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Cinq ans d’engagement avec les sans-papiers de Montpellier

lundi 12 mars 2012, par Greg

Pendant l’hiver 2006-2007, plusieurs familles ayant des problèmes de papier se sont fait connaître
sur Montpellier. Plusieurs comités de soutien se sont alors constitués. Ceux-ci étaient composés d’enseignants
et de parents d’élèves. La présence de militants dans ces comités a favorisé leur convergence et la constitution d’une coordination des comités de soutien aux sans-papiers en février 2007. Le but de cette coordination
est de fédérer toutes les initiatives pour obtenir la régularisation de tous. La coordination rassemble
plusieurs comités et finit par regrouper aussi des associations, des syndicats et des organisations.


Par Franck Antoine,
CNT 34 éducation santé social

La coordination est à l’origine de trois dépôts collectifs de demandes de régularisations. Elle a organisé parallèlement et en soutien une dizaine de manifestations ainsi que de nombreux rassemblements et débats. Très rapidement la coordination intervient sur deux axes : la défense concrète des personnes et un positionnement global sur l’immigration et le respect des personnes.

Le cas d’un comité parmi d’autres

Le comité de la Paillade a été l’un des comités les plus actifs. Il a été créé en même temps que la coordination et réunit toujours plus d’une trentaine de personnes (jusqu’à 80 personnes dans des réunions hebdomadaires ou bimensuelles) malgré les difficultés actuelles. Il s’est constitué autour de plusieurs écoles du quartier (le plus gros quartier populaire de Montpellier situé dans la périphérie de la ville).

Une évolution idéologique

Si, dès le départ, le comité s’est organisé comme un collectif d’individus et sur le principe du refus du « cas par cas » et donc du tri des personnes et des dossiers, il était dans un premier temps constitué uniquement de parents d’élèves sans papiers. Les soutiens (parents et enseignants) s’engageaient, pour une majorité d’entre eux, sur une base humanitaire. Ils se sentaient concernés avant tout parce que des personnes proches (parents des camarades de leurs enfants ou de leurs élèves) risquaient l’expulsion. Quand les cas des autres personnes sans papiers étaient évoqués, ils étaient bien sûr d’accord pour les défendre mais se sentaient moins « partie prenante ». Lors de la constitution des dossiers pour un deuxième dépôt des personnes célibataires et/ou sans enfants ont rejoints le comité, la découverte de nouvelles situations concrètes révoltantes a opéré un glissement dans l’engagement. Si la composition des soutiens a évolué dans ce laps de temps, un grand nombre d’entre eux était resté et pourtant le refus de trier les dossiers était devenu une exigence entièrement partagée. Plus tard l’organisation d’un débat sur le thème des « Idées reçues sur l’immigration » a mis en évidence la nécessité de porter une nouvelle revendication : la liberté de circulation et d’installation. Cette revendication a été intégrée et acceptée par l’ensemble des personnes appartenant à la coordination.

Un engagement diversifié mais croissant

Du côté des personnes sans papiers, on a pu observer une évolution dans l’engagement au sein du comité et de la coordination. Dans un premier temps elles venaient avant tout chercher une aide pour monter et défendre les dossiers. Le comité fonctionnait à travers le système de référent. Chaque soutien prenait en charge un ou plusieurs sans papiers, il les aidait à constituer leurs dossiers, l’accompagnait dans les démarches et assurait le suivi. Si tout le monde venait aux réunions les décisions étaient prises par les soutiens, non par volonté de prendre le pouvoir mais parce que les sans-papiers s’en remettaient systématiquement à eux pour les choix à faire. L’attitude générale était la passivité et beaucoup avaient tendance à mettre leur cas en avant quand la situation le rendait possible. Chez certains soutiens aussi, il a été possible d’observer cette personnalisation de la lutte, ils n’étaient présents qu’aux actions qui concernaient directement les personnes qu’ils suivaient et faisaient circuler des pétitions nominatives. Il est même arrivé que le principe du non-tri des dossiers soit remis en question. Petit à petit les réunions et les actions collectives ont favorisé l’implication des personnes sans papiers. Celle-ci a d’abord débuté avec des gestes pratiques (préparer des gâteaux et du thé pour les rassemblements, installer la salle pour les réunions, se joindre à des distributions de tracts, etc.) puis elle s’est poursuivie par des initiatives issues de leurs propres ressources (faire le tour des commerçants du quartier pour poser des affiches, faire jouer leurs réseaux de relations, mettre au point des listes de SMS, etc.). Des habitudes se prenant, l’engagement s’est poursuivi et a débouché sur une implication bien plus grande. Plusieurs sans-papiers ont pris l’habitude de venir dans les réunions de coordination qui regroupent les mandatés des comités et des organisations. Les slogans furent alors inventés par des personnes sans papiers qui ne se contentaient plus de reprendre ceux initiés par les organisations. Ils prenaient en charge la gestion des actions (choix des trajets, gestion de la circulation pendant la manifestation, sécurité pendant les moments festifs) et devinrent source de propositions (intervention musicale lors de la fête de la musique, campagne généraliste d’affichages, etc.).

