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DE RETOUR DE GRÈVES : On achève bien les manifestants !

jeudi 13 janvier 2011, par Greg

On achève bien les manifestants !

Par jean-Louis Van Phan - CNT communication RP

Le mouvement social de l’automne 2010 est passé, il nous paraît important de revenir dessus car malgré les fortes mobilisations qu’il a entrainé, c’est un échec mais aussi pour une partie de ses participants la sensation de ressentir une immense gueule de bois, avec le sentiment aigu, c’est le cas de le dire, de s’être fait balader de manifs en manifs !

Pour comprendre pourquoi ce mouvement illustre fortement un tournant du syndicalisme, il faut revenir sur le choix initial des organisations syndicales dont les décisions ont lourdement pesé et finalement déterminé du début jusqu’à la fin son déroulement.
En choisissant d’organiser des journées d’action fortement espacées entre elles, les organisations syndicales avaient clairement dévoilé leur intention de ne pas engager de bataille frontale avec le pouvoir. Peut-être aussi que certains misaient sur une négociation de la dernière chance, mais malgré l’appel du pied de la CFDT le pouvoir est resté intraitable.

Il est fort probable que les organisations syndicales ont délibérément choisi une stratégie qui concorde avec leur évolution. Responsables, les syndicats le revendiquent hautement. Ils ont abandonné toute idée de bloquer l’économie ou même de gêner un tant soit peu cette activité. Il n’est donc plus question d’organiser la grève mais de mobiliser les masses. En même temps, on ne s’adresse plus uniquement aux travailleurs mais aux citoyens que l’on convoque à des manifestations, de préférence le samedi, jour de repos pour une grande partie de ses manifestants.

Par cette nouvelle orientation, nous assistons imperceptiblement à un déplacement du terrain où se joue le conflit social. La rue -non pas celle de l’émeute – mais celle de la procession, de la démonstration et du nombre (voir la querelle autour du chiffre des participants) dans une ambiance interclassiste remplace le syndicalisme de classe dont l’espace d’intervention classique demeure l’entreprise !
De cette façon, la grève n’est plus nécessaire dans la construction d’un rapport de force.

La lutte de classe peut être définitivement abandonnée au profit du jeu démocratique. Comme acteurs, ces syndicats n’ont plus besoin de s’appuyer principalement sur les travailleurs grévistes mais de s’entourer d’experts, de conseillers et autres spécialistes de la négociation.

Commencé depuis bien longtemps mais jamais vraiment abouti, le syndicalisme français vient peut-être d’achever son intégration à la société. Bien sûr la CFDT avait déjà accompli son recentrage depuis la fin des années 70, mais jusqu’à présent la CGT semblait encore y échapper. Avec ce dernier mouvement, nous pouvons penser que cette organisation a définitivement choisi son intégration même si ses troupes traînent encore les pieds et donc que sa direction a encore du souci à se faire de ce côté-là. D’ailleurs, il suffisait pendant les manifs d’écouter les cortèges CGT pour être convaincu que les troupes cégétistes ne partagent pas encore ces nouvelles orientations.
Mais paradoxalement, ce mouvement nous a montré en même temps que potentiellement le syndicalisme gardait toute sa capacité de mobilisation. Aujourd’hui encore, seule cette force collective peut rassembler autant de travailleurs et paralyser un pays par la grève !
Mais voilà, c’est cette perspective que les syndicats veulent définitivement abandonner !

Pourtant pendant ce dernier mouvement social, jamais nous n’avons autant entendu au sein des cortèges syndicaux des slogans appelant à la grève générale ou encore que c’était la rue qui décidait !
Mais pour le coup ces appels furent trompeurs car jamais il ne fut question pour ceux qui les clamaient de les mettre en pratique, ils obéissaient plutôt à un rituel incantatoire…De même et comme pour tous les derniers mouvements sociaux depuis 1995 des initiatives interprofessionnelles ont été lancées et parfois même organisées en soutien à des blocages. Bien sûr, il y a eu Marseille et les raffineries, mais jamais ces mouvements particuliers n’ont pris une ampleur suffisante pour orienter le mouvement dans son ensemble. Finalement les appareils syndicaux n’ont jamais eu à craindre le moindre débordement car ceux et celles qui ont pu le rêver n’étaient en définitive qu’une minorité. La grève reconductible, seuls quelques militants ici et là ont pu l’exercer mais dans l’isolement et sans conséquence pour modifier le rapport de force.

