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La « base élèves » à l’école, premier maillon du fichage social

dimanche 6 novembre 2011, par Greg

Nom de code : BE1D, pour « base élèves 1er degré » (BE1D).
Présentée comme une « aide à la gestion » et au « pilotage pédagogique »,
cette usine à ficher les enfants dès la maternelle continue de faire des victimes.

Des enseignants perdent leur fonction de direction pour leur seul refus de BE1D. Parfois sans base légale, comme ce fut le cas juste avant la rentrée 2011 pour Philippe Wain, dans le Loir-et-Cher, muté d’office sans commission disciplinaire. Les enseignants du primaire qui refusent les réformes ont toujours aggravé leur cas en dénonçant les rouages liberticides de ce « casier scolaire ».

Mise en place d’un casier scolaire

Ce fichier a pourtant été déployé dès l’année 2005 de manière totalement clandestine, comme le jugera en juillet 2010 le Conseil d’État (cf. l’historique). À ses débuts, il a tout d’un épouvantail : il ne contient pas seulement les données d’état civil, les coordonnées des parents et le périscolaire. C’est un embryon de « casier social » : origines ethniques, sanitaires et sociales de la famille, « besoins particuliers » (suivi Rased…), « compétences » acquises au cours de leur scolarité, absentéisme signalé… Le tout sous le regard des maires, les « co-gérants » du fichier, intronisés entre-temps « super-sheriff » de la prévention de la délinquance. Il faudra attendre mi-2008 pour qu’un certain consensus entre syndicats et organisations parvienne à faire reculer le ministère.

Mais ce « recul » sonne comme une stratégie : que faisait dans un fichier scolaire la mention de la nationalité, la date d’arrivée en France des parents, leur « culture » ou langue d’origine ? En retirant des champs qui n’avaient rien à y faire (officialisé dans un arrêté du 20 octobre 2008), le ministère de l’Éducation nationale réussit sa diversion : le front d’opposition se disloque, alors que les éléments retirés réapparaîtront plus tard sous forme de sous-fichiers (absentéisme, évaluations nationales, livret personnel de compétences, etc.). Pire : dans sa version actuelle soi-disant « épurée », figure encore le « pays de naissance de l’enfant », s’il suit des classes d’intégration (type Clis) et la mention de son cursus peut donner des éléments sur sa santé, par exemple si l’enfant a été scolarisé à l’hôpital…

Croiser les fichiers

Pour assurer les interconnexions futures, un « identifiant national élève » (INE) a été instauré en catimini. Car BE1D cache la forêt « BNIE » : la base nationale des INE, créée en 2006 pour le premier degré, alors qu’il existe depuis plus longtemps dans le second degré. D’ailleurs, les deux bases fusionneront bientôt dans un « répertoire national » (RNIE), propre à immatriculer les enfants dès 3 ans pour les suivre durant toute leur scolarité, dans leurs études supérieures et jusque dans les fiches de Pôle-emploi (via le livret de compétences). L’INE sert aussi de « pivot » aux fichiers Affelnet (passerelle pour entrer en 6e ou en seconde) et APB (post-Bac).

Le principal argument brandi par la rue de Grenelle pour rassurer le bon peuple – avec la complicité active de la Cnil –, c’est la sécurité des accès. Pour entrer dans la base, on se connecte sur une page web « sécurisée » par un seul identifiant (celui de l’école) et un mot de passe enfantin. Ce n’est qu’en 2008, soit trois ans après sa création, qu’un système plus solide se met en place, grâce à des « clés OTP » [1] distribuées aux directeurs et dans les mairies. Ces clés doivent « blinder » la serrure. Manque de pot, en mars 2011, le fabricant américain de ces gadgets reconnaît une importante faille dans le dispositif. Le marchand d’armes Lockeed Martin n’en veut plus. Mais le ministère, lui, fait la sourde oreille. Au même moment, la FCPE des Yvelines révèle, preuves à l’appui, que des données extraites de BE1D se sont évadées sur internet : à quoi sert une porte blindée si la fenêtre reste ouverte ?

Des enfants cobayes

L’autre manœuvre du ministère est d’avoir fait croire à une « expérimentation », alors que les cobayes étaient de « vrais » enfants. Aucun bilan ne sera publié avant la « généralisation » du fichier décrétée à la rentrée 2009. Dans son arrêt de juillet 2010, le Conseil d’État l’écrira noir sur blanc : toute expérimentation de ce type n’a pas lieu d’être, avant de blanchir le ministère et lui donner trois mois pour « revoir sa copie ». En juin 2009, le Comité des droits de l’enfant de l’Onu avait déjà considéré qu’un tel fichier devait reposer sur la loi (seul un arrêté existe pourtant), que seules des données « anonymes » devaient sortir de l’école pour qu’il soit conforme à la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE). ■

Jérôme Thorel, Journaliste et membre du CNRBE.


[11 OTP pour One Time Password : un mot de passe dynamique (qui change régulièrement) est généré par une petite clé électronique. Le directeur en est responsable jour et nuit, même pendant les congés. Il est donc responsable de tout accès frauduleux utilisant ce passe-partout.