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Du travail à l’activité

lundi 15 avril 2013, par Greg

Par Bernard Collot,
Enseignant, militant de l’école rurale, auteur de Une École du 3 ème type ou la pédagogie de la mouche, L’Harmattant, 2002.

Bernard Collot dans son ouvrage L’École de la simplexité*, propose, au-delà de « l’éducation du travail » de Freinet et les pédagogies du jeu, de fonder l’école sur la notion « d’activité ».
On trouvera ci-dessous des extraits de cet ouvrage, remodelés dans le cadre de cet article.

On pourrait appeler travail toute activité que l’on est contraint d’effectuer. On peut éventuellement y trouver de l’intérêt ou du plaisir, mais la question ne se pose pas parce qu’il n’y a pas de choix et ce terme a toujours été lié à la notion de contrainte, de douleur.

Quand l’école nous travaille…

Dans l’enseignement traditionnel, le travail, c’est ce qui est contraint, ce qui demande de l’effort, ce qui doit être exécuté puis contrôlé, ce qui n’est pas drôle, ce qui fait suer. Le travail, c’est l’exercice. Il n’a pas d’objectif, d’utilité immédiate si ce n’est d’échapper à la punition ou obtenir une récompense qui n’a rien à voir avec le travail exécuté. Travailler pour son avenir n’est pas audible par un enfant.

Seul ce travail est considéré comme productif en terme d’apprentissage. Le reste n’a que valeur subal­terne de détente. Peindre, chanter, faire de la gym, se promener, etc. n’est pas vu comme du travail, ni par les enseignants, ni par les enfants, ni par les parents.

La pédagogie du travail ?

Né dans le bouillonnement des révoltes ouvrières, le mouvement Freinet considère, quant à lui, le travail comme une chose noble au plus haut point dans son indispensable utilité aux autres. C’est naturellement que la pédagogie Freinet a été qualifiée par son promoteur comme la « pédagogie du travail ». Le travail n’ayant alors pas le même sens que dans l’école traditionnelle, il devient une activité où l’on ne fait pas semblant et dont l’objectif est la production d’utilité, à soi-même ou aux autres (en opposition au faire semblant du jeu sans autre objet que le plaisir et au travail scolaire traditionnel, sans utilité immédiate ou perceptible). Et il doit en rester quelque chose : un objet, une trace un journal, un album, un exposé.
À remarquer que le terme de travail n’a alors de sens que s’il est utilisé en même temps que celui de groupe, de microsociété. Ils sont intimement liés, jusque dans l’organisation qui en découle et qui le rend possible (organisation coopérative, plan de travail). La valeur du travail est fonction de sa reconnaissance par le groupe. Dans les pédagogies traditionnelles, cette valeur dépend du seul jugement du maître et se traduit en une note. Le travail produit simplement un chiffre, un classement. Ce qui est la reproduction ou la préparation de la société actuelle : suivant son travail, on obtient un chiffre (montant d’un salaire), un classement (classes populaires, classes moyennes, cadres, cadres supérieurs) qui n’est pas en relation avec l’utilité du travail effectué pour la collectivité.

Mais pour l’enfant, c’est le plaisir qu’il y trouve qui prime.

Face à des activités qui n’ont d’autres raisons que l’apprentissage (fichiers autocorrectifs, par exemple), toute la difficulté est que celles-ci soient librement acceptées comme faisant partie du nécessaire bagage à acquérir pour participer pleinement… au travail (c’est parfois bien difficile d’établir une corrélation entre ce que je fais pour apprendre et ce que je pourrai en faire après). Dans beaucoup de classes Freinet, il y a cette distinction entre ce qui relève de l’organisation du travail à valeur sociale (en général c’est la partie coopérative de la classe) et l’organisation du travail purement cognitif (fichiers autocorrectifs). La plupart des « plans de travail » témoignent de cette organisation bicéphale. En éliminant le jeu sans chercher à savoir tout ce que l’on peut mettre sous ce terme, en l’opposant au travail, on réduit celui-ci à son seul sens social.

Dans une école du 3ème type 1, nous reconsidérons donc les grands piliers des pédagogies modernes qu’ont été le travail et le jeu.
Cette fois la notion de travail n’englobe plus seulement ce qui peut être caractérisé par sa fonction sociale ou implique l’idée d’effort contraint. Elle n’exclut pas non plus ce qui pourrait être considéré comme seulement ludique ou gratuit. Elle englobe toute activité nécessitant une énergie et dont résultera une transformation de la personne mobilisant cette énergie.

A contrario, dépenser de l’énergie pour exécuter une activité qui n’a pas un sens concret et immédiat (comme les exercices, les fiches…) ou qui est imposée, a souvent un effet nul, voire un effet contraire.
Dans une école du 3 e type, toute activité y compris le jeu est considérée comme un « travail ». Toute activité, individuelle, collective, est productrice de transformations dans la mesure où elle émane de projets individuels ou collectifs.

Quels apprentissages ?

Apparemment, aucune activité naturelle ne va déboucher naturellement sur l’apprentissage de la mécanique de la division ! Ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas possible : actuellement mon fils ­
(6 ans et demi) s’évertue à apprendre à lacer des chaussures alors qu’il a à sa disposition le génial scratch qui élimine le problème ; mais sa meilleure copine, sait, elle, lacer des chaussures ! L’apprentissage du laçage de chaussures fait partie donc de ses projets quotidiens… grâce ou à cause de la copine. Voir un autre diviser pour une raison quelconque peut très bien donner l’envie d’apprendre à diviser, sans autre but.

