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M, les mots dits militants ?

lundi 27 février 2012, par Greg

Par Jean-Pierre Fournier

En complément :

La Crazette

La Crazette – Journal sur le centre de rétention du Mesnil-Amelot : les textes et les éléments statistiques sont recueillis par l’équipe des intervenants de la Cimade au Cra (Centre de rétention administrative) du Mesnil-Amelot. 

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La Cimade (Comité inter mouvements auprès des évacués — la mention service œcuménique d’entraide a été ajoutée par la suite) est une association de solidarité active avec les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile. L’acronyme Cimade est féminin, parce qu’outre le fait que les mots français se terminant par le suffixe « –ade » le sont, les premières « équipières » à l’œuvre sur le terrain, en octobre 1939, étaient toutes des femmes.

Sortir des rangs (et des slogans)…

Militer va avec militaire : même étymologie (miles : soldat) même voisinage lexical : « front de classe », « mobilisation », « campagne » « s’engager ». Même raideur, même perspective d’indifférence humaine : « on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs ».

Mais oser le conflit

Cette référence militaire va du dérisoire (tenues militaro, plaisir de la castagne) au dramatique (dérives italiennes et allemandes des années soixante-dix), il a aussi en racine ce qui sépare le bénévole du militant : l’acceptation du conflit. Car si la solidarité, sous ses aspects d’empathie et de coopération, est très largement répandue, sans doute vitale et coexistante à notre espèce, aller jusqu’à l’affrontement est plus difficile : il faut oser dire non, tenir tête, rompre l’harmonie des conventions et le confort du quotidien. Les deux versants de la solidarité sont souvent complémentaires : accompagner un sans-papiers à la préfecture, c’est de l’entraide, c’est aussi être prêt à des tensions au guichet ; aider au travail un camarade à défendre ses droits, c’est une marque de solidarité simple, c’est se mettre en opposition, non sans risques parfois.

Contrepoint : des militants peuvent s’enkyster dans le conflit, s’y complaire. Ou préférer des formes de conflit spectaculaires même moins efficaces : la Résistance française a privilégié la guérilla nationaliste, ses homologues danoise, néerlandaise, norvégienne (et allemande) des formes de lutte civile et massive (grèves, refus, entraide). Ou proclamer le conflit sur le papier, sans rien faire de concret. Ou mépriser les bénévoles (ils ne sont pas dans le conflit, mais sont quand même dans l’humain, ce n’est pas rien).
N’empêche que cette ligne de partage existe.

Questionner l’idée de révolution

Comment arracher le pouvoir aux riches et aux puissants ? Certainement pas sur des barricades, les armes à la main, face à des gens qui peuvent faire sauter cent fois la planète. Le pouvoir des dominants passe par des liens, de l’obéissance, du symbolique. Peut-être en refusant de leur obéir, sous des formes que les gens inventeront quand ils le voudront.
La grève générale, alors ? À l’échelle d’un pays, de l’Europe, du monde ? Dès l’origine, on a vu dans cette idée un mythe utile – mais un mythe, que pouvons-nous en dire aujourd’hui ?

être cohérent

Exemplaires : toute leur vie, X et Y (même à plus de 70 ans ils continuent) ont collé des affiches, distribués des tracts, assuré une présence solidaire vis-à-vis de tous ceux qui en avaient besoin (récemment les grévistes sans-papiers). Ils ont de surcroît des qualités rares : exactitude, modestie. Un été, ils me demandent si mon collège est un « bon collège » pour leur petit-fils. Je mens effrontément, comme toujours dans ces cas-là ; mais, comme de juste quand on rentre tremblant dans un établissement difficile, parce que ses parents tremblent aussi, le petit sixième s’en prend plein la figure de la part des bad boys de sa classe. La direction de l’établissement renvoie les interrogations anxieuses des parents sans ménagement, les parents le changent de collège et il est placé dans un bon, très bon collège, petit lycée d’un établissement d’élite. À un rassemblement, ils sont contents de m’annoncer que la sœur de ce garçon ira également dans le même établissement.

