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Brevet et chefs-d’œuvre en pédagogie Freinet

lundi 15 avril 2013, par Greg

Par Gérard Rigaldo,
CNT-FTE 46-12, Icem.

La scolastique, c’est une règle de travail et de vie particulière à l’École et qui n’est pas valable
hors de l’École, dans les diverses circonstances de la vie auxquelles elles ne sauraient donc préparer*.


Les brevets et chefs-d’œuvre proposés par Freinet
s’inscrivent dans le cadre d’une classe-atelier, une classe préparée afin de rendre le travail techniquement possible par les enfants eux-mêmes. « Nous avons lancé l’idée d’une pédagogie du travail que nous construisons méthodiquement par la préparation d’outils et la mise au point de techniques qui permettent l’activité fonctionnelle des enfants dans le cadre nouveau de l’École du travail. » L’éducation du travail se substitue à l’école de la copie, des devoirs, de la répétition des leçons, etc. Le texte de Freinet de 1949, Brevets et chef-d’œuvre (BENP, n° 42), commence par une critique des examens. Pour Freinet « Il ne s’agit plus seulement d’humaniser les sujets de rédaction, d’harmoniser le décompte des fautes de la dictée ou d’orienter les calculs vers les nécessités pratiques. Il faut prévoir d’autres épreuves et d’autres techniques pour mesurer les diverses aptitudes et les acquisitions nouvelles. »

Les brevets

D’où l’origine de l’idée des brevets imités des brevets scouts qui sanctionnent les activités des jeunes-Éclaireurs, mis en place par Baden-Powel auquel Freinet reconnaît un génie pédagogique (la polémique autour du fondateur du scoutisme n’avait pas encore éclaté…). Ces brevets adaptés au milieu scolaire, aux élèves et aux buts poursuivis doivent remplir trois conditions :

« 1° Le brevet sanctionne une activité effective, une réalisation ou une conquête. Une des premières conditions est donc que cette activité, que cette réalisation ou cette conquête soient dans le cadre des besoins tout à la fois des enfants et du milieu…

2° La deuxième condition, mais essentielle, est que les enfants de nos écoles soient techniquement en mesure de réaliser les tâches nécessitées par les brevets. Lorsqu’il s’agit d’acquisitions livresques, l’explication peut remplacer l’observation ou l’expérience. Mais quand il s’agit de réalisations effectives, par le travail, il y faut d’autres outils.

Si vous n’avez pas d’imprimerie, il ne faudra pas parler de brevet d’imprimeur, si vous ne pouvez faire de la cuisine, vous ne pourrez pas envisager le brevet de cuisinier. Il ne s’agit pas, en effet, d’expliquer mais de réaliser par le travail.

3° Les brevets ne doivent pas orienter l’éducation vers une formation d’étroits spécialistes, mais vers une nouvelle culture, adaptée aux besoins de notre siècle. Nous ne pouvons tout savoir, mais il faut que nous sachions ce que nous faisons, et non pas machinalement mais intelligemment et humainement en replaçant sans cesse l’activité considérée dans le cadre de la communauté scolaire et sociale dont elle n’est qu’un élément… En somme, nous devrons éviter que, par une scolastisation qui leur enlèverait toute leur valeur essentielle… » De nos jours, avec les « compétences » et les livrets qui vont avec, nous sommes loin des brevets ; le libéralisme est passé par là !

Les chefs-d’œuvre

La technique des chefs-d’œuvre vient compléter celle des brevets. C’est l’instituteur Dutech qui, en décembre 1947, lance dans son école l’idée du « mois du chef-d’œuvre » : « Nous allons édifier notre corporation sur le modèle de celles du Moyen Âge. Il y aura des maîtres-écoliers, des compagnons et des apprentis. Pour être maître-écolier, il faudra faire un chef-d’œuvre. » Les chefs-d’œuvre sont ensuite présentés aux parents.

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Les brevets sont toujours d’actualité en pédagogie Freinet, plus généralement en pédagogie nouvelle. Ils se retrouvent dans les brevets et blasons des arbres de connaissance, dans les ceintures de compétences. Les chefs-d’œuvre, eux, ne peuvent se confondre avec les pâles « fêtes de fin d’année » traditionnelles dans nombreuses écoles. Dans la suite de Charles Pepinster, le chef-d’œuvre pédagogique reste présent en Belgique à la « maison des enfants ». Les conférences d’enfants, les spectacles ou concerts conçus et réalisés devant un vrai public, sont nombreux dans nos classes et représentent une somme importante de « compétences » pour arriver à un travail pour de vrai qui a du sens et prend de la valeur pour l’enfant lui-même.

Il va de soi que les brevets, les chefs-d’œuvre, ne sont que des techniques au service d’une autre pédagogie qu’elle soit Freinet, moderne, nouvelle… détournées, utilisées sans tenir compte des valeurs qui les ont portées et des buts poursuivis au service des enfants, elles ne deviennent que moyens de contrôle, contraintes paralysantes, corvées, travail de troupeau. Rien à voir avec une école émancipatrice. ■

* Invariant n° 10 :
plus de scolastique.

Ressources disponibles sur le site de l’ICEM :http://www.icem-pedagogie-freinet.org/

– Brochures de l’Éducation Nouvelle Populaire, n° 42 : Brevets et chefs d’œuvre, C. Freinet, janvier 1949.

– Les Dossiers Pédagogiques de l’Éducateur n° 14 : « Brevets et Chefs-d’oeuvre », C. Freinet, J. Peticolas, décembre 1965.

– Le Nouvel Éducateur n° 189 - « Évaluer, s’évaluer en pédagogie Freinet », octobre 2008.

– Voir également le site du Groupe belge d’éducation nouvelle : http://www.gben.be/