Accueil > Tous les numéros > N° 30 - "École & familles" > Le Sou des écoles laïques

Le Sou des écoles laïques

dimanche 20 novembre 2011, par Greg

Les « œuvres complémentaires de l’école » désignent tout ce qui concourt au fonctionnement
de l’école, complète son enseignement, favorise la scolarité et la réussite scolaire (enfin, en principe).
Parmi ces œuvres, depuis le dix-neuvième siècle, figurent la caisse des écoles et le Sou des écoles.
Aujourd’hui encore, le Sou des écoles est actif dans de nombreuses communes rurales.
Une de nos lectrices s’exprime à ce sujet et au sujet d’une place que pourraient avoir les parents dans l’école.

Appel à cotisation

Chers parents,

Le soutien financier du Sou des écoles pour les activités scolaires étant important et afin d’assurer la réalisation de tous les projets d’école (sorties, intervenants) pour cette année, il est demandé une participation financière de :

10 € ....... 1 enfant

19 € ....... 2 enfants

25 € ....... 3 enfants et plus

Votre cotisation est à régler obligatoirement lors de l’assemblée générale le :

Vendredi .. septembre à 20 h 30

Nous vous rappelons que l’association sera dissoute cette année si aucun parent ne se porte volontaire pour faire partie du bureau.
Cordialement,

Le Bureau

Qu’est-ce que le Sou des écoles publiques ?

Le Sou est une association à but non lucratif. Il est géré par des parents bénévoles. Il est ouvert à tous les parents d’élèves. Le renouvellement des parents est souhaitable afin d’apporter un nouveau dynamisme et soulager les anciens. Les dates de réunions sont décidées d’une fois sur l’autre et sont affichées sur le panneau de l’école. L’assemblée générale du Sou a lieu chaque année à la rentrée : elle permet de faire le point sur les activités de l’année précédente, future et de réélire le bureau.

À quoi sert le Sou ?

Le Sou participe au financement des voyages, du cinéma, sorties scolaires, etc. La participation financière des parents s’en trouve réduite. Le Sou peut faciliter l’intégration des nouveaux venus. Les bourses aux vêtements ont permis la rencontre de très nombreuses mamans.
Comment pouvez-vous aider le Sou ?
En donnant un coup de main ponctuel aux activités. En participant aux réunions. En nous soumettant vos idées et remarques par la boîte aux lettres de l’école.

Rude accueil

Quand ma fille est entrée à l’école publique, nouvellement arrivée dans le village, il me semblait que l’école était le bon moyen de rencontrer des personnes. Un des premiers contacts fut avec les parents du Sou des écoles lors de la rentrée scolaire pour l’assemblée générale de l’association.

Un de mes cousins sur Saint-Étienne m’avait parlé de ce qu’il faisait dans l’école de ces enfants. Ils étaient une bande de parents-potes. Ils ont ré-ouvert la bibliothèque de l’école avec des permanences, ils ont organisé un vide-grenier dans le quartier avec scène ouverte pour les gens du quartier… enfin plein de choses qui donnaient envie de bouger pour son école.

Je suis donc allée aux premières manifestations du Sou de l’école, gonflée à bloc, pleine d’idées et d’envie, j’ai très vite déchanté.
La seule chose qui compte au Sou, c’est de faire du fric sans éthique afin de payer les activités scolaires des enfants et surtout le « beau voyage scolaire ».

Pas de discussion de fond, pas d’appropriation de l’école par les parents, mais un système pour faire du fric. Aucune idée du rôle que pourrait avoir le Sou face à une commune pro-école privée (c’est pourtant la raison d’être d’une telle association, cf. encadré). Aucune forme revendicative par rapport à la mairie. Aucune réflexion sur le devenir de l’école publique. Les rares parents qui ont voulu innover s’y sont cassé les dents. Il faut rentrer dans les clous pour que ça fonctionne comme il se doit sans penser à d’autres alternatives.
Je ne me retrouve pas du tout dans les activités organisées. Mon insertion dans le « monde des mamans » n’a pas réussi. J’ai l’impression d’être en marge et je n’ai plus du tout envie de m’y investir. Les enfants le ressentent un peu, ils ne comprennent pas forcement notre désintérêt pour les manifestations du Sou des écoles qui reviennent chaque année.

Les bourses aux vêtements

Il y en a une en automne et une au printemps. C’est l’activité phare du Sou, celle qui rapporte le plus d’argent, qui monopolise le plus de monde sur deux week-ends. Non, nous ne sommes pas dans le troc ou l’échange de vêtement, non plus dans le petit vide-grenier du village. Des gens de toute la contrée viennent déposer les vêtements qu’ils ne mettent plus pour les vendre. Le Sou étiquette, dispose, s’occupe de tout… Il prend une petite commission sur chaque vêtement déposé. Environ 10 000 articles arrivent sur les bancs de la salle des fêtes. À la fin du week-end, chacun revient récupérer son dû et repart avec ses vêtements invendus. Et non ! Nous ne sommes pas dans le système « je n’en est plus besoin, je donne ». On pourrait se croire sur eBay ; il faut profiter de tout… « On ne donne plus, les pau­vres n’en veulent même pas ! »

Et pour faire participer les parents à l’organisation de cette vente, on les invite en VIP à la prévente du vendredi matin… sinon tu te tapes la foire d’empoigne dès 14 h, l’après-midi.

Le téléthon et autres foires

Mais ça, c’est pour la bonne cause… Chaque année c’est plutôt dur d’expliquer aux enfants que je ne vais pas donner d’argent pour la tranche de pain d’épice qu’ils ont fait à l’école et que je n’irai pas lâcher un ballon au stade de foot.

« – Et si je suis malade comment tu feras ?… » me rétorque mon garçon.

