Secrétariat international de la CNT

Pérou : "le réveil de la jungle"

Publié le lundi 30 novembre 2009

Rencontre avec un camarade péruvien de l'USL (Union Socialiste Libertaire). Entre révolte indigène et résistance sociale, découverte du Pérou de ceux et celles d'en bas.

D'où vient la lutte actuelle des peuples indigènes ? Quelle forme
prend-elle ?

À
propos de la lutte actuelle des peuples de l'Amazonie (awajun-wampis, kichuas,
arabels, huaronis, pananujuris, achuar, murunahus, o chitonahuas, cacataibos,
matsés, candoshis, shawis, cocama-cocamillas, machiguengas, yines, ashaninkas,
llanezas), il faut préciser que la lutte des peuples ne concerne pas seulement
ceux de l'Amazonie.

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Sont en effet aussi concernés les communautés de la sierra : quechuas et
aymaras se sont aussi soulevés pour la défense de leurs terres et leur culture, nous pouvons dire que depuis l'an dernier nous avons assisté au réveil de
notre « jungle » et de la région andine (que nous avons pu voir
également au niveau international) pour faire face à la politique néolibérale
(de privatisations, vente de terres originaires, soudoiement des cultures
autochtones et de leurs droits humains) engagée par l'État péruvien, afin de
remplir les mandats du grand marché capitaliste et de l'impérialisme.

Ce
dernier souhaite implanter ses entreprises transnationales sur le
territoire des peuples
originaires.

Mais
grâce à la contestation du peuple lui-même organisé, des organisations ou des
collectifs populaires, politiques et corporatifs (nous y incluant pour la
Campagne Internationale de Solidarité Libertaire que nous avons lancée, avec
l'appui de plus de 50 organisations libertaires au niveau international), nous
sommes arrivés à ce que le gouvernement péruvien recule par rapport à
l'application des décrets législatifs (D. L.) 1090 et 1064, qui facilitaient la
vente de la terre des communautés natives.

Cependant, il reste à lutter pour la
non-privatisation de
l'usage de l'eau, l'abrogation du reste des D. L. qui porte atteinte à la
souveraineté
et à la vie même des indigènes, pour l'expulsion des transnationales qui
agissent dans ces régions, grâce à la protection du Traité de Libre Échange
(TLC) signé avec les États-Unis, et pour l'usage des terres et des ressources
par les communautés elles-mêmes.

D'un
autre côté, nous nous devons de souligner que ces luttes ont mis en évidence
que la société péruvienne continue d'être profondément raciste et hypocrite. La
presse a mis en exergue la supposée férocité des tribus d'Amazonie en lutte.

De
plus, elle a présenté les policiers assassinés en réponse au massacre de Bagua,
en tant que victimes. Le gouvernement n'a eu de cesse de présenter des spots
publicitaires, qui réaffirment cette supposée image négative des peuples
originaires en lutte, dans le seul but de minimiser les crimes qu'il a commis à
l'encontre des communautés.

Ce qui veut dire qu'aux yeux de l'opinion publique,
s'est construite l'idée que les personnes provenant d'Amazonie sont des tribus
de sauvages et d'assassins, et que le gouvernement avec l'aide des forces
répressives est le symbole de l'ordre et du progrès, qui protège tout le pays
de la « voracité et de l'anarchie ».

Sans la
fermeté de la contestation des natifs d'Amazonie, il n'y aurait pas eu de débat
national, et n'auraient pas éclaté à l'opinion publique leurs revendications
contre l'oppression qu'ils
subissent depuis des siècles, avec l'introduction violente de la société
occidentale, qui prétend soumettre leur organisation sociale.

Celle-ci contient
beaucoup d'éléments, qui s'approchent de notre positionnement libertaire. Par
exemple leur relation à la terre et ses ressources (flore et faune) dont ils ne
se réclament pas « propriétaires », car eux-mêmes se sentent comme enfants de la
terre, et dans
l'obligation de maintenir son équilibre.

De plus, l'organisation collective du
travail dans les communautés natives et paysannes est un aspect à suivre qu'il
nous paraît important de stimuler. Les communautés natives manient des niveaux
de représentativité qui donnent une prépondérance à la décision des bases.

C'est-à-dire que c'est une
organisation du bas vers le haut. Les représentants se présentent comme de
simples porte-voix des décisions des communautés.

Nous
croyons que ce type d'organisation est celle que l'État redoute le plus et
cherche à détruire. En plus, de les expulser de leurs villages et laisser le
champ libre, ou la terre clôturée, il permet aux entreprises transnationales
impérialistes d'y planter leurs griffes et tentacules de fer, et ainsi de
piller les ressources avant d'empoisonner complètement l'écosystème.

Quelle est la situation sociale au Pérou ?

