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L’égalité : encore un effort pour y arriver

vendredi 4 octobre 2013, par Greg

L’expérience que décrit ici Laurence Morison est une de ces actions nécessaires pour parvenir
à l’idéal affiché mais insuffisamment poursuivi dans l’éducation, une de ces actions
qui permettent d’effectuer la prise de conscience nécessaire des stéréotypes encore à l’œuvre.

Les participants à la Semaine de la presse 2013 étaient invités par le Clémi (Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information) à « écrire un texte journalistique pour interroger et déconstruire les stéréotypes sexistes ». Certes, je n’ai pas attendu d’y être incitée pour faire repérer à mes élèves les clichés sexistes croisés dans les textes, les publicités ou les comportements. Mais je m’étais souvent contentée de remarques plus ou moins acerbes, considérant mes ados comme tout acquis à la cause. Le caractère militant et indépendant des partenaires du concours (le magazine Causette et le site d’informations Les Nouvelles News) achève de me convaincre, et je me lance dans le projet, avec une classe de 4 e.


Sexisme et racisme

Surprise : le sexisme est une forme de discrimination qui n’est pas identifiée comme telle par les élèves. Pour quasiment tous, filles ou garçons, réserver un métier ou une activité à un sexe, par exemple, n’est pas perçu comme une discrimination.

Faire un parallèle entre racisme et sexisme s’est avéré efficace. Montrer que c’est par le même type de raisonnement douteux et malsain qu’on arrive à l’idée que certains métiers sont interdits aux Arabes, aux Noirs, ou aux femmes fait réagir rapidement les élèves. Très vite, ils ont compris que les luttes antisexistes sont aussi importantes que les luttes antiracistes, et qu’elles visent le même objectif : une société plus égalitaire.

Les injonctions contradictoires

Il n’en reste pas moins que les discriminations liées au sexe sont, a priori, bien admises par ces adolescents qu’on dit rétifs à toute forme d’injustice. C’est que le sexisme est sans doute la discrimination la plus enracinée dans les mentalités, dans les fonctionnements sociaux et familiaux, relayée par les religions comme par les publicitaires… Le chantier de déconstruction proposé par le Clémi est immense. La pierre qu’il m’intéresse, moi, de retirer à l’édifice phallocrate, est celle que l’école y a placée, celle que j’ai parfois la désagréable impression de porter en tant qu’enseignante de l’Éducation nationale, et qu’elle nous demande elle-même, au détour d’un concours, de repérer.
Nous avons donc travaillé sur les manuels scolaires, pour mettre au jour la place qui y est réservée aux femmes.

Les élèves ont travaillé par groupe de 4, sur 6 manuels différents, à l’aide de la « grille d’analyse des manuels scolaires » proposée par le Centre Hubertine Auclert 1. Cette grille est très fonctionnelle, et permet des relevés précis de la place des femmes dans les manuels en fonction de la position dans laquelle elles apparaissent : sphère domestique ou professionnelle, position d’autorité ou subalterne, etc. Néanmoins, n’y apparait pas un critère qui s’est parfois révélé important : celui de l’âge. Certains manuels traitent les enfants et adolescents de manière égalitaire quel que soit le sexe (même nombre d’apparitions, même centres d’intérêt ou activités), mais cette « parité » disparaît dès lors que ce sont des adultes qui sont évoqués, et l’on retombe alors dans les clichés. Ce travail de « décorticage » des manuels nous a occupés trois séances au CDI avec la documentaliste, sachant que des chapitres ou des pages précises ont été analysés, mais non l’intégralité des manuels.

Les élèves ont ensuite, à la maison, rédigé leurs conclusions sous formes de phrases, et de chiffres précis. En classe, chaque groupe a fait part de son travail aux autres. Les conclusions, riches et détaillées, étaient trop longues pour figurer dans l’article prévu. Comme nous souhaitions qu’elles soient consultables pour ceux qui le liraient, et nous avons donc décidé de les publier sur Internet. L’intérêt pour moi résidait surtout dans la visibilité offerte à notre enquête, et non dans des manipulations informatiques chronophages et sans grand intérêt pour les élèves. J’ai donc élaboré moi-même un blog 2 que chaque élève a pu consulter et modifier si besoin avant publication.

La rédaction de l’article s’est faite ensuite en commun et en classe, avec l’une des meilleures participations orales que j’aie jamais obtenue !

Prise de conscience

Avant de commencer les recherches, la classe était un peu sceptique sur l’inégalité de traitement hommes/femmes dans leurs manuels. Les adolescents voient bien le sexisme ambiant dans la société (la publicité notamment est très vite repérée comme véhiculant une image négative de la femme), mais il leur semble surprenant que les manuels scolaires, c’est-à-dire l’école relaie ces stéréotypes. Pour eux, ce qu’on voit dans un livre d’école est forcément irréprochable…

Les conclusions de notre enquête sont pourtant édifiantes : les femmes sont quantitativement moins représentées que les hommes dans les manuels, et dans des postures nettement moins valorisantes. Ce constat a surpris les élèves, et a passablement contrarié les filles : « Comment les choses pourraient-elles changer si même à l’école on nous dit que c’est comme ça et pas autrement ? ! » s’est exclamé l’une d’elles. Remarque très sensée, qui montre bien l’attente qu’ils et elles placent dans l’école, et corollairement, la déception ressentie.

Le travail mené a donc montré à mes élèves que l’école, elle aussi, est en contradiction avec ses principes affichés, relaye et transmet des stéréotypes, et donc des discriminations sexistes. Mais comment résister ?

Action systématique

Nous avons décidé de lutter à l’école contre les clichés véhiculés par l’école : les élèves signaleront, à voix haute, pour la classe et l’enseignant, les images sexistes qu’ils repèreront dans leurs manuels. Et ils l’ont fait. La réaction des collègues est sensiblement la même d’un cours à l’autre : un peu d’étonnement (« ah oui, je n’avais pas remarqué »), une forme de bienveillance certes, mais souvent teintée d’amusement, voire de moquerie, comme si le sujet était léger… C’est d’ailleurs la même réaction entre adultes, lorsque j’en parle avec mes collègues : le sexisme reste un sujet vaguement frivole qui incite, en salle des profs comme au café du coin, aux blagues potaches plus qu’au militantisme.

Quant à la hiérarchie, assez fidèle à elle-même, elle s’est montrée fort intéressée par l’article de mes élèves… une fois qu’il a remporté le premier prix du concours 3 ! Suite au prix obtenu, la chef d’établissement s’active pour informer la presse locale et le maire de la ville, mais n’envisage aucune action directe pour la promotion de l’égalité des sexes dans l’établissement. D’ailleurs son papier à entête et sa signature stipulent bien qu’elle est « LE principal ». Un refus de féminiser la fonction qui en dit long… ■

Laurence Morison, enseignante en collège.

1. http://www.centre-hubertine-auclert.fr/education-pour-des-manuels-scolaires-et-des-supports-educatifs-non-sexistes

2. http://enquetedes4e4.unblog.fr/

3. Notre article a été publié dans Causette (juin 2013) et sur le site des Nouvelles News http://www.lesnouvellesnews.fr/
index.php/chroniques-articles-section/
chroniques/2835-manuels-scolaires
 jusqua-quand-le-masculin-va-t-il-
lemporter-sur-le-feminin-