Secrétariat international de la CNT

Mexique : brutale extinction de la « lumière »

Publié le vendredi 30 octobre 2009

Avec l'illégalité
qui le caractérise, le gouvernement mexicain de Felipe Calderón a fermé
manu militari l'entreprise publique en charge de la distribution
d'électricité dans le centre du pays, cherchant ainsi à s'assurer la
main-mise sur un secteur-clef qui lui échappait et à faire taire un des
derniers syndicats indépendants, combatifs et puissants du pays. 56
000 familles sont touchées directement par la mesure.

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Un peu avant minuit le samedi 10 octobre, le président a envoyé 6
000 agents de la police fédérale (PF)* occuper les installations de la
compagnie publique Luz y Fuerza del Centro. Les mexicains étaient alors
occupés à fêter la victoire de l'équipe nationale de football. Un
décret exécutif publié dans une édition spéciale du journal officiel le
dimanche prononce la liquidation de la compagnie. Une intervention
télévisée du chef de l'état vient expliquer le sens de la mesure.

L'opération, visiblement préparée de longue date, a duré seulement
trois heures et a affecté les Etats de México, Puebla, Morelos et
Hidalgo, ainsi que la ville de México. Plusieurs cas de violences ont
étés dénoncés par les employés. Luz y Fuerza del Centro assurait la
distribution de l'électricité dans le centre du pays couvrant les
besoins de 25 % de la population nationale. Le reste du pays comme la
production d'électricité étant géré par la Commission Fédérale
d'Electricité (CFE) désormais en charge de la totalité du territoire.

L'objectif est de briser le puissant Syndicat des Électriciens du
Mexique (SME) qui a été acteur de plusieurs mouvements de résistance au
gouvernement et reste un des rares syndicats qui ne soit pas
étroitement lie au pouvoir. 44 000 travailleurs syndiqués se sont ainsi
retrouvés invités à retirer leur chèque de solde avec une prime pour
ceux qui le feraient dans le premier mois. La mesure touche aussi 12
000 inactifs retraités. L'État propose 2 ans et demi de prestation
d'avance et dans certains cas le maintient des pensions, le budget
étant réduit à 10 % du coût global actuel.


En finir avec le "modèle terroriste de l'organisation des travailleurs"

La
justification du gouvernement repose sur les coûts d'exploitation
largement supérieurs aux autres entreprises publiques, incriminant les
“privilèges” des salariés ainsi que leur trop grand nombre (8 000
employés seraient suffisants), ou des pratiques relevant d'une époque
révolue qui selon les experts ont conduit le pays vers le retard
économique.

Les causes des pertes financières sont plus probablement à chercher
dans les grandes dettes des officines gouvernementales, des
industriels, et autres grands comptes - 6 500 dossiers représentants
plus de 75 % des revenus de la défunte compagnie.

Par ailleurs l'État fixe les prix de vente de l'électricité au
public comme ceux d'achat à la CFE. Les rabais accordés à l'industrie
ont aussi aidé au déséquilibre des comptes, justifiant ainsi l'action
de l'Etat.

Les fonctionnaires du gouvernement promettent de ne pas aller vers
la privatisation, mais les travailleurs n'ont pas la mémoire si courte
 ; le gaz et le réseau téléphonique n'ont étés privatisés que dans les
années 90. Toutes les entreprises publiques sont dans la ligne de mire,
Petroleos de Mexico (PEMEX) en tête. Le SME était en tête de la
résistance à ces privatisations.

Par ailleurs les traités signés
démentent la volonté des fonctionnaires : le secteur énergétique entre
dans le cadre du Traité de Libre-échange pour l'Amérique du Nord
(TLCAN) qui prévoit une organisation globale des réseaux énergétiques
orientée vers les grands flux - de préférence sud/nord - et exploités
par des entreprises internationales. La CFE soustraite déjà 40 % de sa
production d'énergie à des entreprises privées, ainsi qu'une partie des
interventions sur le réseau. Ce qui est inconstitutionnel, le caractère
public de l'électricité comptant parmi les fondamentaux de l'Etat
mexicain.

Enfin, le marché de la fibre optique est très convoité, et le
réseau adapté de Luz y Fuerza en sera le fil conducteur pour le
principal centre économique du pays. Sous-traité par la CFE, il fera le
bonheur d'entreprises telles que Nextel et Televisa, deux conglomérats
de médias et de banques qui exercent déjà un énorme pouvoir
médiatico-économique sur le pays.

Luz y Fuerza est aussi accusée de perdre plus de 30 % de l'énergie
qui lui est fournie, c'est-à-dire de ne pas faire correctement la
chasse aux "colgados" branchés illégalement sur le réseau. Dans un
pays comme le Mexique, avec des zones très pauvres aux abords de la
ville de Mexico ainsi que dans les campagnes environnantes, vallées
ouvrières et paysannes, les employés de Luz y Fuerza étaient de fait
responsables d'actes de corruption, ainsi que de solidarité, et ce
relativement à l'électricité, mais aussi au transport de passagers
comme de marchandises.