Tous les apprentissages que l’école doit produire (contenus dans des programmes) vont confronter les enseignants à ce questionnement : y aura-t-il, au terme de telle ou telle activité, la réalisation d’un apprentissage requis ? Seront filtrées et sélectionnées les seules activités susceptibles d’aboutir aux apprentissages demandés. Par exemple, est-il sérieux de considérer qu’un enfant qui peint, écoute de la musique, joue à la marelle, s’amuse à inventer n’importe quoi… travaille ? Ce n’est accepté que si on le considère dans sa face détente, nécessaire… à la rentabilité du travail qui suivra. Mais que ces activités puissent être directement liées à la construction des apprentissages référencés est difficilement accepté.
Tout change si, au lieu de considérer que l’objectif de l’école est la réalisation d’un certain nombre d’apprentissages dûment répertoriés, on assigne à l’espace scolaire la fonction de favoriser la construction et l’évolution des langages.

Toute activité, quelle qu’elle soit, nécessite et produit des langages. Située dans tel ou tel environnement, elle induira l’apprentissage de tel ou tel code (langues écrites, mathématiques, scientifiques, etc.). Les connaissances ne sont que des objets accessibles, intégrés et utilisés en fonction du niveau des langages possédés. Le problème devient alors radicalement différent.

L’école comme lieu de projets qui nécessitent des langages
L’école devient un lieu où peuvent se réaliser les projets ; son environnement interne favorisant l’utilisation des langages tels l’écrit, les langages mathématiques, scientifiques. Ce qui est important, c’est l’activité qui va mobiliser de l’énergie et dont résultera une transformation (un mouvement, une évolution…) des constituants du sujet, c’est-à-dire ses langages.

Ce n’est pas la nature du projet qui a une valeur sociale, mais sa mise en œuvre dans un groupe où il prend sa place parmi d’autres projets et dont il contribue à la dynamique d’ensemble. L’activité nécessite un moteur, celui-ci n’est plus forcément l’intérêt social mais l’intérêt individuel, et, entre autres, le plaisir. Nous renversons l’ordre des choses : dans l’espace scolaire, un certain nombre de projets peuvent prendre naissance et se décliner en une activité alors qu’ils ne pourraient le faire, ou moins le faire facilement, dans les autres systèmes auxquels appartient l’enfant (famille, rue, quartier).
L’environnement scolaire, son agencement, son inclusion ou son interférence avec d’autres systèmes (quartier, réseaux d’écoles) permet un développement de ces projets qui ne pourraient avoir lieu ailleurs et qui suscitent, utilisent des langages moins usités (écrit et mathématique, scientifique). De même que l’espace scolaire lui-même suscite alors des projets qui ne naîtraient pas ailleurs (créations mathématiques par exemple).

L’auto-organisation

Ces projets, qu’ils soient individuels ou qu’ils concernent plusieurs enfants ou le collectif tout entier, ne peuvent se développer que s’il en résulte une auto-organisation. L’organisation du travail, qu’on appelle plus souvent l’organisation coopérative, n’est pas un cadre permettant a priori tel ou tel travail pour tel ou tel objectif, telle ou telle production (cela, c’est l’entreprise). Elle résulte du besoin d’organisation nécessaire pour que puissent être réalisés les projets de chacun. L’organisation n’est pas préalable à l’activité, elle en est la conséquence.

La richesse de l’incertitude de l’activité

Dans l’histoire du mouvement Freinet, l’organisation coopérative a d’abord été la conséquence de l’introduction d’activités longtemps considérées comme incongrues (imprimer, fabriquer des journaux, répondre aux lettres d’autres enfants,…) et non pas l’instauration a priori d’une institution calquée sur les institutions politiques ou industrielles.

Ce que j’appellerais la pédagogie de l’activité se distingue de l’ensemble des pédagogies dites actives. Dans celles-ci, l’activité est bien considérée comme seule productrice d’apprentissages, au contraire des pédagogies classiques de transmission. Mais la proposition d’activités, leur organisation, la conduite du processus, le suivi jusqu’à son aboutissement restent essentiellement le fait de l’enseignant ou doit être cautionnée par le collectif. L’opération « la main à la pâte » en est une belle illustration. Dans chaque activité proposée ou acceptée, l’enseignant connaît les objectifs précis auxquels elle doit aboutir. Dans ce sens, on est bien dans une pédagogie du travail si le « travail » est une activité qui doit « produire » un objet prédéterminé, parfois standardisé, dans une organisation plus ou moins autogérée. C’est la production envisagée qui valide l’activité.

Dans une école du 3e type 1, il s’agit de n’importe quelle activité, celle-ci appartenant à l’enfant, dépendant de ses propres besoins, intérêts, envies, nécessités… mais devant se réaliser dans un espace social, un système vivant auquel il appartient et qu’il contribue ainsi à faire exister. La construction des langages sociétaux dont il a besoin et dont a besoin la société étant alors une conséquence de cette double nécessité.

En bref, on peut opposer aux fausses certitudes du travail, la richesse de l’incertitude de l’activité ! ■

* L’École de la simplexité de Bernard Collot (540 p., 25, 19 €) est disponible chez TheBookEdiction.com

1. Bernard Collot a travaillé sur cette notion « d’école du troisième type » : voir son site http://pagesperso-orange.fr/b.collot/b.collot/