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Les désobéisseurs : impasse ou « pas-sages » ?

mardi 13 juillet 2010, par Greg

Par Franck Antoine, instituteur en ZEP, CNT éducation 34

À rebrousse-poil des stratégies des temps forts, l’actuel mouvement contre les mesures Darcos
s’inscrit dans un combat continu et quotidien. Né au printemps 2008 de la contestation
des « nouveaux » programmes, il rompt, dans les formes qu’il a adoptées (désobéissance, coordination nationale, implication des parents) avec une certaine ritualisation de la contestation propre
à notre secteur. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il désarçonne aussi bien les centrales syndicales
que la hiérarchie de l’Éducation nationale.

Avalanche de mauvais coups

Chacun aura pu constater que ce gouvernement a décidé de donner un coup d’accélérateur aux attaques contre le service public d’éducation. Il y a d’abord eu les nouveaux programmes qui remettaient en cause une certaine éthique professionnelle centrée sur l’épanouissement des enfants et l’accompagnement dans leur évolution. Ces programmes mettent l’accent sur l’aspect systématique des enseignements en dénigrant toutes les recherches et découvertes théoriques et pratiques qui ont pu être faites sur la construction de la connaissance. Ces programmes ont été construits dans la plus totale opacité et imposés dans l’urgence. Tout comme les stages de remise à niveau qui les ont suivis de très près et ont instauré les heures supplémentaires dans l’école primaire. À la rentrée deux nouvelles mesures vinrent noircir le tableau : la suppression du samedi matin et la mise en place de l’aide personnalisée. La première est une perte importante pour l’organisation de l’année scolaire d’autant plus qu’elle s’accompagne de programmes plus lourds. La deuxième suscitait à elle seule des indignations, certains enseignants refusant d’alourdir la charge de travail et la durée de la journée de classe pour les élèves en difficulté, mais c’est l’annonce des suppressions de postes de Rased qui l’accompagnaient qui a été perçue comme une attaque majeure par l’ensemble de la profession. Comme M. Darcos pensait que la coupe n’était pas pleine, il a rajouté aux nombreuses mesures qu’il avait mis en place à marche forcée le dénigrement envers les enseignants de maternelle. Par la suite il n’a cessé d’accumuler les mensonges et les marques de mépris envers les parents et les salariés de l’éducation qui défendent une école au service de tous.

Ces mesures répondent à plusieurs objectifs complémentaires. Le premier est exprimé très clairement : c’est la réduction des dépenses publiques et du nombre de fonctionnaires. À cette considération économique, s’ajoutent des motivations plus politiques (revanche idéologique, éradication de l’esprit de Mai 68...), qui tendent aussi à balayer les obstacles menaçant la réalisation de ce programme (volonté de mater le corps enseignant jugé archaïque pour moderniser la société, désir de supprimer ce qui peut exister d’autonomie dans le fonctionnement des écoles primaires...).

Un mouvement inédit et nécessaire

Retour au pouvoir d’une droite décomplexée, repli sur soi, dénigrement des mouvements collectifs, traumatisme de la grève de 2003... pour s’imposer, le mouvement se devait d’abord de bousculer une apathie généralisée. Dispersé géographiquement, étiré dans le temps, d’abord porté par quelques individualités isolées, l’extension a été progressive mais continue. Finalement, c’est de ses faiblesses et de sa créativité qu’il a su tirer sa force.

Quand des « fonctionnaires » ne veulent plus « fonctionner »

