« Je me suis dit : là ça y est, je vais mourir ! »

Interview de Sami-20/05/2020

PARTIE I.

Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Sami Feyte, j’ai 22 ans et je suis en apprentissage BTS enveloppe du bâtiment depuis septembre 2019. J’alterne 3 semaines au CFA de Blanquefort et 3 semaines en entreprise chez Solrenov’.

Pourquoi as-tu choisi le bâtiment ?

J’ai eu mon bac à 18 ans, je n’avais pas un super dossier et n’ai pas été accepté en BTS. J’ai donc été à la fac mais j’ai vite arrêté. J’ai commencé à faire des petits boulots, ça m’a vite saoulé d’être mal payé et de faire des tâches pas intéressantes. J’avais envie alors de reprendre les études.

A l’école j’étais doué, et là je me rendais compte que je gâchais un truc. Je voyais des potes plus âgés qui faisaient ce genre de boulot, qui n’avaient pas vraiment le choix. Et moi j’avais le choix d’être là ou pas. Ils m’ont poussé un peu à partir.

Dans mon dernier boulot j’étais en intérim au chantier naval de Bordeaux et mon chef m’a fait faire des tâches plus intéressantes, m’a donné des responsabilités et je kiffais ça. J’avais oublié ce que c’était de faire un truc intéressant. J’ai donc décidé de chercher un contrat d’apprentissage dans le bâtiment, car il y a du boulot. Moi j’aimais bien gérer les choses, mais pas forcément donner des ordres… je me suis dit qu’être Chef de chantier ou Conduc’ de travaux pouvait me plaire. Je cherchais LE truc parfait mais je ne me lançais pas, j’avais peur de me tromper. Mais il me fallait un boulot donc je me suis lancé, quitte à devoir changer dans 10 ans.

Comment as-tu vécu tes premiers mois d’ apprentissage sur le chantier ?

Dès le début j’ai senti que c’était foireux. Le premier jour d’embauche personne ne savait qui j’étais et je ne connaissais personne, pourtant je m’étais entretenu avec l’entreprise quelques mois avant. Je pensais qu’à mon arrivée on me présenterait les salariés, les équipes…On ne m’a pas fourni d’habits de travail ni d’équipement de protection et finalement un ouvrier se renseigne et je pars travailler avec lui. Heureusement on s’est bien entendus.

Donc sur le chantier ça se passait plutôt bien ?

Oui, lorsque j’ai rencontré le patron pour la première fois, au bout de 3 minutes d’entretien il m’a dit : « c’est bon je te prends ». Moi j’y croyais pas, je galérais depuis des mois à trouver un patron, j’étais content, j’ai sauté sur l’occasion ! On a convenu d’un an de chantier et d’un an de bureau.

Ensuite, on intervenait sur de petits chantiers suite à des sinistres, la sécurité était limitée. Ils duraient un jour, voire une semaine mais pas plus. Ca ne me plaisait pas, mais comme je voulais mon diplôme j’étais prêt à bosser sur le chantier, j’étais conscient qu’il fallait en passer par là.

Connais tu tes droits en matière de sécurité ?

Un peu, je ne voyais pas forcément l’importance de me protéger, jusqu’à ce que quelque chose de lourd tombe sur mon pied et heureusement, j’avais mes chaussures de sécurité. C’est comme ça que j’ai découvert la sécurité. Sur les chantiers je savais que c’était dangereux, beaucoup de décès. On ma prêté une fois des lunettes de protection lorsque j’ai utilisé le marteau-piqueur, mais pas de casque antibruit.

Je me souviens du premier chantier où j’ai eu peur, on posait des panneaux sandwich à dix/quinze mètres de haut à l’aide d’une nacelle, on nous a fait enlever les filets de sécurité avant d’intervenir, à cette hauteur je n’étais pas serein, j’ai commencé à flipper car il suffisait d’un faux pas pour passer au travers. D’ailleurs, le conduc’ a failli tomber, je me suis dit “là c’est chaud”, j’ai décidé d’en parler à mes parents et au CFA.

