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Syndicat de la magistrature

Les prud’hommes otages de la loi et des patrons

Paru dans « Justice » n° 183, mai 2005

mardi 14 juin 2005

Le Medef a un nouvel objectif : les prud’hommes. Il coupe les vivres, avec la bénédiction de l’Etat, pour paralyser une institution trop favorable aux salariés.

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Syndicat de la magistrature


Conseil de prud’hommes de Villefranche sur Saône :

Le Medef, accusé de couper les vivres

Extraits du discours prononcé par M.
Christian Ritton, président salarié du conseil
de Villefranche, lors de l’audience solennelle
de rentrée

« Globalement les chiffres montrent un
bon fonctionnement, une activité sérieuse et
efficace de notre conseil de prud’hommes.
Seul un indicateur est au rouge. Il s’agit du
nombre de départages qui ont augmenté
significativement. De toute évidence, cela
révèle un changement d’état d’esprit (...) Pour
la première fois depuis cinq ans que j’exerce
alternativement les fonctions de président et
de vice-président général de ce conseil, j’ai
personnellement eu à connaître de ce changement
d’esprit suite à un grave dysfonctionnement
au sein de notre conseil de
prud’hommes (...) Comment analyser, en
effet, dans notre juridiction paritaire, la décision
du président employeur qui, sans aucune
concertation préalable, d’une manière aussi
soudaine qu’arbitraire, a décidé de supprimer
les remboursements intitulés « études de dossiers
 » des conseillers prud’hommes ? Parce
que les conseillers salariés font plus d’études
de dossiers que les conseillers employeurs et
préparent de ce fait mieux les délibérés !

(...) On pourrait alors penser qu’une
étude démontrerait que le conseil de prud’hommes
de Villefranche aurait vu une
augmentation insolente de ses dépenses !
Mais non, que nenni !!! La tendance serait
plutôt contraire.

Une démarche préméditée

Mais alors comment expliquer un tel comportement ?
Si ce n’est en l’inscrivant dans une
démarche plus globale et préméditée...

Mon expérience dans une multinationale
américaine m’amène à une analyse
simple et classique :

Imaginez un syndicat d’employeurs
largement majoritaire qui n’a d’autres
objectifs que de réduire l’influence des
conseils de prud’hommes et qui très souvent
sanctionne ses adhérents !

Imaginez une loi, la LOLF (NDLR : loi
organique sur les lois de finances), qui
transforme la logique de moyens en une
logique de résultats avec des objectifs à
atteindre.(...) Le Medef l’a très vite compris
 : dans le cadre de ces nouvelles dispositions
budgétaires, quel président de
tribunal de grande instance, quel premier
président de cour d’appel s’opposera à une
mise en place ainsi orchestrée d’une réduction
des coûts au sein des conseils de prud’hommes
 ? Le syndicat d’employeur
s’engouffre habituellement dans la brèche.

... qui affaiblit l’ensemble
du monde du travail

(...) Imaginez une relation privilégiée
de ce syndicat d’employeur (...) avec le
pouvoir en place, vous obtiendrez ainsi les
conditions :
 d’un affaiblissement du code du travail
(...) ;
 la possibilité de signer des accords
dont l’intérêt pour les salariés serait inférieur
aux dispositions du code du travail
(...) ;
 que le pouvoir de l’institution européenne
s’impose à chaque pays même si,
pour certains d’entre eux, la décision
entraînait un recul social ;
 un projet de loi sur les licenciements
économiques qui donne plus de « liberté »
aux entreprises et réduit les délais de
recours en cas de contestation (...) ;
 un assouplissement des 35 heures
pour maintenir le chômage à un fort niveau
et rendre ainsi plus malléables les salariés
qui ont la « chance » de travailler afin de
les amener à accepter des baisses de leurs
conditions de travail et de rémunération...

Décidément tout est bon pour qu’au
nom de la libre concurrence, de la liberté
d’entreprise, le monde salarié se voie réduit
à une simple variable d’ajustement pour les
profits. Signalons que les bourses européennes
prévoient une hausse de 8 % en
2004 après une progression de 12 % en
2003. J’invite chaque salarié ou retraité à
comparer avec son augmentation de salaire
ou de pension sur ces deux dernières années !

(...) La liberté des salariés de recourir
à la juridiction prud’homale est sans cesse
mise à mal (...) Sans oublier le décret du 20
août 2004 (...) qui impose le recours à un
avocat en cas de pourvoi en cassation.

Vers une justice calquée sur
l’entreprise privée

Quel salarié gagnant le SMIC peut
aujourd’hui déposer un pourvoi ou répliquer
à un pourvoi quand on sait qu’il faut
débourser au bas mot 3 900 € pour s’adjoindre
un avocat spécialisé ?

(...) Enfin essayons d’imaginer l’évolution
de la justice face aux nouvelles dispositions
budgétaires inscrites dans la LOLF (...)
Pour apprécier la performance d’un tribunal,
le ratio nombre de décisions rendues sur
le coût global semble de bon aloi. (...) Nous
savons bien que tous les dossiers ne sont pas
identiques et que certains sont beaucoup
plus gourmands en temps que d’autres.

(...) Ajoutons à cette sauce libérale
quelques primes individuelles au rendement,
indispensable à l’atteinte rapide des
objectifs fixés, la mutualisation des moyens,
je traduis pour les novices : suppression de
postes avec transfert du travail sur les collègues,
et vous obtenez le fonctionnement
d’une justice calquée sur l’entreprise privée.

Mais, me direz-vous, que va devenir
la recherche de la vérité dans cette
recherche permanente d’économies ? Je
laisse à chacun le soin de l’imaginer...

La loi du marché, la libre concurrence,
ne sont que des mots qui servent à
imposer le diktat de quelques-uns, laissant
des milliers d’autres dans la misère et la
précarité. »