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L’école, tout contre l’entreprise

dimanche 16 juin 2013, par Greg

Par Philomène, N’Autre école.

Le rapprochement école-entreprise fait partie des missions des académies et,
dans ce domaine, l’institution proclame qu’il faut prendre en compte la « réalité sociale »
(c’est-à-dire le contexte économique, présenté comme inéluctable). Cette réalité sociale
que, habituellement, on nie dans l’élève, entité abstraite dépourvue de « condition » sociale.

Faute d’une analyse poussée, nous vous livrons en vrac quelques éléments qui mériteraient d’être approfondis, historicisés. À vous de repérer dans vos académies les responsables de cette mission, leurs (mé)faits et leurs alliés plus ou moins bien intentionnés : de nombreux « partenaires » ont été agréés sous la présidence de Sarkozy.
C’est bien sûr dans les filières technologiques et professionnelles que le lien école/entreprise est le plus évident.

Qui en tire profit ?

Il y a eu des études déjà anciennes qui montraient comment l’enseignement technique et l’enseignement professionnel préparaient les élèves à leur condition de travailleur exécutant subalterne ; elles montraient comment la formation pratique des élèves, loin d’être un biais pour les faire accéder à une maîtrise de leur activité, consiste en une série de procédures, de savoir-faire, étroitement délimités et répétés (qui osera dire « jusqu’à l’abrutissement » ?).

Le volume 131 de la Revue française de pédagogie, paru en 2000, propose plusieurs articles sur le sujet (disponibles sur le site de revues Persée : rfp.revues.org/persee-281575), notamment « Un siècle de formation professionnelle en France : la parenthèse scolaire ? » de Vincent Troger, Guy Brucy, ou « Le métier de chef de travaux : entre l’école et l’entreprise », de Stéphane Beaud. Il y a eu aussi des études sur les écoles internes aux entreprises.

On pourrait en outre se pencher sur les licences mises au point en concertation entre une université et une firme ; ces licences professionnelles sont des sortes d’apprentissage du supérieur et apparaissent et disparaissent des offres de formation au gré des besoins.

« Depuis 2003, l’État encourage toute forme de coopération enseignement-entreprise. Il a développé une série de mesures fiscales, juridiques, réglementaires afin de favoriser ce type de partenariats au sein de fondations universitaires. Notamment, la loi relative aux libertés et responsabilités des universités dite « Loi Pécresse », adoptée au mois d’août 2007, a posé la nécessité de nouer ce mode de collaboration. Une modification du régime juridique autorise la mixité des fondateurs et l’entreprise peut ainsi déduire, à hauteur de 60 %, dans la limite de 5‰ de son chiffre d’affaires, le montant annuel de son adhésion. Depuis la parution du décret d’applications, publié le 7 avril 2008, une trentaine d’universités ont déjà créé leur fondation. » Voilà ce que l’on peut lire sur le site du Cegid.

Dès l’école élémentaire

La coopération commence très tôt. Il suffit de lire sur les sites académiques les différents dispositifs (c’est le terme consacré) mis en place : la semaine de l’industrie, la semaine École-entreprise (cf. www.education.gouv.fr/cid56498/semaine-ecole-entreprise.html), les incitations insistantes à se former avec des partenaires (stages au PAF, plan académique de formation, organisé par la « Cellule relation école - entreprise). Les enseignants du technique, eux, ont leur Centre d’Études et de Recherches (voir le site www.cerpet.education.gouv.fr/) « cœur de la relation éducation-entreprise » ; la lecture du site laisse penser que l’activité économique est florissante.

Proximité école-chômage

À l’heure où les élèves les moins favorisés ne croient plus à l’ascenseur social, ni au mérite scolaire illustré par quelques réussites-alibi, quand les plus cyniques savent qu’il ne suffit pas de bien travailler à l’école pour avoir un bon métier (c’est-à-dire moins se fatiguer et être mieux considéré), alors que l’orientation est le contraire de ce qu’elle prétend être (on fait « l’éducation aux choix » pour les élèves qui ne l’ont déjà presque plus, le choix, dans un système sélectif où les passerelles entre cursus sont rares et les handicaps acquis parfois rédhibitoires), tandis que la crise (phase cyclique du capitalisme et que les programmes d’économie nomment « fluctuation ») condamne des milliers de travailleurs au chômage, il est urgent de faire de l’école une garderie plus ou moins animée (certes, les statistiques tendent à montrer que, malgré tout, un bon cursus scolaire favorise l’obtention d’un emploi ; nous signalons cette statistique avec toutes les réserves vis-à-vis des méthodes statistiques et de l’utilisation des résultats).

