La campagne électorale est une occasion supplémentaire pour la classe politique de pratiquer la surenchère sécuritaire et anti-immigrée pour le but affiché de lutter contre l’extrême droite… En caressant dans le sens du poil l’électorat frontiste, la droite comme la gauche renforcent et légitiment le FN en reprenant et en banalisant ses idées. Pendant ce temps, Le Pen adopte une soi-disant posture républicaine et sociale…

Lepénisation des esprits !

Par ce terme, nous entendons la diffusion des thématiques et propos tenus initialement par l’extrême droite. La « lepénisation des esprits » désigne la réappropriation des discours et des arguments de l’extrême droite par les partis politiques de droite comme de gauche. La diffusion des idées du FN est rendue palpable à différents égards. La rhétorique des partis politiques dits classiques glisse imperceptiblement, et l’usage de termes à connotation autoritaire, raciste ou homophobe par des responsables politiques de tous bords est devenu courant. À titre d’exemples, nous pouvons évoquer du côté de l’UMP les propos racistes ou homophobes de Benisti, Kelyor ou Vanneste. Côté socialiste, Georges Fresche, président de la région Languedoc-Roussillon, vient d’être exclu du parti suite à ses déclarations sulfureuses. Présentée comme de simples dérapages, la répétition des propos à caractères racistes témoigne d’une banalisation inquiétante. En matière d’immigration, nous constatons le même phénomène. Sous la pression de l’extrême droite, la classe politique, de l’UMP au PS, s’accorde sur la nécessité de fermer les frontières, de renforcer les expulsions de sans-papiers, de durcir l’arsenal législatif anti-­immigrés, de construire une Europe forteresse.

La surenchère sécuritaire figure le pan le plus abouti du glissement de la sphère politique vers les solutions démagogiques portées depuis plusieurs décennies par l’extrême droite. Depuis quelques années, la réponse à la question sociale passe par un renforcement de mesures coercitives et autoritaires. La grille d’analyse employée par l’extrême droite a été progressivement utilisée par la droite et par la gauche. En 2001, le gouvernement « gauche plurielle » intronisait la LSQ (loi de sécurité quotidienne), qui en substance criminalisait la pauvreté. Un an plus tard, Sarkozy reprenait à son compte la loi socialiste et la renforçait en faisant voter la LSI (loi de sécurité intérieure). Dans le même temps, les lois Perben et la multiplication des instruments de contrôle social comme la vidéosurveillance, le fichage ADN et la biométrie menacent les libertés individuelles et collectives. Plus récemment, c’est l’ensemble du travail social qui est remis en cause par la loi sur la prévention de la délinquance qui vise à transformer les travailleurs sociaux en auxiliaires de police.

Les classes populaires sensibles aux sirènes du FN ?

Au 1er tour des présidentielles de 2002, l’extrême droite (FN+MNR) comptabilisait près de 20 % des suffrages, soit 5,4 millions d’électeurs. Le Pen a réalisé ses meilleurs scores dans les classes populaires puisqu’il arrive en tête chez les ouvriers (23 %), les chômeurs (29 %) et en deuxième position parmi les employés. L’assise populaire de l’extrême droite peut en partie s’expliquer par les mutations structurelles de la classe ouvrière. En effet, le vote FN chez les ouvriers travaillant sur des sites de production de petite taille est plus élevé. Le recours massif à l’intérim ou aux contrats précaires est un frein à la syndicalisation et au développement des solidarités de classes. L’analyse du vote FN nous montre que la précarisation des emplois est un facteur de vote en sa faveur. Cependant, si l’on intègre l’abstention et la non-inscription sur les listes électorales, le poids du FN dans les classes populaires est à tempérer, les commerçants et les professions indépendantes semblant constituer son véritable socle électoral. Pour élargir son électorat, le FN n’a cessé ces dix dernières années de produire un discours pseudo-social à destination des classes populaires. Au milieu des années 90, fort d’un appareil militant puissant, le FN lance même une offensive sur le monde du travail en créant toute une série de syndicats maison dans l’éducation, la police et les transports ou en infiltrant certaines sections syndicales. Dénoncée et combattue par différents syndicats, l’OPA du FN sur le monde du travail s’est soldée par un échec.

Le Front national contre les travailleurs

En parallèle à cette démarche avortée, le FN tente de se présenter comme le parti qui défend les petits contre les gros. En 2002, Le Pen déclarait : « Je suis socialement à gauche, économiquement à droite et plus que jamais, nationalement de France. » Dès lors, le parti élabore une équation à succès qui divise l’électorat populaire et martèle une mesure phare qui équivaudrait à la mise en place d’un régime de quasi apartheid : l’instauration d’une préférence nationale à l’emploi, au logement et aux prestations sociales. En 2003, aux régionales, le FN mène campagne contre les délocalisations et le chômage. Dans le nord de la France, l’une des régions les plus sinistrées en matière d’emploi et de désindustrialisation, le FN réalise des scores préoccupants en exploitant le thème de l’insécurité sociale. C’est sans doute pour cette raison que le FN organise fin février sa convention présidentielle à Lille pour dévoiler son programme.

Le programme soi-disant social du FN s’inspire largement des politiques antisociales de ces vingt dernières années. En réalité, le FN défend une politique sociale et économique de classe en faveur du patronat. Pour les présidentielles, le programme du FN a été réalisé par des « Commissions d’actions présidentielles ». La CAP sociale est sous la responsabilité de Carl Lang. L’objectif de la refonte partielle du programme est, comme l’affirme Jean-Richard Sulzer, conseiller de Marine Le Pen, d’élaborer « un programme de gouvernement compatible avec ce que pensent beaucoup d’électeurs UMP si l’on veut qu’ils se rallient à la candidature Le Pen au deuxième tour ».

En matière fiscale, le FN se prononce pour la suppression de l’impôt de solidarité sur les grandes fortunes et la multiplication par deux de la TVA, l’impôt socialement le plus injuste puisque tout le monde le paie sans distinction de revenu. En ce qui concerne l’emploi, le FN prône la libre entreprise, l’allongement du temps de travail, l’allégement des cotisations patronales, le renforcement des cadeaux fiscaux au patronat, accentuant la déstabilisation financière des caisses d’assurance chômage, maladie et vieillesse. Concernant la question du chômage, le FN se prononce en faveur d’une politique protectionniste et pour la préférence nationale matérialisée par la création d’une taxe anti-immigrés à l’embauche. Sur le terrain des droits sociaux, le FN entend faire table rase du RMI, des retraites remplacées par des fonds de pensions, des prestations sociales et de la sécurité sociale pour les étrangers, du droit de grève et de se syndiquer. Fidèle à ses préceptes originels en matière d’ordre moral, le FN est favorable à l’instauration d’un revenu maternel censé inciter les femmes à retourner au foyer.

La lutte antifasciste est malheureusement toujours d’actualité. La fascisation de la société, les relents d’autoritarisme et les politiques antisociales constituent un terreau propice au développement de l’extrême droite. Pour combattre efficacement le fascisme, nous devons articuler la lutte antifasciste avec les luttes sociales, réactiver ou favoriser les solidarités de classes et construire une alternative autogestionnaire.

Commission antifasciste CNT RP