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Tissu social ? des liens à recoudre !

samedi 10 novembre 2012, par Greg

Pour moi, l’aventure à Cocause a germé en juin 2010, quand j’ai proposé un « garage à fringues » à l’espace social. En effet, après la liquidation judiciaire de mon entreprise individuelle de couture retouche, j’avais envie de voir naître un espace où tous ceux qui le souhaitent pourraient réparer ou créer leurs vêtements. J’avais un peu de matériel et des compétences à mettre à disposition, mais pas de local. Je me suis donc tout naturellement tournée vers l’espace social. Il m’a été répondu qu’il y avait un appartement à Cocause, le quartier HLM de Die, dans la Drôme. Ça me paraissait tout à fait cohérent et j’étais impatiente de m’y installer.

Mais à la rentrée de septembre, une mauvaise surprise m’attendait : il avait été décidé que l’atelier des couleurs, atelier de peinture animé par une personne du centre social, occuperait l’appartement de Cocause et la cohabitation avec un espace de couture et le garage à fringues ne s’avérait pas possible.

Trouver le lieu... ou l’inventer ?

J’ai donc fait le tour des institutions locales, tenté de négocier avec différents interlocuteurs tels que M. le maire ou M. le curé, sans résultat. Certes, on me répondait que l’idée était fort intéressante, mais aucune solution concrète au problème de local ne m’a été proposée.

Finalement, fin novembre, j’ai enfin pu installer mes machines à coudre dans la salle d’alphabétisation de l’espace social.

Bon, j’ai pu lancer l’activité, faire la preuve que ça faisait bien du « lien social ». Ça n’était pas qu’une vue de l’esprit : des Maghrébines venues pour ourler le pantalon d’un mari et des minettes avec leur robe à raccourcir partageaient un thé à la menthe et nous avons vécu de beaux moments.

L’été venu, l’espace social fermait ses portes. Pas découragée, j’ai décidé de déménager mes machines à coudre… dans l’appartement de Cocause et de m’installer au pied des bâtiments avec une rallonge, des tréteaux et une planche.

Évidemment, les premiers à s’approcher ont été les enfants. Je n’avais pas vraiment prévu ça, et il a fallu improviser. Nous avons cousu des boutons sur un ruban pour en faire un bracelet, noué des petits bouts de tissu rapidement transformés en marionnettes.

Et puis les mamans ont suivi. On répare un pantalon et on discute. Tout l’été, je suis venue là, partager quelques heures par semaine avec les gens du quartier. Le temps est passé vite et, à la rentrée, j’ai dû réintégrer l’espace social. Je n’avais pas assez de matériel pour continuer sur deux lieux à la fois.

Quand des volets s’ouvrent

Mais en janvier 2012, ayant trouvé deux vieilles machines à coudre, je reprenais les permanences du garage à fringues dans une toute petite pièce de l’appartement de Cocause. J’arrivais à 15 heures tous les samedis, j’ouvrais les volets. Dans le quartier, quand des volets s’ouvrent, ça se remarque, spécialement dans ce bâtiment destiné à la démolition. La fréquentation est restée faible.

Mais le temps passe, inexorablement, et le printemps est venu. J’ai pu me réinstaller dehors. Et là, évidemment, la fréquentation est montée en flèche. Les enfants les premiers, évidemment. Pour la plupart de ces jeunes enfants, arriver à coudre à la main relève de l’exploit.

Dehors, par tous les temps

Rapidement, je me rends compte que le résultat n’a que très peu d’importance. Ce qui compte, c’est le temps passé ensemble. Un groupe, très mouvant, se constitue rapidement. Certains sont présents chaque semaine, d’autres ne viennent que de temps en temps. Tous sont ravis de partager ce petit moment libre et gratuit, dans cet espace extérieur familier. Pour certains, je sens bien que c’est une véritable bouffée d’oxygène dans un quotidien pas toujours très joyeux. Au pied des bâtiments, les parents gardent un œil sur leurs enfants et sont rassurés. Certaines commencent même à participer elles aussi. L’atelier aura lieu dehors, par tous les temps.
C’est en février, dans le cadre du garage à fringues, que j’ai rencontré Melody, membre de l’association Intermèdes-Robinson. Jusque-là, j’avais ramé sur ma petite pirogue, certes convaincue… mais de quoi ? Et solitaire, quand même. Avec elle, j’ai découvert la pédagogie sociale qui correspondait étrangement à ma « vision intérieure », cette drôle de conviction sur laquelle je ne sais pas mettre de mots. Je me suis sentie tout à coup moins seule. Melody est venue animer avec moi les ateliers du samedi après-midi. Elle venait avec son fils, Lou, âgé de quelques mois. Les enfants adorent ce bébé et maintenant, certains pleurent quand il n’est pas là. Nous sommes allées ensemble à Emmaüs chercher des jeux et des livres pour les enfants. Les choses se structuraient peu à peu.

Fatna est venue souvent avec ses neveux et nièces (voir encadré). Elle vit dans le quartier et s’est, elle aussi, beaucoup investie. Nous apprécions tous sa présence douce et ferme. Nous avons bricolé des pompons, brodé au point de croix, cuisiné des gâteaux, fabriqué des cerfs-volants, des instruments de musique…

Pendant le ramadan, la fréquentation a chuté, je restais présente malgré tout. La régularité, la ponctualité me paraissent fondamentales. Les enfants m’attendent souvent bien avant quatorze heures. Impossible de les laisser tomber. La misère sociale est grande ; je ne pose pas de questions, je laisse les enfants raconter ce qu’ils veulent, je les écoute. Ils sont très sensibles à cet espace sans jugement qui leur est offert chaque semaine.

C’est vrai que je m’attache aussi à eux. À certains plus qu’à d’autres. J’aurais besoin de recul pour pouvoir gérer ça en restant équitable avec tous. Besoin de vacances, besoin d’un salaire aussi, ou au moins d’un « minimum social ». ■

Marianne Godez

« Tout commence par un atelier couture auquel je participe, au fil du temps l’atelier se transforme avec la présence des enfants et l’arrivée de Mélodie, une éducatrice. Des actions sont menées pour faire connaître l’atelier de rue, et c’est là que commencent les activités en plein air animées par Mélodie et Marianne. L’association de la pédagogie et de la création donne tout son sens à l’atelier.

Je continue à être une participante active motivée par la présence de mes neveux mais aussi attirée par des méthodes éducatives sociales.
En tant qu’éducatrice en formation et toujours à la recherche de pédagogie alternative, l’atelier
et la présence de professionnels éducatifs me permettent d’observer et d’essayer d’analyser
des pratiques différentes.

L’atelier constitue pour moi une expérience inédite, et me permet d’appréhender le public
des jeunes enfants. »
(Fatna)