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Wilfrid

Médias et contre-sommets... une information orientée

Paru dans Un autre futur n° 1

lundi 7 juillet 2003

Lors des contre-sommets de Göteborg comme de Gênes, le discours des médias s’est très nettement articulé sur le discours politique...

Médias et contre-sommets : une information orientée

Médias et contre-sommets : une information orientée

Lors de Göteborg comme lors de Gênes, le discours des médias s'est très nettement articulé sur le discours politique. Nous ne nous intéresserons ici qu'aux médias institutionnels dits " de gauche " puisqu'ils devraient a priori être les plus sensibles aux aspirations diverses des " antimondialisation ".

C'est un lieu commun de récuser la prétendu objectivité revendiquée par certain médias. Nous allons examiner, grâce au traitement par les médias des événements de Göteborg, la manière dont se construit une information "objective". En fait, on peut observer que trois méthodes sont utilisées dans leur traitement de la contestation. D'une part, ils mentent délibérément sur certains points. Ensuite, ils sélectionnent soigneusement l'information retransmise et sa distribution. Enfin, ils tentent de briser l'unité de la mobilisation en essayant de décrédibiliser les manifestants les plus radicaux. Cette dernière option n'étant rien d'autre que la retransmission du discours officiel. Tout cela aboutissant naturellement à une simplification idéologiquement orientée de l'information.

Radio-Paris ment

Pour ce qui est du mensonge, c'est-à-dire la relation de faits manifestement faux, Göteborg nous en fournit deux exemples flagrants. Libération, tout d'abord, dans son édition du 18/06/2001, qui illustre sa Une d'une photo montrant des chaises brûlant au premier plan, derrière laquelle on peut voir des manifestants masqués. La légende est " Une barricade dressée vendredi à Göteborg (Suède), où se tenait le sommet européen. " Or, cette même photo, mais non recadrée, montrant une vue d'ensemble de la scène, est passée dans la presse suédoise . Et cette photo montre qu'en fait la barricade est un tas de chaises qui brûle au milieu des manifestants. Ceux qui étaient à Göteborg savent que pas une barricade n'a été élevée durant le sommet, et que les multiples barricades sous-entendues par l'emploi de l'indéfini " une " dans la légende de Libération est un pur mensonge.

Autres mensonges, ceux du quotidien Le Monde . Le Monde parle dans ses éditions durant le sommet européen, d'" un centre-ville dévasté ", " des "casseurs" ont transformé en champ de bataille le port suédois de Göteborg " . Göteborg est une grande ville, la deuxième de Suède, les émeutes, lorsque Le Monde a employé ce terme, n'avaient concerné qu'une rue dont une vingtaine de vitrines (essentiellement des fast-foods et des banques) avaient été abattues, un tas de chaises en feu, quelques mètres carrés dépavés. Quant à l'émeute suivante, ce même vendredi dans la soirée, le bilan est comparable, auquel il faut rajouter trois véhicules d'un cortège officiel (dont une voiture de police) endommagés. Le Monde ment encore lorsqu'il relate le déroulement de la manif en matinée : Selon un article paru dans ses colonnes les forces de l'ordre seraient intervenues après que des casseurs aient commencé leur vandalisme. Or, ce sont les forces de l'ordre qui ont attaqué un cortège pacifique de manifestants en envoyant les chevaux, avec une violence terrible pour les militants sociaux-démocrates (!) situés en tête, devant les Afa (antifascistes). Et c'est suite à cette agression que quelques centaines de militants, révoltés et pourchassés par les policiers accompagnés de chiens et de chevaux, s'en sont pris aux vitrines de banques et de fast-foods. Evidemment, cette version rend l'intervention "légitime" des "forces de l'ordre" plus difficile à justifier.

