8 octobre 2012

Critique du film « Avoir 20 ans dans les Aurès »

Rene-Vautier-Avoir-20-ans-dans-les-AuresAvoir 20 ans dans les Aurès, film de René Vautier, reconnu aujourd’hui comme un témoignage historique d’importance sur la Guerre d’Algérie, ressort en salle, 40 ans après son tournage et sa diffusion, en 1972. C’est l’occasion pour Le Combat syndicaliste de diriger son projecteur sur ce film majeur de l’antimilitarisme.

De quoi s’agit-il ? En 1961, un groupe de copains, 20 ans, que l’on imagine aisément pré beatniks, surnommé « le commando des cheveux longs », bretons de surcroît (!), est appelé sous les drapeaux et envoyé en Algérie. Refusant l’imbécillité de l’armée, des ordres et de la guerre, ils sont isolés dans un camp, au milieu du désert, pour éviter que leurs attitudes ne contaminent le reste des troupes. Seulement, en temps de guerre, pas question de laisser de la chair à canon se la couler douce. L’armée envoie donc un lieutenant, vétéran de l’Indochine, prendre en main le groupe.

Emmené sur une zone de conflits, c’est la découverte du « feu », l’emballement. Puis vient l’attente d’une évacuation par hélicoptère, doublée du flottement suscité par l’épisode du Putsch des Généraux, occasion d’un huis clos, de discussions de groupe comme de retours sur soi-même. Puis c’est le rapatriement au camp, le retour à une « certaine civilisation », celle de l’armée, de la hiérarchie, des ordres et de la boucherie.

Il s’agit d’un film psychologique, il s’agit d’un film sur les appelés, il s’agit d’un film sur la dynamique de groupe, au cœur d’un de ses plus puissants révélateurs : la barbarie de la violence.

René Vautier, militant communiste, particulièrement engagé dans les luttes pour la décolonisation (comme bon nombre de militants communistes alors que le parti, lui, après avoir longuement soutenu la colonisation, ne se rangera à cet avis que très tardivement), avait, déjà dans les années 50 et 60, gagné une solide réputation de documentariste de talent et de combat. Films interdits par la censure et condamnation à la prison jalonnent son parcours de cinéaste. Avoir 20 ans dans les Aurès, qui est une fiction, lui vaudra, notamment, d’être reconnu, aujourd’hui, comme l’un des grands réalisateurs français. Ce film a été tourné à la suite d’un impressionnant travail d’enquête comptabilisant pas moins de 800 heures de témoignages de 600 appelés ou rappelés dans l’armée française en Algérie. Ce travail lui permet d’affirmer que « la véracité de chaque scène de ce film peut être certifiée par un minimum de 5 témoins » ou quand la fiction dit et montre avec plus de force la réalité.

Ressortir ce film 40 ans après sa première diffusion et 50 ans après l’indépendance de l’Algérie a un intérêt historique certain, notamment après la fin du service militaire en France en 2001 (bien que l’obligatoire JAPD soit par bien des aspects toujours un endoctrinement militaire, mais c’est une autre histoire). Ce film a également un autre double intérêt : la dynamique de groupe et l’antimilitarisme.

Est-il besoin de s’étendre sur le premier aspect ? Un groupe de militants, un service d’ordre, un syndicat, une section syndicale, tout cela entraîne une dynamique. Ce film nous rappelle à quel point les événements peuvent modifier la vision que nous avons individuellement et en tant que groupe de ce qui nous entoure et des réponses à y apporter. Avoir 20 ans dans les Aurès est donc la narration d’une expérience qui devrait enrichir la réflexion de chacun quant a son propre comportement et au comportement du groupe auquel il adhère. Ce retour sur soi, sur nous, est toujours utile lorsque l’on prétend, notamment au sein de la CNT, construire dès à présent une nouvelle manière de vivre.

Le second aspect est l’antimilitarisme. L’intérêt des personnages de René Vautier est qu’ils ne se revendiquent pas d’une idéologie définie. Ils sont jeunes, ils ne veulent de mal à personne a priori, s’intéressent à la Bretagne et n’ont rien à voir avec l’Algérie. Ils agissent par bon sens et refus de la barbarie et non sous l’égide d’une doctrine. Le personnage Nono est celui qui va résister jusqu’au bout à l’embrigadement et à l’appel de la violence, mais de quoi est faite sa résistance ? Antimilitarisme, pacifisme, désobéissance ? Peut-être d’un peu tout cela. Il y a 17 ans, un des « papis espagnols de la rue des Vignoles », dont je ne citerais pas le nom puisqu’il n’est plus là pour me contredire, m’a livré cette phrase : « Le pacifisme n’a de sens que sous les balles ». Avoir 20 ans dans les Aurès pose la question, appelle à réflexion.

Si ce film est militant, si ce film doit être pour les militants, appelant à nous interroger sur nos pratiques et enrichissant nos réflexions, il est aussi un film tout public. Le ressortir en salles a donc son sens aujourd’hui et s’inscrit dans l’actualité, même si la numérisation et la restauration n’apportent, à mon sens, strictement rien, peut-être même abîmant un peu plus la bande son, les dialogues étant parfois, et malheureusement, peu audibles. À l’heure où un film comme Les Enfants de Belle Ville, d’Asghar Farhadi, réalisé en 2004 et diffusé en 2012, présente l’aberration de la loi du Talion (Iran), il est bon de l’enrichir par le film de Vautier qui met en exergue l’identique doctrine « œil pour œil, dent pour dent ». Comme quoi la barbarie n’est pas que là-bas, elle est aussi ici, en nous. Avoir 20 ans dans les Aurès est également intéressant à rapprocher de Punishment Park (1970, États-Unis) de Peter Watkins, et de la psychologie de groupe qu’il interroge. Le traitement de pellicule et les mêmes dominances de couleur se retrouvent d’ailleurs dans les deux films. Enfin, pour la manière de filmer, la position du réalisateur et les mouvements de caméra, à mi-chemin entre documentaire de terrain et fiction, on se rappellera les films de Raymond Depardon tournés au Tchad dans cette même période et à l’esthétique incroyablement proche.

Saluons le travail de la coopérative DHR pour cette excellente sortie en salle, guettez sur leur site les séances, programmez-le dans vos locaux et espérons une prochaine diffusion DVD.

Texte d’Alexandre Chenet (SIPM-RP)
publié dans Le Combat Syndicaliste d’octobre 2012

Avoir 20 ans dans les Aurès, scénario et réalisation de René Vautier avec, notamment, Alexandre Arcady, Hamid Djellouli, Philippe Léotard, Jacques Cancelier
et Jean-Michel Ribes, 96 min, distribution : DHR.

Et pour rappel, la bande dessinée chroniquée dans Le Combat Syndicaliste fin 2006, autour d’un film disparu de René Vautier, Un homme est mort de Kris et Étienne Davodeau.

Citations :

Général Jacques Pâris de la Bollardière : « Quant aux jeunes du contingent, dont on parle très peu, ils mettront longtemps à se remettre de cette guerre. Il m’arrive tous les jours d’en rencontrer, qui m’avouent avoir gardé un tenace et horrible souvenir de ce qu’on les a contraint de faire. »

Dialogue : « L’Indochine, c’est lui, là-haut, au ciel, qui l’a faite,
mais le 7e jour, au lieu de prendre du repos, il a fait l’Algérie. »

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