Garde rapprochée

Des heures d’accompagnement personnalisé (AP), lequel se pratique en groupe !, peuvent être consacrées à des rencontres avec des associations d’entrepreneurs partenaires (voir la liste sur votre site académique) dont certains se font un plaisir de raconter qu’ils ont fondé leur entreprise sans diplôme et qu’ils n’étaient pas bons à l’école.

Rappelons que l’AP a été instauré au détriment des enseignements disciplinaires et que ces heures, qui sont parfois l’occasion d’heureuses initiatives, sont elles-mêmes très « accompagnées » par des instructions qui les bordent assez strictement. Encore une chance manquée (ou plutôt soigneusement détournée) de faire de la pédagogie active ou de la pédagogie sociale.

Il est possible de banaliser (c’est-à-dire supprimer) des heures de cours au profit d’une conférence de chef d’entreprise, d’un recruteur de multi nationale qui distribue à la fin de beaux cadeaux publicitaires (du stylo au sac de voyage). Certains se souviennent peut-être des débats houleux provoqués par un petit film éducatif, au demeurant pas mal fait : sa projection fut refusée tant par des enseignants que par des inspecteurs parce qu’il était réalisé par une marque de biscuit et que celle-ci apparaissait ! Aujourd’hui, les marques s’affichent sans gêne et ce n’est pas la maigre part (quand il en reste) faite à la critique qui compensera la soumission de l’école au marché de l’emploi.

Divers aspects de la question

La relation école-entreprise se noue en effet de plusieurs manières : la marchandisation en est une, le formatage des futurs exploités en est une autre. La technologie au collège en est encore une autre. La naïveté avec laquelle les professeurs de technologie appliquent leurs programmes me fait penser à cet étudiant en philosophie qui parodiait les questions fondamentales de l’Humanité selon Kant (pour faire court : que puis-je connaître, que dois-je faire, que m’est-il permis d’espérer) en déclarant que dé­sormais ces questions étaient : comment ça marche, à quoi sert, combien ça coûte ?

Cette relation qui, répétons-le, est étudiée (cf. diverses publications de l’ex-INRP et des lectures comme Willis) se vit également sous forme de stages et seules des initiatives individuelles cherchent à éviter la fatalité qui affecte certains à la supérette du quartier, tandis que les autres « découvrent » un labo de recherche, un théâtre, une maison de production.

Les pistes à peine ébauchées dans cet article méritent d’être explorées ; tous ceux qui travaillent dans l’enseignement technique ou professionnel en ont parcouru quelques longueurs. Ils savent combien il est difficile de préserver, au milieu des contraintes, la part indispensable d’esprit critique, de recul, d’imagination qui contribuera à la prise de conscience des élèves. Voulons-nous des consommateurs asservis, corvéables au gré des circonstances provoquées par ceux qui « jouent aux dés notre royaume 1 » ? ou voulons-nous vivre dans un monde peuplé d’individus libres, qui, même forcés de vendre leur force de travail, inventeront leurs moyens d’accès au savoir, leur manière d’être au monde ? Un monde dont on leur aura donné autre chose qu’un mode d’emploi d’une part misérable. ■

1. Comme le chante Ferré.

Tenue pro

Sous le prétexte d’enseigner des savoir-être, de faire découvrir les codes sociaux,
une des manies qui se répand dans l’EN, est, dès le collège, de demander que
les élèves, à certaines occasions (exposés, oraux de stage, etc.) viennent en « tenue
professionnelle ». On voit alors des garçons endimanchés et des filles fagotées comme pour aller en boîte. À des filles juchées sur des talons instables, entravées par des jupes étroites et le buste mis en valeur par un « top » très sexy, la documentaliste demande
si on leur a expliqué ce qu’est une tenue professionnelle (bleu de travail, combinaison
de pompiste aux couleurs de la marque d’essence, tablier de cuisinier ou de maréchal-ferrant, blouse du professeur de sciences, survêtement du professeur d’EPS) ; puis
la discussion vient sur les signaux sexistes que comporte leur tenue de « Mamzelle Jane » (cf. Franquin), sur l’imaginaire de la secrétaire maîtresse du patron, les « promotions canapé ». L’échange est drôle et pour finir, ayant appris la polysémie du mot « professionnelle », les élèves déclarent en riant : alors, nous on est en tenue pro - vocante. □