Le marché de Noël : bon au moins j’ai un super sapin de Noël chaque année et pas trop cher. Pour le reste c’est comme de partout des stands de cochonneries dans la salle des fêtes avec la buvette et la vente de crêpe à l’entrée. Bon, les crêpes encore… J’ai donné une année… J’ai droit aussi à mes tickets de tombola… en plus pour gagner quoi… je vous le donne en mille : un voyage à Disney Land.
Il y a eu la foire au boudin et la foire à l’andouillette. Je n’y suis jamais allée, j’avais trop peur d’une élection surprise de Miss Boudin et Miss Andouillette comme cela existe dans certains villages du coin.

Essai raté

La fête de l’école est la dernière innovation : pour une fois qu’une activité avait lieu au sein de l’école, c’était plutôt une bonne chose. Cela partait d’une bonne intention mais qui, pour ma part, a dérapé. Des parents nouvellement investis dans le Sou des écoles ont eu envie de faire une fête de l’école en juin afin d’inviter parents et enfants à se réapproprier ce lieu hors du temps scolaire. Cela permettrait aux parents de découvrir l’école sous un autre angle et de rencontrer d’autres parents.

Mais les anciens du Sou ne voulaient pas d’une manifestation qui ne rapporte rien financièrement. Alors, en plus des expos, chants et danses des enfants, des jeux et stands ont été rajoutés. Pour 1 euro, les enfants avaient des activités pour l’après-midi. Par contre, ils ne devaient pas oublier de faire tamponner leur fiche afin de remporter le petit cadeau de fin de journée. Pour les parents, en attendant, une loterie avait été organisée avec des lots provenant des différents commerces du coin. Les mamans avaient fait des gâteaux revendus 1 euro la part à la buvette.

Encore une fois, on était retombés dans le système de la consommation (les tickets, la loterie, boire et manger). Les enfants ont passé leur temps à faire la queue et à courir d’un stand à l’autre afin de gagner leur petit cadeau. Pas de spectacle, ça coûte de l’argent… Pas de table ronde ou de discussions sur l’école… ce n’était pas le moment.

Je ne suis jamais allée au concours de pétanque (avec une buvette bien sûr). Les échos en font une grosse beuverie du samedi soir.

Bilan financier

Et tout ça rapporte 10 000 € à l’école. Et pour le reste :

– Subvention municipale pour les fournitures scolaires (30 € /enfants) : 6 750,00 €.

– Subvention culturelle de la municipalité (7,50 € par enfant) : 1 687,50 €.

– Transport et entrée piscine pris en charge par la municipalité.

– Subvention municipale pour les livres : 4 000 €.

– Subvention pour la direction : 500,00 €.

– Informatique gérée par la mairie.

Pour 225 enfants répartis sur 9 classes.

Reste à faire

La question à laquelle je ne sais pas répondre, c’est : comment trouver de l’argent sans tomber dans un business marchand à tout prix. Je pense qu’un juste milieu est à trouver. Il passe par des discussions et une concertation avec les enseignants. Les instits de l’école sont apparemment prêts à penser les projets autrement si le Sou n’arrive pas à suivre. Ils mènent d’ailleurs de leur côté quelques activités. Ils organisent une vente de livres en lien avec une librairie qui permet de rapporter des livres à l’école et une vente de plantes de producteurs du coin pour mettre un peu de beurre dans les épinards… ça marche plutôt bien.

Une lutte vis-à-vis de la mairie pour que les élus revoient les budgets de l’école à la hausse me semble indispensable. Avec eux, on a toujours l’impression de demander l’aumône alors que la commune est relativement riche et qu’elle favorise l’école privée.

La municipalité joue la carte soit-disant « équitable » entre les deux écoles. Tout le matériel est acheté en double. Sauf que l’école publique a neuf classes alors que le privé doit tourner à cinq. Que l’école privée le soit, de subventions !

J’ai rencontré des gens intéressants à l’école que j’ai rejoint par la suite comme représentante des parents d’élèves. Mais comme je n’ai pas trop de lien avec le Sou, je ne représente que quelques parents isolés et je rencontre finalement peu de parents.

Appel à témoins

J’aime bien les conseils d’école. C’est le rare moment qui permet de discuter avec les instits et de faire de bonnes piqures de rappel à la municipalité présente sur son rôle à jouer pour l’école publique, laïque et soi-disant gratuite du village. C’est dans ces circonstances que je me sens utile pour l’école et non pas en tenant les stands du Sou.
Désolée de cette caricature. Je pense que, dans certains villages, ça se passe autrement. En tout cas je l’espère. J’aimerais bien découvrir des expériences positives où des parents discutent, font des choses ensemble, construisent l’école avec les enseignants. ■

Corinne Badiou, parent d’élève.

Caisse obligatoire, sou citoyen

La « caisse des écoles », qui a pour but d’encourager et de faciliter la fréquentation scolaire, a été définie dans son principe par Victor Duruy (en 1867) puis est devenue le complément de l’école obligatoire (1882) : toutes les communes avaient obligation de faire fonctionner cette « œuvre complémentaire de l’école » ; il fallait, entre autres objectifs, convaincre les indigents de se passer du travail des enfants. Les sociétés dites « sou des écoles » sont, elles, à l’initiative des citoyens et ont été fondées notamment dans les communes où les municipalités ne font pas fonctionner de caisse des écoles, ou dans les cas où l’hostilité à l’école publique les paralyse. Comme la caisse des écoles, le sou des écoles vise à favoriser la fréquentation scolaire en fournissant aux enfants indigents fournitures, vêtements, livres, chaussures ; parfois une cantine est organisée.

(D’après La Commune et les œuvres complémentaires de l’école, Étienne Daquin, Librairie administrative Paul Dupont. 1907)