Comment ces mensonges peuvent-ils être justifiés ? Erreurs de journalistes ? Sensationnalisme privilégié ? Professionalisme douteux ? Nous ne parlons pas ici de journaux de seconde zone, du JDD, du Nouveau détective. Nous parlons de deux journaux, et le Monde en particulier, qui se veulent, se disent, " sérieux ", qui sont censés traiter " sérieusement " l'information. Et qui sont pris la main dans le sac en flagrant délit de mensonge. C'est toute la crédibilité de cette presse qui est mise en cause.

7000 invisibles

Pour ce qui est de la sélection de l'information, un journal télévisé d'Arte lors de Göteborg était à cet égard particulièrement significatif . Sur 4min10 consacrées à Göteborg, il y eut, dans l'ordre : 35 secondes pour présenter les policiers, leur travail de maintien de l'ordre, la protection de la population (images en dehors des affrontements) ; 45 s. pour présenter un groupe de 250 vieillards, dont des élus européens, venus demander " plus d'Europe ", 1 min. 19 consacrés au sommet lui-même et à tout ce qui avait été obtenu (!) ; 8 s. aux manifestants, uniquement présentés comme des violents cagoulés ; 1 min. 08 de commentaire expliquant que la violence est inadmissible et que le problème tient surtout dans l'incompréhension mutuelle entre sommet et peuple, un manque de communication, mais que tout ce qui est décidé est vraiment très bien.

Le lendemain de la mort d'un manifestant, après de multiples exactions policières que d'autres journaux ont laissé deviner, le soir d'une manifestation réunissant 20000 personnes dont une moitié de syndicalistes révolutionnaires, Arte consacre 8 secondes aux intolérables violences... des manifestants ! Et consacre six fois plus de temps à quelques vieillards élus siégeant au parlement européen, débarquant pathétiquement leurs rhumatismes d'un ferry-boat qu'aux multitudes de tous âges présentes à Göteborg pour affirmer la volonté d'une autre mondialisation. Cette forme de désinformation n'est pas sans rappeler d'autres images tout aussi pathétiques, celles dont nous abreuvaient toutes les chaînes, durant les grèves de novembre-décembre 95, montrant les rangs clairsemés d'une manifestation antigrèves , avec un présentateur la commentant sérieusement comme révélatrice du ras-le-bol des Français, alors qu'une majorité écrasante de ceux-ci soutenaient les grèves. Prendre le parti de la minorité contre la majorité, donner une importance disproportionnée à la minorité pour essayer de retourner la majorité, est-ce cela l'information objective? Il suffit d'un judicieux repositionnement de la réalité pour en donner une vision complètement déformée.

La sélection de l'information, c'est aussi la disparition pure et simple d'éléments majeurs des événements. On omet pas de montrer une association comme Attac, qui n'est certes pas négligeable, mais qui n'est comme les autres qu'une composante minoritaire d'un mouvement plus vaste. Et qui monopolise l'attention parce qu'elle a l'avantage d'être respectable, ayant des motivations réformistes modérées et respectables, des membres éminents et respectables, et surtout des leaders tout prêts à devenir ces fameux "interlocuteurs du mouvement social", tout prêts à s'asseoir à la table des maîtres pour négocier des miettes. Au profit d'Attac ou des quelques vieillards venus proclamer leur foi dans les institutions, on oublie les 7000 personnes défilant sous les couleurs rouge et noir, composant la moitié du cortège. 7000 invisibles parfois évoqué au détour d'un article, mais jamais montrés.

Danger! "Black block"

Pour ce qui est de la stratégie du bouc émissaire, le "casseur" selon la presse française, le "terroriste international" selon la presse suédoise, il a un rôle multiple dans une optique médiatique.

D'abord, il est photogénique et vendeur, ce n'est pas indifférent pour des médias intégrés dans les marchés, dont l'objectif principal est bien entendu de vendre.

