3 janvier 2014

Lutter… ici et maintenant !

« Lutter… ici et maintenant ! » est un documentaire de 60 minutes réalisé en 2013 par Philippe Roizès et coproduit par LCP-Assemblée nationale & KUIV Productions.

Résumé extrait du site officiel du documentaire :

Quel est le dénominateur commun entre les occupations de logements vides, les mouvements de chômeurs et de précaires, les débordements des mouvements étudiants et la mobilisation contre un projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes ? Toutes ces actions, aussi différentes soient-elles, se confondent avec des modes de vie et s’inscrivent dans l’autonomie des luttes : s’organiser sans leader ni parti, en considérant que les pratiques illégales constituent une expression politique à part entière. Dans l’histoire moderne, ce principe existe et s’exprime concrètement depuis la fin des années 60 au sein d’une constellation informelle et hétérogène, minoritaire et souterraine, qu’on appelle parfois la mouvance autonome.

Note du secteur vidéo CNT :

La CNT a des points de convergence avec le mouvement présenté dans ce documentaire mais elle a aussi des approches différentes, voire des désaccords. Pour y voir plus clair, vous trouverez ci-dessous * quelques extraits d’une brochure éditée en 2003 par notre confédération syndicale. Ces textes présentent la position de la CNT concernant l’autonomie, l’illégalisme et la violence.

 * Extraits de la brochure « La CNT ? Quelques réponses à des questions que se posent de nouveaux adhérents et aussi quelques mises au point à l’usage de ceux qui croient nous connaître » (3e édition – mai 2003) :

1) L’autonomie ouvrière, c’est quoi ?

Si l’expression d’autonomie ouvrière a connu son heure de gloire dans les années 70, la réalité qu’elle recouvre est plus ancienne. Les syndicats de la CNT s’y réfèrent dans le sens où l’autonomie ouvrière signifie l’organisation libre, indépendante et autonome des exploités. Tu auras reconnu bien sûr la devise de la première internationale « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ». Pour la CNT, si la classe des exploités ne doit rien à personne, elle ne doit pas non plus attendre quoi que ce soit de l’Etat, de ses institutions ou rouages, y compris des élections, du patronat, des organisations politiques ou des intellectuels qui parlent soi-disant au nom de tous. Puisque personne ne travaille à ta place, que personne ne décide pour toi, que personne ne parle pour toi. L’intégration du syndicalisme aidant, on a voulu faire passer « l’autonomie » pour un mouvement a-syndical ou même antisyndical, c’est à l’opposé de tout ce qui a constitué l’autonomie ouvrière à ses origines, et même dans son renouveau dans l’Italie des années 70. Explicite est alors aujourd’hui l’abandon de l’adjectif « ouvrière » entérinant une dérive de l’autonomie, celle du repli sur des militants « purs et durs », dénonçant toute forme d’organisation permanente… On est plus près de l’autarcie que de l’autonomie. Pour la CNT, l’autonomie ne se conçoit qu’ancrée dans les quartiers, les lieux de travail. Elle n’a de valeur que si elle est en contact continu avec la population, s’organisant de façon temporaire ou permanente dans et avec le syndicat. Que cette auto-organisation prenne une forme violente ou pas est annexe comme nous le verrons (cf. le paragraphe n°3 ci-dessous), l’essentiel pour nous est qu’elle soit démocratique et qu’elle redonne aux individus la volonté de lutter collectivement, dans un esprit de solidarité et non d’assistanat.

2) La CNT, un syndicat illégaliste ?