Au Pérou, les licenciements et la précarisation des droits
sociaux des travailleurs se poursuivent en toute impunité. Comme cela a eu lieu
au cours de la décennie 90, sous le régime génocidaire d'Alberto Fujimori, au
cours duquel, nous avons reculé en ce qui concerne toutes les conquêtes
salariales - que ce soit le droit à la grève, à se syndiquer, à la stabilité
salariale. Il y a quelques années, le gouvernement l'a confirmé cyniquement à
travers une loi la journée de 8 heures de travail, alors que c'est une conquête
obtenue en 1913 par le prolétariat d' El Callao (principale ville portuaire du
pays), et en 1919 par le reste du prolétariat, à travers le mouvement ouvrier
anarcho-syndicaliste de l'époque, (avec des figures importantes comme Manuel C.
Lévano et son fils Delfin Lévano, Carlos Barba, Nicolàs Gutarra, Adalberto
Fonkén et beaucoup d'autres camarades libertaires).

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La situation des allocataires est de plus déplorable. Ce
sont, en particulier les sans-emplois et les retraités du système national de
Pensions, des ex-travailleurs des entreprises privées, qui continuent à
souffrir des pensions « de faim et de mort ». Des pensions gelées
depuis plus de 8 ans, et dont le montant minimum est un montant qui n'arrive
même pas à couvrir les 10% basiques du panier familial.

En plus, la grande majorité des bénéfices sociaux qu'ils
auraient dû percevoir (les retraités) grâce aux normes établies au cours des
dernières décennies, n'ont pas été appliqués. Ce qui veut dire que l'État
lui-même s'est ingénié à contourner la mise en application des allocations
légales. Ceci a provoqué une avalanche de demandes, sans précédent, des
allocataires. Beaucoup de cas sont arrivés jusqu'aux sphères de la cour
inter-américaine des droits de l'Homme.

Mais même ainsi quand il s'agit
d'appliquer les sentences de l'entité supranationale, l'État péruvien s'arrange
aussi pour diluer le processus, et entre temps, les allocataires continuent à
mourir sans arriver à voir à ce que justice soit faite.

Pouvez-vous nous présenter le mouvement syndical et
social au Pérou et ses sensibilités ?

Pour ce qui concerne le panorama salarial et syndical, il
faut signaler qu'il existe actuellement un grand contingent de travailleurs qui
sont en train de se faire licencier à cause des mesures prises par le grand
capital dans notre pays, afin de pouvoir « affronter l'actuelle crise
mondiale » qu'ils ont eux-mêmes provoquée. Ce sont les ouvriers du textile
et les mineurs qui ont été principalement affectés, et qui malgré leur
combativité n'ont selon nous ni la force ni la capacité de pouvoir éviter les
coups donnés par le patronat.

Au niveau du secteur du textile, il n'existe pas de fédération
des Travailleurs du textile, qui les regroupent. Des avancées sont en train
d'être réalisées vers une restructuration de cette entité, mais sur la base
d'une dénommée « Coordination syndicale Textile », qui regroupe de jeunes
syndicats, et est perçue avec défiance par les dirigeants traditionnels, vu que
dans une certaine mesure ils ne se sont pas soumis aux diktats de la plus
grande centrale syndicale bureaucratique de notre pays, la Confédération
Générale des Travailleurs du Pérou (CGTP).

Il faut également souligné que la CGTP, depuis son origine,
a été cooptée dans sa direction par des membres du Parti Communiste Péruvien -
Unidad, qui a toujours maintenu une position stalinienne. Actuellement ses
hauts dirigeants syndicaux, comme le secrétaire général de la CGTP Mario
Huaman, fricotent avec le leader du Parti Nationaliste, Ollanta Humala. Malgré
les ambitions présidentielles de chacun, il apparaît que les projections pour
les élections de 2011, soient de faire une proposition présidentielle conjointe.

Dans le cas des mineurs, eux comptent sur une entité qui
devrait leur permettre une cohésion : la Fédération Nationale des Travailleurs
Miniers Métallurgiques et Sidérurgiques du Pérou. Celle-ci, au cours de la
deuxième moitié de la décennie 80, et en particulier au cours du premier
gouvernement d'Alan Garcia, fut l'actrice de grèves combatives, qui eurent
comme conséquences une amélioration de leurs bénéfices sociaux et en
particulier, ils réussirent à arracher à l'État une loi de retraite minière, avec
des conditions assez favorables quant aux conditions de pensions et
d'indemnisation. Malheureusement, à cette occasion, la vengeance de l'État
frappa par le biais du commando Rodrigo Franco (paramilitaires), qui assassina
Saul Cantoral, secrétaire générale de la Fédération Minière.

Actuellement, la direction de la Fédération Minière est
gagnée par l'opportunisme. Les appels à la grève sont nombreux, mais en même
temps, il se produit aussitôt des suspensions de ces mesures, à cause de
promesses du parlement ou du gouvernement, afin d'évaluer leurs revendications.
Cependant, jusqu'à présent il n'y a pas eu un seul des points revendiqués qui
ait été conquis. Aussi incroyable qu'il soit, on mendie toujours l'application
de la loi de retraite minière, qui a coûté la vie à beaucoup d'ouvriers, et qui
n'a toujours pas été promulguée par le gouvernement apriste[1].
Le parlement n' a pas voulu, non plus, ni réviser ni approuver la loi pour le
paiement des utilités des mines en faveur des travailleurs.