Ensuite, il est le justificatif idéal de l'intervention policière. Comme on l'a vu de manière flagrante pour Le Monde, "La violence policière provoque l'exaspération et la violence des manifestants" devient "La violence des manifestants entraîne une intervention policière violente." Certains médias justifieront cette violence policière, d'autre regretteront ses excès, mais tous accepteront cette nécessaire intervention destinée à rétablir l'ordre. Göteborg a été à cet égard exemplaire, et même les incroyables exactions policières à Gênes n'ont que très marginalement remis en cause ce dogme. Il faut citer Susan George, vice-présidente d'Attac : " Ces violences d'anars ou de casseurs sont plus antidémocratiques que les institutions qu'ils combattent soi-disant ", qui n'hésite pas, alors qu'elle-même est censée participer à ces mobilisation, à reprendre l'argumentation des médias et du pouvoir pour justifier la répression sauvage dont est victime l'ensemble du mouvement.

En dernier lieu, il permet de construire un fantasme, un mythe contenant tous les comportements condamnables, un ennemi idéal à combattre, bien délimité, partisan du désordre, de la destruction aveugle, d'avantage brigand que militant . Ce mythe a désormais un nom, le "Black block". La réalité importe peu, ce qui compte c'est que l'imaginaire populaire soit frappé par cet être quasi surnaturel, qui est même censé effrayer les forces de l'ordre. A gênes, selon les journaux et les éditions, il y avait entre 1000 et 3000 casseurs. Pour 15000 policiers protégés par des combinaisons et des boucliers, surarmés, équipés d'hélicoptères, de blindés, de véhicules multiples, de gaz lacrymogènes, d'armes à feu diverses et variées, sans parler des militaires. Mille à trois mille "blacks blocks" habillés de noir et protégés par des foulards, armés de pavés, effrayant et déroutant un tel déploiement de policiers. Mais qu'en est-il de ce rideau de fumée?

1) Le "black block" n'existe pas. Dans les années 70, est né en Allemagne le "Schwartz block", avec une cohérence idéologique, l'autonomie, une cohérence tactique, les vêtements noirs et la cagoule pour l'anonymat, et des manifestations en un bloc compact de chaînes humaines. Dans les années 90, aux Etats-Unis et au Canada, sont nés les blacks blocs (sans le "k" de "block" en allemand). A l'intérieur desquels n'existe aucune cohérence idéologique mais simplement une cohérence tactique: la prise en charge de l'action directe violente en réaction à la violence policière, le groupement par petits groupes affinitaires mobiles et efficaces pouvant eux-mêmes se regrouper entre eux pour un objectif commun, les vêtements noirs et la cagoule pour empêcher toute identification. Ceux qui participent à ces "blacks blocs" peuvent venir d'horizons politiques complètement différents. L'illusion entretenue par les médias d'une menace homogène est donc complètement mensongère.

2) L'efficacité des blacks blocs est largement du vent. A Gênes, le cortège des blacks blocs s'est fait éclater en trois groupes au bout d'une demi-heure. La majeure partie errait en petits groupes dans la ville, harcelés par les policiers, un de ces petits groupes ayant commis, selon les témoignages, la majeure partie des déprédations "politiquement incorrectes" (supermarché, garage...).

3) La violence et les affrontements, comme cela a particulièrement été démontré à Gênes, ne sont pas le fait de quelques personnes habillées en noir, mais de masses de manifestants exaspérés par le déchaînement de la violence policière et poussés dans leurs retranchements. Seule une minorité des blacks blocs - alors dispersés dans toute la ville - participèrent aux affrontements très violents contre les forces de l'ordre, qui impliquèrent plusieurs milliers de personnes, là où Carlo Giuliani fut tué, à l'endroit choisi pour tenter de rentrer dans la zone rouge.

