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* N’auto école l’évaluation, fil conducteur de la formation à la conduite

jeudi 4 février 2010, par Greg

On évoquera ici la phase pratique de l’apprentissage : un élève, un enseignant, une voiture,
cinq rétroviseurs, six pédales, une méthode pédagogique unique et obligatoire.

par Virginie Tribodet, CNT ETPRECI 35

Pour tout moniteur d’auto-école, savoir évaluer son élève c’est vital, au sens premier du terme. La première urgence est d’anticiper les erreurs de l’élève. La difficulté étant de ne pas réagir trop tôt, de ne pas agir à la place de l’élève qui ne pourrait alors vraiment progresser et devenir autonome, tout en préservant la sécurité de tous. Il s’agit parfois de survie… D’autant que la circulation n’est pas toujours adaptée à l’objectif en cours ! Il s’avère souvent que les élèves les plus « dangereux » ne sont pas ceux qu’on croit. En effet les plus en difficulté ne sont pas les moins prévisibles, en revanche la vigilance du moniteur peut se relâcher avec un élève doué car il peut se faire surprendre… Tout cela est presque anecdotique mais c’est bien ce qui fait le quotidien du moniteur : un œil devant, un œil derrière et l’autre sur le regard de l’élève (oui, ça fait trois en tout) pour savoir s’il perçoit bien le coin du trottoir, la mamie derrière la voiture stationnée, le feu qui va passer à l’orange et le camion qui arrive vite derrière. Au-delà de cette capacité d’anticipation et de réaction de chaque instant, le moniteur doit évaluer les progrès de son élève par rapport à l’objectif pédagogique qu’ils ont déterminé ensemble.

Une question de survie mais aussi une méthode pédagogique

La réglementation impose cette pédagogie par objectifs qui sont déclinés dans le Programme national de formation (PNF). L’objectif général étant la maîtrise du véhicule et le développement d’attitudes positives par rapport à l’automobile (sécurité, respect des autres usagers et conduite économique). S’il subsiste des auto-écoles d’un autre temps où les élèves sont quasiment dressés et peuvent « conduire » en deux heures (quand on les guide comme des marionnettes et bien sûr sans développer aucune capacité d’analyse des situations de conduite), la plupart respectent la législation et mettent en œuvre une pédagogie active et participative, objectif par objectif. Cela rend l’automatisation plus longue au départ mais sur la durée l’autonomie est réelle, même si forcément relative.
La formation débute obligatoirement par une « évaluation de départ » au cours de laquelle on mesure les habiletés de l’élève. Exercice souvent frustrant pour le moniteur qui ne peut pas ou peu expliquer à son élève comment il doit faire ! C’est là qu’on tente de chiffrer le volume de formation. Ensuite on commence les leçons et on peut mettre en œuvre tous les moyens pédagogiques nécessaires pour former des conducteurs aussi sûrs et responsables que possible.
Pour chaque objectif il faut donc évaluer s’il a été automatisé avant de le valider et passer au suivant, autant que possible on évite de traiter plusieurs objectifs à la fois. Concrètement voilà comment ça se traduit pendant une leçon : on procède à une première évaluation pour déterminer un objectif avec l’élève – laissant autant de place que possible à l’autoévaluation. Une fois d’accord sur l’objectif à traiter, le moniteur explique, démontre, guide puis laisse l’élève faire l’exercice en autonomie avant de mettre en place une nouvelle évaluation qui doit conclure à l’acquisition complète – c’est-à-dire l’automatisation – de l’objectif avant de pouvoir en déterminer un suivant. Et ainsi de suite tout au long de la formation dont on comprend qu’il est exceptionnel de la terminer en vingt heures (exception faite des élèves nés sur un tracteur, garagistes, pilotes en herbe et autres conducteurs sans permis, du moins s’ils acceptent de se plier un minimum à l’apprentissage qu’on leur propose).
Pour la phase pratique de la formation à la conduite la pierre angulaire est donc cette évaluation continue qui doit être totalement individualisée, c’est pourquoi elle implique un coût du à des outils pédagogiques onéreux et des enseignants qualifiés (mais très peu valorisés !).
Ce coût varie selon les auto-écoles et les régions, il dépasse largement un SMIC en moyenne… C’est exorbitant mais c’est justifié ; ce qui ne l’est pas c’est de le laisser entièrement à la charge de l’élève et sa famille. Quand il en va de la sécurité de tous les usagers (pas toujours volontaires) de la route, la responsabilité collective devrait être engagée, or l’État n’apporte quasiment aucune aide au financement des permis de conduire (à part le permis à un euro qui n’est pas accessible aux classes les plus défavorisées). Cette question des moyens financiers est indissociable du choix d’effectuer une évaluation réelle des capacités des apprentis conducteurs : aussi longtemps que les objectifs ne sont pas atteints, la formation doit se poursuivre et les progrès être réévalués… et le coût encore augmenter. Quand l’aspect commercial entre en jeu, cela a une incidence indéniable sur la relation pédagogique.