Nous devons le reconnaître la majorité des salariés n’était pas prêt à se mettre en Grève car il était sans doute trop tard pour les mobiliser.
Ceux et celles qui ont tenté de le faire dans leur entreprise ont très vite déchanté en constatant que seule une petite minorité –c’est-à-dire les militants et une partie des syndiqués- étaient finalement disposés à le faire. Les Thibault et les Chérèque connaissaient cette faiblesse dont ils étaient en partie responsables et ils ont su en tirer un argument majeur pour ne pas aller plus loin dans la mobilisation.

Puis après le vote de la loi, il semble que pour la majorité des manifestants tout était joué et donc il était vain de poursuivre le mouvement en opposant à la légalité parlementaire la légitimité de la rue. Sans doute parce que nous sommes trop imprégnés de notre imaginaire, nous n’étions pas en mesure de relever la température réelle et le niveau de détermination des travailleurs. Peut-être aussi que nous avons trop tendance à sous-estimer l’adhésion de la majorité des travailleurs à la démocratie, à ses institutions comme celles du parlementarisme et par conséquent que les valeurs comme l’esprit du syndicalisme d’action directe sont complètement étrangères à la plupart des travailleurs même si parfois spontanément les mêmes les exercent pendant un conflit ! Mais ceux-ci dans leur majorité ne comptent certainement pas sur eux-mêmes pour changer les choses. En ce sens, ils demeurent gouvernementalistes et s’en remettent aux décisions législatives. Pour cette majorité de travailleurs, c’est d’en haut et seulement de l’Etat que doivent venir les solutions.

D’ailleurs à Paris, les partis politiques ne se sont pas trompés, ils ont été particulièrement présents à toutes les manifs en faisant valoir –notamment pour le PS mais pas que lui- l’échéance électorale de 2012.
Du reste et en toute logique pour beaucoup de manifestants qui ont suivi sans appréciation les syndicats, c’est à cette même conclusion qu’ils sont arrivés après la fin du mouvement. Maintenant ils misent leur espoir sur la victoire de la gauche aux prochaines élections, en pensant que celle-ci au gouvernement reviendra sur la loi votée par la droite !
Cette attitude passive est encouragée et rendue possible parce que la forme d’action choisie par les syndicats à savoir celle de la manifestation a confiné et enfermé le mouvement social sur le seul terrain de la citoyenneté, bien loin de celui de classe sur lequel le syndicalisme s’exerce ordinairement et naturellement.

Avec cette orientation citoyenne, on peut dire que le syndicalisme change de nature pour se transformer en mouvement d’opinion. Pas trop différent de celui incarné habituellement par un parti politique.
Nulle exagération dans ce constat ni même d’hostilité contre le principe de manifester qui, -doit-on le rappeler- a accompagné toute l’histoire du mouvement ouvrier, en inscrivant parfois, surtout à ses débuts des dates historiques marquées par le sang des manifestants. Car ces manifestations prenaient la forme d’une protestation énergique et révolutionnaire, ce qui n’a rien de comparable avec celles d’aujourd’hui qui participent plutôt d’un rituel et d’une démarche démocratiques. On comprend mieux pourquoi, nos bureaucrates syndicaux sont si vigilants quant à d’éventuels débordements qui pourraient gâcher leur promenade organisée et leur faire perdre la sympathie supposée de l’opinion publique sur laquelle les médias et le pouvoir s’appuient habituellement pour déconsidérer le mouvement social. Le choix de s’inscrire sur le terrain de « la bataille de l’opinion » en dit long sur l’évolution du syndicalisme ! Rallié corps et âme à la démocratie, il ne risque plus de la gêner par des grèves irresponsables.

Exsangue depuis bien trop longtemps, avec un taux de syndicalisation très bas et accentué par sa division le syndicalisme français offre de moins en moins de perspectives même à court terme. Il ne se réserve qu’un rôle modeste, celui de négocier et d’accompagner les mesures capitalistes de l’économie. Dans ces conditions et confrontée au gouvernement sur la question de la retraite, l’intersyndicale regroupant l’essentiel des syndicats ne fut jamais en mesure de livrer une bataille décisive avec le gouvernement. Nulle trahison de leur part. C’est plutôt notre illusion de les croire encore susceptibles d’organiser un mouvement social conséquent et déterminé qui interpelle notre lucidité alors qu’ils ont choisi d’exercer un syndicalisme à peine réformiste mais sûrement assoupi, engourdi et pour tout dire autolimité !