Rien ne s’est fait tout seul

Bien sûr, ces évolutions ont été le fruit de réflexions et d’initiatives. La première d’entre elles a été la mise en place d’une traduction lors de toutes les réunions du comité en arabe et en berbère (à l’exception d’une ou deux personnes, la quasi-totalité des personnes sans papiers sont d’origine maghrébine, la plupart de nationalité marocaine). À chaque fois que quelqu’un rejoignait un comité, nous expliquions à plusieurs reprises que celui-ci n’était pas une association caritative ou humanitaire mais un collectif de lutte rassemblant des personnes sans papiers et d’autres qui désiraient s’investir dans ce combat. À plusieurs reprises des actions décidées par l’ensemble du comité réunissaient finalement très peu de personnes, nous avons alors expliqué que le fait de choisir de mener une action impliquait un engagement con­cret et nous procédions à un double sondage : « Est-ce que cette action convient à tout le monde ? Qui peut s’y joindre ? ». Lors de la préparation du troisième dépôt collectif de dossiers, nous avons été confrontés à un problème. De plus en plus de personnes sans papiers rejoignaient le comité, mais le nombre de soutiens n’augmentait pas dans les mêmes proportions. Nous avons donc réfléchi à un système qui permettrait à la fois de constituer des dossiers solides et qui faciliterait l’implication des personnes. Nous avons alors décidé d’abandonner le principe des référents pour chaque dossier et d’organiser des réunions qui servent à la fois à constituer les dossiers et à apprendre aux personnes à le faire. Le but étant de favoriser l’autonomie des personnes dans la lutte pour leurs droits et leur dignité.

En guise de conclusion (en attendant la suite)

Aujourd’hui, la coordination traverse un moment difficile. Alors qu’au cours des deux premiers dépôts nous avions obtenu de plus en plus de concessions de la part de la préfecture (assurance de la protection des personnes pendant le temps du traitement de leurs dossiers, récépissé collectif adressé à la coordination, etc.) le troisième dépôt a été refusé par la préfecture et il a fallu une bataille de deux mois pour finir par imposer un dépôt collectif au guichet. De plus, lors des deux premiers dépôts, nous avions obtenu un taux de régularisation important (entre 50 et 60 %) ; pour le troisième dépôt, seule une dizaine de personnes sur 72 ont obtenu une carte de séjour. Dans le même temps certaines organisations se sont désinvesties pendant que d’autres quittaient la coordination. Toutes ces difficultés nous ont amenés à reporter l’éventualité d’un nouveau dépôt et à mettre la coordination en veille. La coordination et le comité se réunissent toujours mais à un rythme moins fréquent et se sont donné pour objectifs principaux d’assurer le suivi des dossiers en cours et de réagir aux tentatives d’expulsion.

Au mois de janvier 2012, Mohamed, une des 72 personnes ayant déposé un dossier en mai 2010 a été arrêté sur son lieu de travail et conduit en rétention en vue de son expulsion. Les personnes de la coordination se sont mobilisées et ont organisé plusieurs rassemblements devant le centre de rétention et la préfecture. Ces rassemblements ont mobilisé à chaque fois un nombre conséquent de personnes et nous y avons retrouvé des personnes qui ont été régularisées depuis plusieurs années et qui continuent à suivre les actions de la coordination. Après l’échec de ses recours devant le tribunal administratif et le juge des libertés et de la détention, Mohamed a débuté une grève de la faim et de la soif. Lors du septième jour de celle-ci la préfecture a tenté de l’expulser, mais son état de santé ne le permettait pas. Finalement sa détermination et la mobilisation initiée par la coordination ont permis d’obtenir sa libération. La coordination continue de se mobiliser pour obtenir sa régularisation ainsi que celles de tous les sans-papiers et elle affirme toujours haut et fort qu’ « aucun être humain n’est illégal ». ■

À Benoit...

Je tenais à l’occasion
de cet article à rendre hommage à Benoit
Guerrée, un ami, un camarade et un compagnon
de lutte qui s’est énormément investi dans la lutte contre les expulsions
et pour la régularisation
de toutes et tous. 
Sans lui, la coordination n’aurait pas vu le jour. (Franck Antoine)


Voir en ligne : Pour plus d’informations, vous pouvez visiter le site internet de la coordination