Ne pas oublier l’injustice

Cette photo est là, muette, plus tristounette qu’horrible, ces jeux de square un peu usés, cette absence de personnage. Elle est issue de la Crazette 1, c’est l’espace de jeux des enfants enfermés dans une prison pour étrangers : toute l’horreur sociale quand elle est xénophobe. On peut entourer ces familles, avec la solidarité des écoles et des voisins, pour qu’elles ne soient pas enfermées. On peut alerter journalistes et notables, trouver les avocats, inonder les préfectures de fax. Leur mettre non pas la honte que les enfermeurs d’enfants ne connaissent pas, mais la gêne des gens propres sur eux et sales en dedans. On peut.

Ne pas s’oublier

La grande civilité de nos milieux fait que les fumeurs font attention : ils sortent ou s’écartent un peu. N’empêche que je me pose la question : alors que dans notre milieu professionnel, la clope est devenue has been (avec une exception pour les Asssistants d’éducation, indulgence due à leur âge), ce n’est pas le cas pour les militants. Pourquoi ? Sans doute pas par dévotion pour les trusts criminels du tabac. Pour compenser le stress ? Hum, hum, un peu vague comme explication. Sans doute parce que les militants mettent un grand soin… à se négliger. S’occuper de sa carcasse, c’est jugé mesquin, narcissique, « quand je pense à ces gens qui font leur petit jogging » me disait une militante Verte, tirant sur sa cancerette. Mais si le dévouement aux autres est un oubli, qu’offre-t-on ? Un sacrifice ?

Tenir

Que de reniements chez les anciens militants ! Passe encore de ne plus rien faire, mais pourquoi cracher dans la soupe qu’on mettait tant de soin à faire cuire ? On peut penser s’être trompé (cette organisation était vraiment trop rigide, ou trop bordélique), mais pourquoi ne pas s’en prendre à soi, à son propre besoin d’illusion – tout en gardant le souvenir d’une générosité qu’on a peut-être jeté avec l’eau du bain ? Ne pas confondre la fatigue avec la sagesse, et croire que le repli sur soi est supérieur à l’affinitaire. Quoi qu’ils soient par ailleurs, les militants tiennent, respect !
Engagé, embarqué, indigné, impliqué ?
S’engager est volontaire, actif, mais guerrier. Les écrivains engagés, cela a un arrière-goût de guerre froide, de « cachez-moi ce camp que je ne saurais voir ».
Être embarqué c’est être là sans l’avoir forcément demandé, être passif ou dans le doute. Mais c’est aussi savoir qu’on est de son époque, soumis à ses mythes, à ses modes, en politique et en société comme ailleurs. Finalement, avec un peu plus de conscience peut-être. Et puis, on ne se raconte pas des histoires d’îles désertes, on est avec les autres et leurs rêves.
S’indigner est-il plus qu’une mode, ou du moins autre chose qu’un moment ? Comme l’altermondialisme, il concerne surtout les jeunes en fin ou en sortie d’études des pays riches, il reste flou par son refus (défendable) des attaches idéologiques, et le créateur du mot refuse qu’il soit appliqué aux luttes sociales (mais Stéphane Hessel n’est propriétaire ni du mot ni de son succès). On parle maintenant des « Indignés ».
Rémi Hess propose « impliqué ». L’adjectif est séduisant, il signifie être dans le coup, actif. Peut-il comme le précédent devenir un substantif ? Car les mots sont l’écume, et nous attendons la vague.

L’action paye (et tant pis si c’est un lieu commun – si ça pouvait devenir le lieu de tous !)

Message sur une liste mail RESF : « Vous vous souvenez de B., ce jeune étudiant qui, durant les vacances de Noël 2010, avait goûté les joies de la rétention aux Pays-Bas et qui, à son retour à Paris, avait accumulé les déboires et à qui la préf ne délivrait plus que des titres provisoires. Un grand cordeau de sécurité et de solidarité – RUSF, RESF – s’était installé autour de lui avec, notamment, la CNT qui lui avait permis de trouver un stage cet été et lui avait redonné confiance en lui et en sa capacité de reprendre ses études et un étudiant de RUSF qui l’avait longtemps hébergé. Message de B. hier au soir : il vient d’obtenir un titre de séjour. » ■