A partir de ce syndicalisme réel et non rêvé et sans mobilisation populaire pour le dynamiser,
la défaite était annoncée et c’est ce qui immanquablement est arrivé !
Pour nous, si l’intégration du syndicalisme n’est plus à démontrer, plus difficile est de prouver sa complicité avec le système. Pourtant, le mouvement social de l’automne 2010 nous l’a montré d’une manière la plus prosaïque : nous nous sommes fait trimbaler de bout en bout !
C’est malheureusement ce qu’on doit retenir de ce mouvement. D’abord une défaite mais bien plus qu’une bataille perdue, c’est pour le syndicalisme son intégration quasiment définitive à la société française.
C’est pourquoi cette défaite est très grave car elle signifie l’abandon par les syndicats de leurs propres forces et facultés notamment toutes celles qui reposent sur leur autonomie intellectuelle. Nul besoin d’une subordination comme par le passé à un parti politique pour l’enchaîner et discipliner ses tendances anarchiques, le syndicalisme s’est lui-même châtré !

Rappelons-nous la phrase de Jean Grosset de l’UNSA : « Nous sommes en démocratie. A un moment donné, le politique prend le pas sur le social » En clair, le syndicalisme doit rester confiné sur un terrain balisé que la démocratie lui assigne, sans doute revendicatif mais surtout sans prétention révolutionnaire.

Essentiellement organisé autour de journées d’action sans lendemain, le mouvement social de l’automne 2010 n’a guère laissé de place à l’émergence d’initiatives pouvant le bousculer sinon le pousser pour aller plus loin. Certes l’idée de grève générale a survolée ce conflit mais sans vraiment rencontrer un écho suffisant pour se concrétiser. En clair, les syndicats ont su garder le contrôle de leur mouvement jusqu’à sa fin.
Pour nous et comme nous l’avons souligné plus haut cela n’a rien de surprenant, c’est plutôt conséquent et du à la forme d’action choisie : la manifestation.

Celle-ci a remplacé pour le moment la Grève. Si cette substitution devait se confirmer et se pérenniser comme nous le pensons, alors le syndicalisme aura perdu le meilleur de ses facultés : son esprit de combat.

Quant aux syndicats SUD et bien qu’à Paris, leurs cortèges étaient importants et très combatifs, ils sont finalement restés à la remorque de l’intersyndicale. Bien sûr certains de leurs syndicats ont participé aux initiatives interprofessionnelles mais à notre connaissance, cela n’a pas été plus loin. Certes aujourd’hui plus personne ne remet en question leur présence mais la raison en est sans doute que, malgré un discours plus démocratique, ils reproduisent un syndicalisme parfois très combatif mais classique comme il s’exerce le plus souvent dans les entreprises du privé comme du public. C’est-à-dire une participation sans état d’âme à toutes les instances représentatives du personnel auxquelles le droit du travail leur permet de participer. On peut donc en surface « gauchiser » le syndicalisme en lui faisant gueuler des slogans du type grève-généraliste mais quant à le rendre concrètement révolutionnaire cela est une autre paire de manche !

En refusant de remettre en question l’intégration institutionnelle du syndicalisme, les syndicats SUD se condamnent à n’être qu’une caution de gauche de l’intersyndicale et à reproduire rapidement les travers que nous connaissons du syndicalisme réformiste.

Quant à la CNT sans aucune influence ni troupe, elle n’a pas pu par elle seule peser quel que soit le mérite de certaines de ses initiatives. On notera ici et là particulièrement en province comme à Lyon ou à Lille qu’elle a pu participer à des intersyndicales mais cette présence locale ne pouvait pas changer fondamentalement l’orientation nationale du mouvement de l’automne 2010. Sur Paris la demande officielle de la CNT-RP de participer à l’intersyndicale me semble ridicule et une erreur politique car on ne demande pas à siéger à un état-major de la défaite !
De plus, je crois qu’elle n’a rien à gagner à obtenir la considération des autres syndicats.
De toute façon et sans aucun doute, la CNT restera encore longtemps minoritaire mais c’est à ce prix et en pratiquant son syndicalisme qu’elle pourra peut-être dans le futur se développer.
Si nous sommes révolutionnaires alors nous devons sans préjugés ni parti pris idéologiques nous pencher rapidement sur ce que le syndicalisme français est devenu. Cette réflexion est nécessaire et urgente pour la CNT car elle peut nous aider à rester une alternative même si pour le moment les syndicats SUD semblent l’avoir emporté et séduisent certains camarades en « souffrance » de la réalité groupusculaire de la CNT.

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