4) Quant à l'hypothèse de blacks blocs largement infiltrés par la police, voire complices de celle-ci, qui les laissait faire ce qu'ils voulaient, elle a été largement reprise par les leaders "responsables" et avides de se voir décerner le titre déjà évoqué de "représentants du mouvement social" - lorsqu'ils ne représentent pas même l'opinion de nombreux membres de leurs organisations, qui eux sont au coeur des événements. Les techniques d'infiltrations et de provocations ne sont malheureusement pas nouvelles. Si les blacks blocs comptaient probablement des infiltrés dans leur rangs, c'est aussi le cas de la majeure partie des organisations présentes. Les provocations policières pour faire accomplir des actes impopulaires n'est pas une nouveauté non plus, et il y aura évidemment toujours des éléments pour se laisser manipuler. De là à prétendre que les flics ont passé leur journée à encourager les blacks blocs à tout détruire en les laissant opérer tranquillement... D'une part les blacks blocs ont certainement été de ceux qui ont le plus souffert de la répression, avec des affrontements quasi continuels avec les policiers, leur cortège, faut-il le rappeler, n'a eu qu'une demi-heure d'existence avant de se faire pulvériser par la police; d'autre part la grande majorité des groupes qui ont ensuite sillonné la ville en tentant d'échapper aux policiers lancés à leurs trousses s'en sont tenus à des actions claires: on peut s'opposer tactiquement aux destructions, mais il faut reconnaître qu'attaquer une prison, une banque ou un fast-food est politiquement cohérent lorsqu'on s'oppose à cette société, et symboliquement explicite.

Logique simplificatrice

Le mouvement manipulatoire est double. D'un côté il déprécie l'importance de l'opposition "radicale", "révolutionnaire" au capitalisme; d'un autre côté il tente de créer une victime expiatoire qu'il suffira de sacrifier pour que tout rentre dans l'ordre, le "black block" . Mais il répond à une seule logique.

L'invisibilité des "rouge et noir" dans ces manifestations dont ils ont pourtant représenté une composante massive, au moins à Amsterdam, à Cologne, et à Göteborg, peut être expliquée par le sensationalisme des médias, leur quête voyeuriste de l'image spectaculaire répondant à la logique commerciale généralisée: ils privilégient les affrontements avec les forces de l'ordre, les vitrines cassées et les pavés s'envolant. Cette raison n'est cependant certainement pas la seule, car alors, pourquoi ne s'intéresseraient-ils pas aux rouge et noir lors de rassemblement comme Cologne, où il n'y eut pas de violence malgré les multiples provocations policières. Par ailleurs, lors du rassemblement de Göteborg, s'ils n'ont pas ou peu parlé de nous, cela n'a pas été le cas d'Attac, pourtant venus beaucoup moins nombreux (à environ 3000 pour 7000 anarchosyndicalistes). L'objectif est en fait de créer une représentation bipolaire de la réalité. D'un côté les gentils démocrates réformistes majoritaires aux aspirations légitimes. De l'autre côté les anars-casseurs-terroristes résumés depuis peu en "Black block", dont l'activité principale est la destruction, le désordre, qui sont dépeints, comme on l'a vu, comme délinquants plutôt que militants. Fantasmés en guerriers violents, ils effraient. Ce discours des médias est à de nombreux points de vue paradoxal : paradoxe de groupes décrits comme ultraminoritaires, pourtant capables de représenter un danger pour des déploiements considérables de forces de l'ordre; paradoxe d'une tentative d'assimiler à des délinquants ceux à qui l'on fait pourtant porter la totalité du discours radical et révolutionnaire; paradoxe du fantasme de dangereux casseurs redoutables rapproché d'une image, Carlo Giuliani, armé d'un extincteur, mort de deux balles dans la tête.

Car c'est bien entendu le "black block" qui a le monopole de la violence du côté des manifestants. Le "Black block" dont l'extrêmisme rend impossible toute concertation, le "Black block" qui en dernier ressort entraîne une répression plus ou moins aveugle qui frappe les "manifestants pacifiques", composant l'énorme majorité des cortèges, et qui eux sont rangés du côté des gentils démocrates réformateurs avides de reconnaissance, les dirigeants propres sur eux des Attac et consorts.