La question épineuse du permis de conduire, ou l’évaluation ultime

Une autre forme d’évaluation qui n’est pas vraiment prévue dans les textes est de déterminer à quel moment l’élève peut être présenté à l’examen avec de bonnes chances de réussir. En effet la complexité de l’équation niveau de l’élève – coût de la formation/rapport commercial – nombre de places de permis rend la tâche anormalement ardue.
Quand tous les objectifs sont bien rayés du livret d’apprentissage, l’élève doit être en mesure de réussir l’examen. Hélas la réalité ne peut pas être si simple : le plus souvent il faut survoler quelques objectifs pour ne pas atteindre un volume de formation trop conséquent. L’acquisition totale de tous les objectifs relèverait de toute façon d’un niveau de conducteur expérimenté qu’il n’est pas envisageable d’atteindre à 35 ou 40 € de l’heure. Au formateur de juger que son élève a atteint un niveau d’autonomie et de sécurité viable pour être présenté à l’examen (et y survivre plus de quelques jours !).
La pénurie de places d’examens, en réduisant quasiment à néant le droit à l’erreur, engendre l’allongement de la durée de formation dans la plupart des cas et un stress considérable – pour les élèves et pour les formateurs car l’attribution des places dépend du taux de réussite de l’établissement. Cette pression nerveuse généralisée suffit rarement à expliquer les échecs : le plus souvent elle révèle des faiblesses réelles mais il va de soi qu’on se passerait bien de ce handicap supplémentaire. Encore une fois le désengagement croissant de l’État qui refuse de recruter des inspecteurs en nombre suffisant et envisage même la privatisation de l’examen est en cause et nuit énormément à l’efficacité du système.

Quelles alternatives ?

Depuis vingt ans il existe une forme alternative d’apprentissage : après vingt heures minimum en auto-école, à partir de 16 ans, l’apprenti peut conduire accompagné d’un conducteur expérimenté. Parmi les différences fondamentales avec le permis traditionnel (qui doit quand même être passé après un an minimum de conduite accompagnée), il y a le fait que c’est l’enseignant qui détermine quand l’élève est prêt à partir sur la route avec ses parents (le plus souvent). Idéalement il faudrait pouvoir évaluer la capacité des accompagnateurs à poursuivre l’apprentissage mais ce n’est pas prévu ! Leur première réaction est souvent : « Mais nous, on n’a pas les pédales ! ». Ni le compas dans l’œil et encore moins la formation adéquate… on le remarque souvent. Il faut donc faire accepter à tous les acteurs de ce système qu’il repose énormément sur la motivation de chacun, sur la transmission de l’expérience, sur une certaine progressivité devant aboutir à une plus grande autonomie et une expérience plus vaste pour l’apprenti. Force est de constater que tout le monde ne joue pas le jeu et qu’il y a parfois beaucoup à revoir à la veille de passer le permis (quand l’apprenti a peu conduit ou dans des situations peu variées) mais globalement l’expérience est positive. La meilleure preuve en étant que les assureurs font des réductions à ceux qui ont suivi cet apprentissage anticipé de la conduite ; faisons confiance à leurs statistiques ! Voilà donc ce qui s’approche le plus de la méthode idéale. Rien de tel que l’expérience… Si tant est que cette dernière suffise à résoudre le problème de l’insécurité routière.
Seulement à l’heure où on parle de réforme du permis (pour qu’il coûte moins cher), on peut craindre qu’on systématise une conduite accompagnée au rabais et l’apprentissage hors auto-école. On dit qu’il faut trois ans de pratique pour faire un bon moniteur mais libre à chaque titulaire d’un permis de croire qu’il se livrera mieux que nous à cette évaluation continue et de chaque instant.
Enseignant, inspecteur, parent, élève parfois (les plus âgés ou ceux ayant déjà eu une expérience malheureuse de la route)… nous craignons une autre forme d’évaluation, celle de la page faits divers, celle des quatre jeunes gens qui finissent au fond d’un ravin par manque d’expérience de la conduite, certes, mais aussi par manque de conscience du danger ; parce que ce n’est tout simplement pas de leur âge de penser à la mort. Comment enseigner la sécurité routière à l’âge où se développe le goût du risque mais pas encore la conscience que la vie est courte ? À suivre ! ■