Les grèves menées localement au printemps 2008, à Nantes et en région parisienne, ont certainement contribué au réveil de la profession. Les quelques actes de résistance individuelle ont rencontré un écho favorable dans la profession et au delà. Les collègues se sont d’abord retrouvés en petit comité – les éternels résistants – puis ont été rejoints par tous ceux qui se sentaient partie prenante de leur lutte et se reconnaissaient dans les méthodes et les objectifs de la lutte.
Ces noyaux – par nécessité et par conviction – ont élaboré des formes inédites d’agitation : lettres de désobéissance, participation active des parents d’élèves. Les déclarations de résistance ont d’abord été le fait de quelques fonctionnaires qui ne pouvaient plus continuer à « fonctionner » sans réagir face à ce qu’ils interprétaient comme un renoncement à tous leurs idéaux éducatifs. Elles ont réveillé un désir de combativité chez ceux qui avaient parfois tendance à penser que « tout était joué », elles ont donné envie de construire une lutte commune sur les bases de ces objecteurs isolés. Une lutte qui dépasse le simple réflexe anti-répression : en effet, de ces sursauts de conscience individuells ont émergé des actions collectives concertées, les enseignants les plus révoltés se sont retrouvés localement dans des assemblées générales de secteur, puis dans des AG de ville ou départementales. Leur volonté était double : se montrer solidaires des premiers objecteurs et s’associer à leur façon à ce mouvement. De là est née l’idée de lettres écrites et déposées collectivement tout en étant signées individuellement. Des échanges et des discussions ont eu lieu sur les écoles et dans les AG de secteur et ont finalement abouti à des dépôts massifs (388 lettres à Montpellier, ­­599 à Nantes, plus de 150 à Marseille...). De nombreux enseignants ont déclaré qu’ils n’appliqueraient pas les directives qu’ils jugeaient néfastes pour l’éducation et qu’ils entendaient poursuivre leur enseignement de la manière qui leur convenait. Ils sont soutenus par des collectifs de parents qui approuvent leur résistance. Les différents acteurs ont coordonné leurs actions en tentant d’y apporter leur contribution personnelle en fonction des moyens dont ils disposaient. Des parents ont écrit ou signé des lettres de soutien qu’ils ont amenées au rectorat en même temps que les lettres de désobéissance, ils étaient présents lors des rassemblements, des manifestations et des barrages filtrants devant le rectorat. Les conseils d’école ont voté des motions de soutien aux désobéisseurs ou de protestation contre les réformes gouvernementales. Certaines conférences pédagogiques n’ont pu avoir lieu comme le souhaitait la hiérarchie car elles ont été transformées en réunion de doléances. Des écoles sont occupées administrativement depuis des mois (occupation du bureau de la directrice ou du directeur et utilisation des ressources en terme de communication : liste mail des écoles, photocopies de mots aux autres parents). Des réunions ont lieu régulièrement dans les écoles (nuit des écoles, assemblée générale, collectifs parents-enseignants) dans lesquelles on discute des réformes, on planifie des actions, on confectionne des banderoles... Les enseignants se sont cotisés pour répondre aux sanctions financières appliquées contre certains d’entre eux. À Montpellier un ultimatum suivi d’une grève a été lancé contre l’inspecteur d’académie pour la levée des sanctions. Des actions symboliques ont été menées (chaines humaines autour des écoles). Les évaluations nationales des CM2 a été un moment fort de la lutte avec des enseignants qui refusaient de les faire passer, d’autres qui ne respectaient pas le protocole et surtout des parents qui ont récupéré les livrets pour éviter que leurs enfants soient soumis à ces tests.

Bousculer le ron-ron syndical

Ils y sont en partie parvenus en se passant des bureaucraties syndicales qui n’arrivent pas à se reconnaître dans un mouvement qui n’a pas attendu leur mot d’ordre et qui utilise des moyens qui leur sont étrangers, parfois même opposés pour les plus légalistes d’entre elles. Ainsi, sur Montpellier, Sud et la CNT sont partie prenante, le SNUIPP et le SNUDI-FO l’ont suivi sur certains points et se sont désolidarisés lorsqu’il s’est auto-organisé, l’UNSA-SE ne l’a jamais soutenu. Est-ce aussi parce que ce mouvement est porteur d’une ré-appropriation de l’école par ses acteurs et de réflexions sur son avenir ? Dans certaines écoles il a mené à des tentatives de définition de ce que serait une « école idéale ». Elles ont tenté de mettre un service maximal d’accueil (discussion avec les parents, tentative de les associer à des actes pédagogiques...) pour répondre au service minimal d’accueil, dans de nombreuses assemblées générales la question des rythmes scolaires a été soulevée avec une volonté de redéfinir une école réellement adaptée aux enfants. Ce mouvement a permis de regrouper et solidariser des salariés de l’éducation et des parents en créant un pont traversant les barrières institutionnelles.