Ignorer les "rouge et noir" et d'autres composantes révolutionnaires, c'est rendre impossible l'assimilation du public à un radicalisme qui est uniquement présenté sous une facette inacceptable pour le plus grand nombre. C'est nier toute alternative au réformisme cogestionnaire. C'est affirmer que l'objectif ne peut-être qu'une réforme soft du libéralisme, et que les moyens ne peuvent être que des événements de masse bien encadrés et des leaders autoproclamés participants à la gestion du système.

Nous montrer, nous, visages découverts, cortèges ouverts et festifs, ce serait montrer que le radicalisme anticapitaliste et anti-étatique est une force qui se construit, a une légitimité populaire, n'est pas réductible à quelques jeunes cagoulés abattant des vitrines. Montrer des cortèges anarchosyndicalistes et syndicalistes révolutionnaires massifs, colorés, ce serait montrer que nous ne sommes plus si groupusculaires que cela, que nous pratiquons de fait un internationalisme alternatif à la mondialisation, que nos rangs ne sont pas composés d'effrayants hommes en noir cagoulés mais de gens comme ceux qui regardent la télé et lisent les journaux; ce serait, en somme, démontrer que notre mode d'organisation, l'autogestion, que notre moyen de lutte, l'action directe, le plus souvent non violente, que notre objectif, la révolution sociale, peuvent être envisagés concrètement par tous.

Ce qu'ils veulent, au bout du compte, avec leur catégories fantasmées "gentil-manifestant-démocrate" VS "méchant-casseur-Black-block", ce n'est pas tant opposer des organisations que des comportements. Car lors de ces sommets, le radicalisme militant dépasse de loin les seules organisations se réclamant d'objectifs révolutionnaires ou de l'autogestion. Le fonctionnement même de ces contre-sommets, de par la multiplicité des organisations y participant et la complexité de leurs organisation, est un plaidoyer pour l'autogestion! Quant aux affrontements contre les forces de l'ordre, ce sont des milliers de personnes qui y participent spontanément, venant de toutes les organisations, scandalisées par le comportement policier, l'arrogance des puissants retranchés dans leurs forteresses, des dizaines de milliers d'autres qui découvrent ce qu'est la violence policière, ce que sont les dangereux révolutionnaires qu'on leur avait dépeint comme des bêtes féroces, ce sont les opprimés qui prennent conscience, avec d'autres du monde entier, de leur force.

Contre la désinformation: l'auto-organisation

Comment lutter contre la fantastique entreprise de désinformation que représentent les médias institutionnels? Leur puissance ne fait que grandir et s'affermir. Lorsque le mouvement ouvrier se structurait et se développait, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, des organes de presse importants, venant des diverses obédiences révolutionnaires, anticapitalistes, étaient diffusés massivement. La "bolchevisation" des perspectives révolutionnaires a rapidement marginalisé les autres courants. Et la voix de la révolution est devenue une voix unique, à la solde des intérêts d'un parti, manoeuvrant souvent cyniquement les exploités dans son intérêt propre, ou dans l'intérêt du grand frère soviétique. Le désenchantement à l'égard du parti a entraîné la perte de repères révolutionnaires, tant il avait su se poser comme alternative unique dans l'imaginaire collectif, poser ses intérêts propres comme intérêts de la classe ouvrière. La télévision et la société de consommation ont été le refuge de ceux qui ne voulaient plus y croire, qui préféraient ne plus penser. Aujourd'hui, le dernier grand quotidien bolchevique, du moins ce qu'il en reste, a vendu son âme aux marchands, sa fête annuelle est une kermesse où se côtoient Aérospatiale, Matra, Elf-Aquitaine. Le peu de crédibilité qui lui restait s'est dissous dans l'économie de marché. L'expérience du quotidien Libération est devenue, quant à elle, l'avant-garde d'un néo-libéralisme branché, de gauche, ayant récupéré et digéré les aspirations sociales des années 70, intégrant ce libertarisme au libéralisme économique new-look. Ne restent que des journaux de militants, aux diffusions confidentielles, incapables de peser face à la puissance de désinformations des grosses machines. Et, si Le Monde diplomatique constitue un contre-pouvoir non négligeable, il reste d'une part très élitiste et d'autre part cantonné à un "réformisme radical" plus intéressant dans ses analyses que dans ses conclusions.

