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Une autre école est possible : s’engager, résister, agir

lundi 12 mars 2012, par Greg

Je crois que mon engagement a commencé
dès le début de ma carrière.
Je ne me voyais pas enseigner comme je l’avais vu faire durant mes trois années d’École normale (eh oui, c’était le « bon temps », une autre époque sans doute !).

Témoignage de François Le Ménahèze, enseignant en cycle 3 (école publique Lucie-Aubrac à St-Lumine-de-Clisson – 44), directeur de l’école, militant au mouvement Freinet, enseignant désobéisseur impliqué dans « Résistance pédagogique »
http://resistance-lemenaheze.org

Enseigner ex cathedra à des enfants considérés uniquement comme élèves à qui l’on demande d’ingurgiter, d’obéir, éventuellement de réfléchir dans le strict tempo et l’espace donné par l’enseignant, ne me paraissait déjà pas envisageable. Ce n’était pas comme cela que je voyais ce métier… et je ne voulais surtout pas reproduire ce que j’avais subi (et souffert) durant toute ma scolarité. Passivité, ennui, acculturation, manque d’estime de soi et de confiance, voici ce que j’avais retenu de celle-ci. Alors, ne me parlez pas de reproduire ce cadre que l’on sait largement aujourd’hui ne profiter qu’à certains, et évidemment toujours aux mêmes !

Heureusement, j’avais découvert, un peu par hasard, aux détours de ma formation, la pédagogie Freinet. Je savais alors ce que je voulais de l’École, de la place que je comptais prendre et que je comptais donner aux enfants qui m’étaient confiés. Cet engagement, je le pris déjà au cours de ma formation en consacrant une journée par semaine pour me former à travers la visite de classes Freinet et, par voie de conséquence, des retraits de salaires correspondant à ces absences.

Cet engagement, je ne le démentis jamais à travers mes trente années de carrière (eh oui, déjà !) car je découvris la passion du métier d’enseignant à travers la recherche, la coopération, l’expérimentation et la co-formation permanente.

Je poursuivis cet engagement par diverses responsabilités au sein de l’Icem-pédagogie Freinet, dans la coordination des éditions Icem, puis dans la formation en devenant formateur à mi-temps à l’IUFM. C’était au temps pas si lointain d’ailleurs où il était encore possible de parler innovation et pédagogie dans ce lieu de formation et où celle-ci avait encore un semblant de cohérence.

Autant il est relativement facile de s’engager lorsque les vents sont porteurs, autant cela devient quelque peu difficile quand les vents sont contraires ; c’est ce qui se passe depuis 2008 avec la succession de réformettes de notre ministère actuel. Et pourtant, c’est bien aujourd’hui qu’il faut s’engager à travers le refus des réformes qui font régresser notre idéal d’école : refus des programmes 2008 basés sur des soi-disant fondamentaux on ne peut plus critiquables ; refus du fichage notamment par le bais du fichier Base élèves ; refus des évaluations nationales nouveau signe de libéralisation de notre système éducatif transformant les élèves en pourcentages chiffrés ; refus du livret personnel de compétences assurant la traçabilité de notre jeunesse ; refus de la disparition des Rased et par là même de la mise en place de l’aide personnalisée engageant les élèves en difficulté vers une double peine stigmatisante avec du temps scolaire en plus rien que pour eux ! et j’en passe, tellement l’accumulation de réformes nous a pollué ces dernières années et détourné des enjeux réels.

Alors l’engagement aujourd’hui est devenu vital à travers une désobéissance fondée sur une éthique professionnelle lucide et responsable. C’est en tout cas les points d’appui que nous avons aujourd’hui pour contrer l’infantilisation à laquelle nous sommes soumis par la voie d’une hiérarchie servile. Ce n’est pas sans nous rappeler d’ailleurs les pires moments de notre histoire lorsque les fonctionnaires ont joué le jeu de leur administration au nom d’une obéissance aveugle.

Le malheur est justement ce que nous observons aujourd’hui, certes avec des enjeux très différents mais avec malheureusement de nombreux parallèles. D’ailleurs, n’est-ce pas les résistants d’hier et d’aujourd’hui qui nous assurent actuellement de leur entier soutien à travers leurs différents engagements (Stéphane Hessel, Raymond Aubrac, etc.).