Le CFA a réagi comment ? Ont-ils remonté l’info ?

Les profs m’ont dit de faire attention mais ils n’ont pas fait remonter l’info. Je ne voulais pas trop en parler de peur de passer pour une “victime qui se plaint du travail trop dur”… Mais il y avait un prof, ancien conduc’ chez Bouygues, qui m’a dit d’en parler à mes supérieurs, que c’était à moi de le faire.

As-tu déjà entendu parler de ton droit de retrait ?

Oui bien-sûr mais c’est dur de l’utiliser, je suis nouveau, je dois me faire bien voir, je ne peux pas rester toute la journée dans le camion à rien faire. Un jour j’ai demandé à rester en bas pour découper des panneaux de toiture car on n’avait ni harnais ni filets pour démonter la couverture et le grand vide me faisait vraiment peur.

As tu parlé à ton collègue de tout ça ?

Oui et mon collègue a fait remarquer les problèmes sur la sécurité dans la boîte, mais ça n’a rien changé. J’avais conscience que c’était compliqué pour lui car il était nouveau tout comme moi et espérait une promotion. On prenait des risques, lui avait des enfants en plus. Le pire c’est qu’il n’était même pas couvreur de formation. L’entreprise nous a envoyé en formation sécurité au CFA, la seule qu’on a eue, mais cela n’a jamais été appliqué sur le chantier. J’ai eu l’impression que l’entreprise voulait surtout se protéger en cas d’accident en faisant ça.

As-tu déjà vécu des accidents de travail ?

Oui, l’accident était sur une toiture à Biscarosse, la charpente avait brûlé. On posait des bacs acier pour mettre hors d’eau la maison. On travaillait à environ 10mètres de haut sans harnais, sans filets, ni de gardes-corps. Je suis tombé un matin, je faisais moins attention qu’au début car j’avais un peu plus confiance en moi. Le conduc’ nous faisait comprendre qu’il fallait terminer vite, il nous a dit d’êtres vigilants pour ne pas marcher sur les pointes qui ressortaient des bois au sol… C’était ça pour lui le plus important pour la sécurité ! Ce jour-là, j’étais au faîtage (endroit le plus haut sur la toiture) et je coupais des cales en bois à la tronçonneuse. C’était la fin du chantier, je marchais sur les bacs acier qui étaient déjà posés. Là, je trébuche et me retrouve sur les fesses et je glisse comme sur un toboggan. J’arrive au milieu du toit, j’ai pris de la vitesse, je me rends compte que je n’ai rien pour me rattraper, je me rapproche du vide, tout va très vite, je sais qu’il y a des petits balcons en dessous mais je n’y pense pas sur le moment. Donc je me rapproche du vide, je me suis dit

“là ça y est je vais mourir, vraiment”.

J’étais d’accord avec le fait que j’allais sûrement mourir. Je ne me vois pas tomber, mais mon pied tape la rembarde du balcon et j’attéris à l’intérieur de celui-ci.

Et là je me suis dit « putain je suis sur le balcon » !!!

Mon collègue arrive, lui aussi a eu peur, me demande si je veux aller a l’hôpital, il insiste, je lui dit que ça va mais je passe le reste de la journée dans le camion, sous le choc, pendant que les autres continuent de travailler.

J’ai appris plus tard qu’il est obligatoire d’appeler une ambulance car il peut y avoir des dégâts que tu ne vois pas. Le lendemain je suis allé chez le médecin car j’avais des douleurs aux genoux, au dos, et était en état de choc. Déjà que je n’aimais pas cette boîte, je me suis dit « il faut que je parte de là ». Parfois on se dit que ça n’arrive qu’aux Autres parce qu’ils ne font pas gaffe etc.. mais là ça m’est arrivé à MOI et j’ai vraiment été chanceux ! Si je reste là c’est possible que je retombe, y’a de vrais risques.

J’ai été arrêté deux semaines… pour finalement ne jamais reprendre.

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