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Jours de destruction, jours de révolte de Chris Hedges et Joe Sacco

samedi 5 janvier 2013, par Greg

Le nouveau Joe Sacco édité chez Futuropolis n’est pas une bande dessinée. Sa contribution graphique peut d’ailleurs paraître au total assez restreinte : une quinzaine de pages si on additionne les illustrations et les planches de bande dessinée. Mais le livre n’existerait pas sans sa motivation première et son implication. Après ses reportages graphiques sur différentes zones de conflit de par le monde, Bosnie, Palestine ou Tchéchénie, il revient États unis pour constater près de chez lui les ravages sociaux, humains et écologiques causés par plus d’un siècle de capitalisme industriel et plus de vingt ans d’un capitalisme globalisé.

Avec l’aide de Chris Hedges ancien correspondant du New-York Times et spécialiste de la société américaine, il part à la rencontre du peuple, principale victime du conflit social l’opposant une minorité de possédants rentiers, de chefs d’industrie ou de politiciens corrompus. Ils restituent au travers de poignantes interviews la parole des déçus ou des contradicteurs du modèle américain : pour les amérindiens, pour les ouvriers licenciés, en maladie professionnelle, pour les chômeurs, pour les SDF ou encore les travailleurs clandestins surexploités, pas de promesse d’une réussite individuelle, mais le désespoir d’une vie de misère et d’abandon.

Formellement, le bouquin est inclassable : c’est un long reportage plein de chiffres, d’informations factuelles, d’anecdotes historiques et émaillé d’interviews, d’illustrations et de portraits graphiques. Il n’est pas sans rappeler les articles et les livres produits à l’époque du New Deal par les journalistes, graphistes et photographes politiquement engagés qui sillonnèrent le pays, à la rencontre des paysans et des ouvriers jetés sur les routes par la crise économique de 1929. Le ton subjectif, l’illustration noir et blanc et la typographie semblent être des emprunts revendiqués. Comme à l’époque, l’ambition du livre ne s’arrête pas au témoignage : il cherche à expliquer comment la réussite du modèle capitaliste américain s’est construite sur la surexploitation des ressources et des travailleurs. Dans sa préface Chris Hedges conclue : « Le capitalisme oligarchique va tous nous tuer. Au sens propre du terme. Comme il a tué les Amérindiens, les afro-américains(...), les laissés pour compte (…), les ouvriers agricoles (…). rien ne l’arrête, tant que cela permet d’engranger des bénéfices ». C’est un peu le pendant négatif d’Une Histoire populaire des États-Unis d’Howard Zinn que les deux auteurs citent régulièrement et qui semble avoir inspiré leur construction chronologique.

Leur périple sur la côte Est s’arrête sur cinq territoires marqués et dévastés par cinq moments historiques de l’hégémonie du capitalisme américain : Le Temps des spoliations, raconte la réserve indienne de Pine Ridge et les effets persistants du colonialisme sur les conditions de vie des amérindiens actuels ; Les Jours de sièges, les effets de la crise financière sur la population de Camdem et la corruption des services de la ville et de l’état de Pennsylvanie ; Les Jours de destructions, l’éradication du syndicalisme minier, le détournement de ses revendications et l’anéantissement des ressources naturelles des montagnes de Virginie occidentale. Le Temps de l’esclavage, traite l’exploitation des immigrés mexicains et guatémaltèques par l’industrie maraîchère en Floride. Le constat est accablant, car nulle part, en dépit de la mémoire des luttes passées, du courage des individus qui luttent et résistent au quotidien, il ne semble y avoir de sursaut collectif et revendicateur pour s’opposer au désastre. Et sans les illustrations et les courtes courtes bandes dessinées de Sacco, sans les témoignages plein de vie, la lecture de ces 300 pages serait désespérante.

De l’espoir, presque inattendu, il y en a : à destination ! Dans le dernier chapitre, Jours de révoltes, les deux compères dressent presque au jour le jour le compte rendu du mouvement Occupy Wall Street qui sur le modèle des indignés espagnols, campe devant les mur de Wall Street, à New York, pour dénoncer la crise financière et la main mise de l’oligarchie capitaliste sur les richesses mondiales. Au travers des conversations avec différents acteurs du mouvement, Chris Hedges se déclare très nettement anticapitaliste, plébiscite les essais de démocratie directe sur le campement et appelle de ses vœux le réveil de la conscience du peuple américain. On a vu depuis le campement être viré manu militari et Barack Obama être réélu à la présidence. Occupy Wall Street est-il un échec ou la renaissance de l’action collective au États Unis ? Sur la couverture, les lettres de jours de révolte sont écrites en noir et en gras quand celles de destruction sont gris cendre. Le rouge contraste avec le noir et le gris. Les auteurs et l’éditeur semblent dire qu’un espoir est possible...

Éric Z.

Jours de destruction, jours de révolte, Chris Hedges et Joe Sacco, Futuropolis, 2012, 313 p., 27 €.