C’est en tout cas à cette résistance que je me suis attelé, avec d’autres, depuis ces dernières années. Cela m’a coûté mon poste à l’IUFM suite à un blocage de la part de l’Inspecteur d’académie pour « mauvaise manière de servir ». Cela m’a coûté comme à de nombreux enseignants résistants des pertes de salaires importantes (retraits de salaires lors de la non-obéissance aux évaluations nationales, non-réception de la prime). On m’a honoré d’un blâme… en passant tout près d’un conseil de discipline. Cela a failli me coûter mon poste de directeur d’école, alors que je prenais la direction d’une nouvelle école qui, en trois ans, est passée de 4 à 6 classes. Et fait de hasard… ou de circonstance… cette école se nomme « école Lucie-Aubrac », en l’honneur à cette résistante hors normes qui a asséné toute sa vie que « Résister est un verbe qui se conjugue au présent ». Alors, cette maxime est devenue la mienne et est fièrement affichée dorénavant à l’entrée de l’école.

Il apparaît donc clairement que l’engagement coûte… il a coûté et il coûtera à tout individu qui ose aujourd’hui, dans sa vie, sur son lieu de travail, résister en s’engageant pour un idéal, pour des valeurs. Il faut la distinguer de la résistance passive qui a toujours été présente dans notre histoire mais bien souvent pour en empêcher toute avancée. J’ai toujours envisagé, avec mes collègues désobéisseurs, la résistance pour et vers l’action. Résister, c’est agir au quotidien, c’est s’engager pour faire vivre des valeurs, celles qui nous ont fait travailler dans un service public, en particulier pour nous dans le service public d’éducation, celui qui a valeur à éduquer tous les jeunes, à ce qu’ils apprennent à travers la construction d’une estime de soi, d’une citoyenneté active, d’un savoir émancipateur.

Alors, depuis ces dernières années, je suis intervenu dans de nombreux débats, souvent d’ailleurs à l’initiative de parents d’élèves, pour montrer justement les dangers des réformes actuelles dans le service public d’éducation, comme dans les autres services publics. J’utilisais la métaphore de la grenouille, celle qui montre qu’on nous englue, qu’on nous étouffe aujourd’hui à petit feu pour ne pas voir que cette succession de réformettes contribue à un projet de société libérale dans laquelle des populations entières seront délaissées.
Je me suis impliqué dans le mouvement de résistance pédagogique pour faire savoir à nos collègues le jeu qu’on nous faisait jouer ; ce travail de sape est difficile car la souffrance, l’isolement actuel du monde enseignant ne font que s’accentuer et notre hiérarchie a une réelle responsabilité dans cet état de fait.

Nous avons lancé les contre-animations pédagogiques qui semblent aujourd’hui un moyen pertinent pour permettre aux enseignants de reprendre en main leur propre formation à travers la co-formation sur les réelles problématiques du monde enseignant d’aujourd’hui que sont, par exemple, les problèmes liés à l’hétérogénéité des classes et à la difficulté scolaire, à l’autorité des enseignants dans la classe, au manque de motivation des élèves, à la souffrance au travail…
Elles sont facilement réalisables en coordination entre résistance pédagogique et les mouvements pédagogiques ; pour notre département, l’initiative a été reprise cette année par le mouvement Freinet de Loire-Atlantique. Nous savons aujourd’hui que le monde enseignant a changé ; le profil des nouveaux enseignants est différent, l’administration a renforcé des rouages intermédiaires fondés sur l’injonction pour maîtriser l’ensemble d’un système bien verrouillé. Malgré cela, il est possible de montrer, et c’est ce que nous faisons, que tout enseignant peut et doit conserver une réelle autorité sur son métier, qu’il peut s’autoriser à nouveau à exercer celui-ci de manière éthique et responsable avec comme fil conducteur incontournable, l’action dans l’intérêt des enfants, des jeunes… et non les pressions administratives qui n’ont comme seul intérêt de faire fonctionner une machine infernale qui a vocation à définir une école libérale et inégale.

Militer, enseigner, s’engager, c’est possible aujourd’hui ; c’est même devenu plus qu’urgent. Mais il faut rompre avec toute injonction de notre administration. Nous ne sommes pas seulement des agents de l’État ; il est temps de retrouver ce que nous n’aurions jamais dû lâcher : notre autorité sur notre métier, notre rôle d’acteur à part entière.

Les modes d’action sont divers. À chacun de saisir celui qui lui sera possible de tenir. Cela va de la contestation ouverte et affichée (c’est celle que nous avons tenue avec certains depuis le début…), à la contestation larvée qui met des grains de sable dans la machine, ne pas renvoyer les chiffres d’évaluation, ne pas mettre à jour Base-élèves, ouvrir l’aide personnalisée à tous les élèves, à la contestation affirmée dans son conseil de maîtres, donner son avis sur les réformes en cours, poser des questions, faire voter les motions en cours, appeler le débat au sein de son équipe, jusqu’à la participation à toute forme d’action qui montre que nous ne sommes pas tous devenus des enseignants serviles et infantilisés participation aux contre-animations pédagogiques, prise de parole dans les animations institutionnelles. ■