Ceci s’est produit non seulement avec des parents issus des classes moyennes ayant un certain bagage scolaire qui facilitait ce rapprochement, mais aussi avec des parents issus de milieux défavorisés plus réticents vis-à-vis de l’institution scolaire qui ont eux aussi été saisis par la gravité de la situation et ont bien compris qu’ils seraient les plus grands perdants dans le système qui est en train de se construire, même si celui qui existe aujourd’hui est loin de les satisfaire entièrement.

Le mouvement s’est doté d’une structuration qui permette à chacun de s’en saisir et d’y être à la fois acteur et décideur (assemblée générale locale, collectif parents enseignants, coordination nationale...).

Un mouvement imparfait...

Parce qu’il bouscule bien des habitudes (pas toujours socialement efficaces d’ailleurs !), le mouvement a fait l’objet de critiques. Certains ont déclaré qu’il était inconséquent de se faire connaître lorsqu’on s’engageait dans la voie de la désobéissance. Mais bien souvent les enseignants qui l’ont fait remettaient déjà en cause les directives ministérielles et les appliquaient à leur manière voir pas du tout. S’ils ont décidé d’apparaître au grand jour c’est parce qu’ils estimaient nécessaire de donner une publicité à leur résistance pédagogique qui sans cela risquait d’être une goutte d’eau dans l’océan. Ils l’ont fait en connaissance des sanctions qu’ils risquaient car ils n’estimaient pas pouvoir poursuivre leur métier dans ses nouvelles conditions. Néanmoins si l’initiative de quelques individus a servi de déclencheur, cela a entraîné une personnalisation de la résistance qui a pour conséquence une certaine dépossession collective des acteurs du mouvement. Ce phénomène a été particulièrement flagrant au niveau médiatique où il est courant d’entendre citer une ou deux personnes comme désobéisseurs alors qu’il y en a plus de 2500.
Si l’ensemble du mouvement reste défensif (lutte contre les « réformes »), des questionnements sur l’école que nous voulons le traverse. Les échanges nombreux entre ses différents acteurs ont permis de combattre sur le terrain la propagande gouvernementale véhiculée par les médias aux ordres.

Bien sur le nombre de personnes mobilisées reste trop faible (quelques milliers de désobéisseurs sur les centaines de milliers d’enseignants que compte le pays) et la mobilisation est éparse (assez forte dans certaines villes, très faible dans d’autres communes). Les revendications sont nombreuses et ont parfois du mal à trouver un point fort de convergence ( 14 points de refus dans l’appel de l’AG nationale). Il n’empêche qu’il a rarement été possible d’aller aussi loin dans l’auto-organisation d’une lutte, particulièrement en l’absence d’une grève reconductible.

Mais qui ne demande qu’à s’étendre et progresser

Du chemin a été parcouru mais il en reste beaucoup. Espérons que les réalisations servent de base, que la dynamique s’étende à l’ensemble des régions. Ne serait-il pas fabuleux de voir de plus en plus de parents s’inscrire dans une logique de construction aux côtés des personnels de l’éducation pour construire solidairement une N’autre école. Nous sortirions enfin d’une opposition sclérosante qui cantonne chacun dans son rôle et permet au système inégalitaire, aliénant et liberticide de continuer à nous nuire.

Et si la nécessité de désobéir pouvait grandir dans l’esprit de tous les travailleurs pour qu’enfin nous décidions par nous même de l’organisation de notre travail.

Si dans tous les quartiers et dans tous les villages le besoin de s’auto-organiser se révélait enfin pour que nous puissions reprendre ce qui nous appartient : la gestion de notre vie.
N’est-ce pas ça la révolution ?