Les lois et particulièrement les lois dites « sociales » ne sont qu’une réglementation des rapports sociaux à un moment donné. Une photographie d’un rapport de force actuel dans la lutte des classes. Les lois évoluent au fur et à mesure et au gré du poids des forces antagonistes en présence. Quand le patronat et ses alliés sont forts, des lois antisociales sont votées. Quand le mouvement social a su se mobiliser pour faire valoir ses intérêts, la loi ne vient alors qu’enregistrer un droit que ce mouvement social a, en fait, imposé. La lutte contre une loi, la pratique de l’illégalité, peuvent donc être une nécessité pour faire avancer les droits du plus grand nombre. Les anarcho-syndicalistes ne sont d’ailleurs pas les seuls à avoir choisi, en certaines circonstances, de lutter contre une loi ou de la transgresser. De la désobéissance civile prônée par Gandhi en Inde à la résistance « illégale » pratiquée pendant les années noires de l’État français, des réquisitions de logements vides à la revendication publique d’avoir avorté quand c’était encore un délit, les exemples sont nombreux d’actions illégales, mais combien légitimes, qui ont conduit à des libérations. Erigée en simple principe absolu, vide de sens, en dehors de tout contexte, la lutte contre les lois pour elle-même, comme fin en soi, n’a pas d’intérêt pour nous anarcho-syndicalistes. Encore une fois, ceux qui ne veulent voir dans la CNT qu’une organisation « d’illégalistes » feraient mieux de constater que la plus grande partie de notre activité syndicale quotidienne consiste à essayer de faire respecter des lois, notamment les lois du travail et que l’on verra plus certainement les syndicalistes révolutionnaires plongés dans le « Code du Travail » dont ils connaissent aussi les limites que dans un quelconque bréviaire « anarchiste » fantasmatique.

3) La CNT, un syndicat violent ? La CNT, un syndicat non-violent ?

La CNT organise les travailleurs victimes de l’extrême violence des rapports économiques et sociaux générée par la société capitaliste. Les premières violences, la véritable insécurité ce sont l’exploitation, le licenciement, le chômage, la précarité, la misère, la faim, la perte du logement.., bref le quotidien de millions d’entre nous. Quand, dans l’Histoire, ceux qui étaient asservis se sont dressés pour se faire respecter, pour faire valoir leurs droits, ils ont eu à faire non à des interlocuteurs bienveillants, des « hommes de dialogue » mais à des forces de répression. C’est bien plus souvent la matraque (ou le fusil) qui sert d’argument aux classes possédantes. La réplique violente et collective à la répression, à l’asservissement, est bien évidemment légitime. C’est même un réflexe naturel, à moins de prôner le masochisme ou la soumission comme forme de réponse à la violence étatique ou patronale. On peut feindre de le regretter, on peut faire semblant de l’ignorer, mais si les serfs d’autrefois s’étaient contentés de chanter des Carmagnoles, nous vivrions sans doute encore sous le règne de la féodalité. L’utilisation de la violence par les exploités n’est donc pas un choix moral fait par des individus en dehors de tout contexte économique ou politique, c’est souvent la réponse imposée par l’intransigeance des exploiteurs. Ce recours obligé à la violence n’a rien à voir avec le terrorisme, qui n’est que l’utilisation individuelle, aveugle, d’actions violentes au service des intérêts ou des délires politiques de groupuscules qui s’autoproclament révolutionnaires ou d’avant garde. Pour autant, l’amalgame entre actions violentes et actions terroristes, est depuis toujours une spécialité des médias quand ils sont au service des forces réactionnaires. A en lire la presse française des années 40 à 44, l’histoire de la Résistance n’est que la litanie des actions violentes menées par ceux que le pouvoir qualifiait alors de « terroristes ». La CNT, on l’aura compris, n’est ni « violente » ni « non-violente », Elle tente d’organiser les travailleurs pour leur émancipation, elle n’a donc pas pour projet de les désarmer face à des adversaires qui n’ont, eux, aucun scrupule pour les réprimer. Elle n’est évidemment pas non plus le réceptacle naturel de tous ceux pour qui l’usage des armes ou de la violence tient lieu de réflexion et de pratique émancipatrice. Pour ce qui est des actions menées par la CNT, nos détracteurs feraient bien de comparer la nature des actions menées par des groupements d’agriculteurs, d’artisans ou de commerçants ou simplement par des ouvriers de telle corporation, à celles dans lesquelles nos syndicats se sont impliquées que l’on pourrait alors qualifier, en rapport, de paisibles.

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