleurs!
"Germinal"
fut écrit en 1885, probablement sous l'influence des événements de
Montceau-les-Mines, tant on y trouve d'analogies. Zola nous y fait le
récit d'une grande grève sur un ton épique et souvent pathétique, tout
en y faisant preuve (le brave homme !) d'apitoiement et de compassion
pour ce peuple miséreux. Après quelques gammes naturalistes qui ne
choquèrent que les bigots de son temps, il y campe les trois grands
courants qui ont traversé à l'époque le mouvement ouvrier : le
réformiste possibiliste Rasseneur, "l'anarchiste" Souvarine et
l'internationaliste Pluchart. Quant à Étienne Lantier, héros du récit,
personnage voulu versatile et dont l'ambition nous sera révélée peu à
peu, il se trouve influencé successivement par les trois mauvais
larrons.
Et
voyons d'abord Rasseneur qui figure le réformiste et emprunte beaucoup
à Émile Basly que Zola rencontra durant son périple dans le bassin
minier. « Cabaretier,
ancien meneur licencié, sa maison prospérait; il
s'enrichissait des colères qu'il avait peu à peu soufflées ».
Jouant
volontiers au pompier, s'opposant au durcissement du conflit et
sabotant la réunion avec le délégué de l'Internationale, il jalouse
Étienne pour sa fonction de leader du peuple mineur.
Autre
figure, Souvarine "l'anarchiste", personnage à la pensée et au regard
froids, plus noir que son fanion, s'attendrissant plus volontiers sur
une lapine que sur le genre humain. Apologiste et finalement praticien
de la propagande par le fait, Souvarine pour qui « le brigand est le
vrai héros, le vengeur populaire, le révolutionnaire en action
»
(Zola), n'a que mépris pour ce prolétariat qui n'est pas digne de sa
grande mission historique (il ne quittera jamais son poste de travail
pendant la grève). Il n'a de dévotion que pour une espèce de Dieu
machiavélique et ténébreux (Bakounine !) dont il attend religieusement
la prise de direction du mouvement international, prélude à
l'apocalypse !! Personnage fort caricatural et dont l'ironie de
l'Histoire voudra qu'Émile Henry s'en revendique explicitement.
Ajoutons que Souvarine deviendra et cela jusqu'à nos jours, l'archétype
de l'anarchiste dans le folklore national...
Enfin
Pluchart, l'ancien ouvrier représentant de l'Internationale, le
camériste du monde ouvrier, singeant le bourgeois, se déplaçant en
voiture, ne cherchant qu'à placer son fond de commerce. Sa seule
préoccupation est de vendre ses cartes d'adhésion et de quitter les
lieux des futurs affrontements afin de poursuivre sa carrière politique
parisienne.
On
pourrait penser à propos de Zola : voilà l'homme de génie, précurseur
de Makhaïski et de la critique libertaire ! Ne nous fait-il pas sentir
à propos d'Étienne: « C'était
un sentiment de supériorité qui le
mettait à part de ses camarades, une exaltation de sa personne à mesure
qu'il s'instruisait », et plus loin : « Il éprouvait cette répugnance,
ce malaise de l'ouvrier sorti de sa classe, affiné par l'étude,
travaillé par l'ambition ». Ne nous y trompons pas. Pour
Zola, c'est le
communisme qui est le vol, non la propriété ! Les grévistes en marche
évoquent pour lui « la
vision rouge de la révolution qui les
emporterait tous fatalement, par une soirée sanglante de cette fin de
siècle. Oui, un soir, le peuple lâché, débridé, galoperait ainsi sur
les chemins ; et il ruissellerait du sang des bourgeois, il promènerait
des têtes, il sèmerait l'or des coffres éventrés. Les femmes
hurleraient, les hommes auraient des mâchoires de loups, ouvertes pour
mordre (...), la même cohue effroyable de peau sale, d'haleine
empestée, balayant le vieux monde, sous leur poussée de barbares. Des
incendies flamberaient, on ne laisserait pas debout une pierre des
villes ». Le comble est atteint quand il montre les
femmes « toutes
sanglantes dans le reflet d'incendie, suantes et échevelées de cette
cuisine de sabbat » ou encore « agitées d'une fureur meurtrière,
les
dents et les ongles dehors, aboyant comme des chiennes ».
Ces images
sont celles de l'opposant farouche à la "Commune" quinze ans plus tôt ;
de celui pour qui les barbares furent ceux qui détruisirent la colonne
Vendôme et les Tuileries, et non ceux qui massacrèrent plus de 30 000
communards. Pour celui que les Alpes séparaient de Maurice Barrès (ce
qui nous le rendrait plutôt sympathique), le bon ouvrier reste le
Versaillais qu'il nous décrit dans "La Débâcle" : « La calme figure de
paysan illettré, son respect de la propriété et son besoin d'ordre, le
paysan sage désireux de paix pour que l'on recommençât à travailler, à
gagner, l'âme même de la France, la vieille raison française,
l'épargne, le travail ».
S'il
y eut bien un Rasseneur et un Lantier dans le pays minier, les deux
figures sont fortement inspirées d'Émile Basly. De Souvarine, il n'y
eut point ! Un attentat fut bien commis en 1895 contre la personne
d'Émile Vuillemin, mais qui de l'anarchiste ou de l'ouvrier licencié
tira sur le directeur des mines d'Aniche ? Par contre, il y eut un
Broutchoux et d'autres qui luttèrent pour un syndicalisme réellement
révolutionnaire...
Pour
les éditeurs,
Joao-Manuel
Gama, septembre 1993.
LIENS SUR BENOIT BROUTCHOUX SUR CE SITE :
Syndicalisme
et langues
régionales
Article
paru dans le bulletin régional de la CNT
Broutchoux... et marchons sur la
tête des rois !
Spectacle
du Théâtre K.