Il existe aussi la Confédération des Travailleurs du Pérou
(CTP), clairement et historiquement d'orientation apriste, c'est-à-dire en
phase avec l'actuel gouvernement, et qui ne remplit que le rôle de
« jaune » ou de syndicat pro-patronal, en créant des regroupement
parallèles pour déstabiliser les autres secteurs en lutte. La CTP et la
CGTP affichent des lignes opposées
qui prétendent représenter la classe travailleuse au Pérou, mais ne sont que
deux centrales bureaucratiques, qui maintiennent des accords sous la table et
qui démobilisent leurs bases. Ce qui veut dire qu'ils maintiennent les
travailleurs adhérents inertes et passifs.

Mais, même ainsi, nous croyons qu'un véritable travail
syndical est possible dans notre pays. Nous avons eu des rapprochements
organisationnels et de militantisme avec les secteurs textiles et avec d'autres
secteurs de base pour construire une alternative syndicale de classe, autonome,
de base, fédérative, horizontale, avec une démocratie directe et une capacité
de combat.

Pouvez-vous nous présenter l'USL et de manière
générale le mouvement libertaire ?

L'Union Socialiste Libertaire est le fruit de la maturité
politique de ce qu'ont été des expériences collectives antérieures comme
Qhispikay Llaqta et Etoile Noire -Estrella Negra- (2004 et 2007).
Nous nous considérons comme une organisation anarchiste qui
prétend construire une réelle proposition anti-autoritaire autour de nous et
consolider la lutte libertaire là où
ça nous soit possible.

En réalité le travail, en tant qu'organisation de tendance
libertaire que nous sommes en train de réaliser, dans le champ de la lutte
populaire et dans les mouvements de masses, commence tout juste, puisque ce
mois-ci nous venons de fêter la première année de lutte et de travail
libertaire.``

Néanmoins, nous avons déjà été immergés dans les luttes des
peuples de l'Amazonie. Nous avons des contacts avec des organisations de base,
de même qu'avec celles des classes ouvrières, et même avec des travailleurs
licenciés et au chômage, auprès de qui nous sommes arrivés par le biais de nos
bulletins Lutte Libertaire. Le malaise
et le trop plein des directions opportunistes et bureaucratiques est
généralisé, ce qui est en soi un champ fécond pour planter la graine
libertaire, tâche à laquelle nous sommes en train de nous adonner.

A propos du mouvement libertaire péruvien, nous pouvons
dire que l'anarchisme a bénéficié d'une très bonne santé, ici, jusqu'à la fin
des années 30, avec des organisations ouvrières et populaires fortes et
consolidées. Puis, avec les trahisons du Parti Socialiste et du Parti Apriste,
tout a été réduit et quasiment éliminé. Actuellement on essaye d'amener
l'anarchisme au camp populaire. Au cours de la décennie 80 et 90, il y a eut
quelques expériences
(collectifs, journaux, fanzines, etc.) mais ils ne se sont pas développés.
Aujourd'hui à Lima, qui est la capitale, nous sommes le seul groupe organisé.
Nous devons également mentionner que dans notre ville grâce aux discussions
réalisées, dans certains ateliers de formation libertaire, s'est formé le
Ciné-club libertaire « Fernando Ferran » qui prétend diffuser à
travers l'image et l'art les propositions anarchistes. Il existe des
publications libertaires mais pas de groupes. Dans d'autres villes, oui, il y
existe un meilleur aspect où la proposition libertaire dans les universités et
les quartiers s'y consolide.

En tant que militants de l'USL (étudiants et travailleurs),
nous croyons qu'en général les idées libertaires sont entrain de prendre dans
notre pays, et que les possibilités d'un travail de plus grande échelle est
possible, puisque les travailleurs sont déjà bien fatigués des directions
corrompues et que les communautés luttent pour maintenir leur forme de
s'organiser qui contient clairement beaucoup de libertaire.

Pour poursuivre un peu plus sur le panorama du Pérou, sur
les luttes des mouvements sociaux et populaires, ainsi que pour lire nos
documents et textes, nous vous invitons à vous rendre sur notre site Internet.

Commission des Relations Internationales
Union Socialiste Libertaire

http://uslperu.blogspot.com/

(Propos recueillis par Pati et Bastien, SI de la CNT).



[1] L'APRA,
l'Alliance Populaire Révolutionnaire Américaine, créée au début des années
1920, est une organisation latino-américaine se donnant pour but de lutter
contre l'impérialisme américain. Le PAP – Parti Apriste Péruvien – se veut être sa
section péruvienne.

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