Quels espoirs dans ce contexte plutôt morose? Et bien ils sont malgré tout mutiples.

Tout d'abord, si la capacité qu'ont les médias d'influencer l'opinion publique est certaine, il ne faut pas négliger la capacité de l'opinion publique à résister aux manipulations. Les grèves de novembre-décembre 95, avec des médias unanimement antigrèves et une population qui, bien que souffrant de la paralysie des transports en commun, soutenait massivement les grévistes, en est une preuve évidente.

Ensuite, s'il est vrai que la presse périodique est quasiment entièrement aux mains des tenants de l'économie de marché, les initiatives se multiplient, avec un certain succès, pour dénoncer leurs "désinformations". De Pierre Carles à Serge Halimi, de L'Esprit frappeur aux multiples entreprises éditoriales indépendantes, des voix s'élèvent désormais fortement, malgré l'étouffement consensuel, contre la "pensée unique".

Au plan des perspectives, Internet représente une direction intéressante. On a beaucoup parlé, depuis une dizaine d'années, de ses potentialités démocratiques, au sens de démocratie directe. Un outil décentralisé, permettant à tous de communiquer avec tous. On a prédit la mort de cet espace de liberté avec l'arrivée des marchands. Certains prédisent aujourd'hui la disparition des marchands. Peu importe, le fait est qu'Internet a démontré, avec une expérience comme Indymédia, non commerciale, autogérée, internationale, que cet espace d'information directe, de contournement des médias institutionnels, pouvait devenir réalité. Durant une semaine, lors du contre-sommet de Gênes, Indymédia a été un outil formidable d'information en "concurrence" directe avec les désinformateurs professionnels. Avec ses limites aussi : il faut avoir un accès à Internet. Mais avec de formidables perspectives. Nous avons toutes les raisons d'en être, d'investir ces espaces pour en garantir l'indépendance.

Si les entreprises de presse sont de plus en plus imbriquées dans des logiques de marché, de pouvoir, il faut aussi compter avec les professionnels de la presse, ceux qui écrivent l'information, ceux qui permettent qu'elle paraisse. S'ils sont évidemment dépendants de leur employeur, ils sont cependant les artisans indépassables de toute publication. Si certains se contentent d'écrire là où on leur dit, beaucoup d'autres voudraient, et parviennent parfois, à passer un "sujet" sortant des sentiers battus. S'organiser dans une perspective syndicaliste "de combat", en redonnant consistance à des revendications immédiates par des objectifs plus larges, pourrait aussi être le moyen d'accroître la faculté des camarades de la presse de peser sur leurs rédactions, en plus de faciliter le soutien à des initiatives indépendantes.

Et quel objectif, au niveau des professionnels de la presse écrite et audiovisuelle! Redonner du sens à un métier trop souvent perverti, redonner une voix aux sans-voix, redonner à ceux qui luttent contre toutes les oppressions, pour un monde sans maîtres et sans esclaves, la possibilité de prendre la parole et d'être entendus.

A propos des médias et des manipulations de l'information:

• Serge Halimi, Les Nouveaux chiens de garde, Liber-Raisons d'agir, 1997.

• Serge Halimi, Dominique Vidal, L'Opinion ça se travaille, Agone, 2000.

• Jean-Paul Gouteux, le Monde, un contre-pouvoir, L'Esprit frappeur, 1999.

• Pour lire, pas lu, périodique satirique à parution irrégulière, uniquement sur abonnement à PLPL, BP 114, F-30010 Nîmes Cédex 4, ou sur leur site www.plpl.org

• Pierre Carles, Pas vu pas pris, documentaire vidéo.

• Le site paris.indymedia.org Indymedia est une agence de presse indépendante et non commerciale, qui existe dans plusieurs dizaines de pays, et qui a remarquablement couvert les événements de Gênes.