Cette forme de corruption est rendue possible
par les tarifs élevés et l'absence de politique sociale adéquate pour
une grande partie de la population ; elle reste de surcroît la forme la
plus économique d'avoir accès à la lumière.

Une autre forme de corruption est celle des élites syndicales, qui
profitant de leur place dominante prélèvent des taxes, par exemple à
l'embauche ou à la promotion. La direction est reconnue proche de
Andrés Manuel Lopez Obrador, l'ex-candidat du PRD (Parti de la
Révolution Démocratique, censé être de centre-gauche) à l'élection
présidentielle. Vaincu par la fraude, il mène depuis 2006 un mouvement
de protestation ample. Le gouvernement fait ainsi coup double en
discriminant son rival comme étant un allié et défenseur de la
corruption. Un combat du gouvernement tout à fait sélectif : les
centrales syndicales liées au pouvoir étant les premières promotrices
de pratiques dénoncées comme responsables du retard économique du pays.
Les pratiques d'extorsion et de pots de vin au sein de la CFE ont fait
l'affaire d'un rapport mi-juillet.

Le Syndicat des Electriciens a pour sa part toujours été un outil
de lutte au service des travailleurs, engagé dans les luttes publiques
et solidaires. Les étudiants de l'UNAM (Université Nationale Autonome
de Mexico) s'en souviennent**, nombreux d'ailleurs avaient trouvé leur
place dans l'ex-compagnie.

Les illuminations d'évènements « 
intergalactiques » dans la jungle chiapanèque ont bénéficié de l'appui
et de la main d'oeuvre du syndicat. Plusieurs campagnes de solidarité
avec différents prisonniers politiques tels ceux d'Atenco ou de Oaxaca
ont été et sont soutenues avec l'apport de "los de la luz", ceux de la
lumière. C'était une base d'appui de la gauche institutionnelle comme
de ceux en bas à gauche, tels qu'ils se définissent. Si la direction
syndicale est indéfendable et en partie responsable de la situation
actuelle, cette attaque n'en reste pas moins un coup dur porté aux
travailleurs organisés, et un avertissement supplémentaire à qui ne se
soumet pas au programme économique et militaire du Parti d'Action
Nationale (PAN).


La légitimité par la force pour un gouvernement illégal

Le
gouvernement affirme que l'usage de la police fédérale militarisée est
une mesure préventive. Il prétend éviter ainsi que les travailleurs qui
se mettraient en grève gardent le contrôle des installations et coupent
le courant aux usagers. L'expulsion a eu lieu avec "luxe de violence",
les policiers en profitant pour régler leurs comptes avec les
travailleurs du SME. Des tentatives de forcer ces derniers à travailler
ont été aussi dénoncées.

Ces méthodes pour s'assurer une industrie clef sont celles utilisées
par les dictatures et tous les pouvoirs qui se maintiennent par la
force contre la volonté du peuple. Un tel déploiement de policiers
militarisés revient à traiter les travailleurs comme des
narcotrafiquants ou des terroristes. Méthodes auxquelles les mexicains
sont de plus en plus habitués tant elles deviennent régulières et sont
rapportées sous tous les angles par la presse. Les abus de pouvoir des
corps militarisés deviennent aussi monnaie courante, contre les radios
et polices communautaires (entendez populaires), contre les
travailleurs et les populations. Une violence d'État qui est une menace
et une intimidation envers qui se met en travers des exigences de
l'ultra-droite au pouvoir.

Même les corps de police locaux ne sont pas à l'abri de ces prises
d'assaut qui ne servent que rarement à éradiquer la corruption les abus
ou l'infiltration du narcotrafic. L'AFI à été ainsi intégrée sous la
menace des armes à la PFP en 2008. Les militarisés – fédéraux - sont
désormais en charge de l'inspection des armes et du matériel des
polices d'états et municipales. Une mesure pour éviter le trafic
d'armes vers le narcotrafic, lequel, c'est pourtant de notoriété
publique, achète ses armes aux Etats-Unis ou à l'armée.

Après s'être illustrée, à Atenco et à Oaxaca mais aussi dans de
nombreuses autres occasions, comme un corps répressif, la police
fédérale à été renforcée suite à l'élection frauduleuse de l'actuel
gouvernement. Ses effectifs ont plus que doublé pour atteindre un
total de quelques 40 000 hommes, son budget a été multiplié en
conséquence : une façon de déguiser des militaires en policiers pour
affronter la population, une façon d'assurer sa persistance au pouvoir.
Une militarisation du pays qui fait les profits de l'industrie
d'armement américaine mais aussi européenne***.

L'avenir sans “la luz”

Les premières semaines de gestion
du réseau par la CFE ont donné lieu à de nombreuses extinctions, dont
une, critique, concernant un hôpital ; par ailleurs plusieurs véhicules
de compagnies privées ont étés vus travaillant sur le réseau, et
certaines interventions se sont déroulées avec l'appui de la police,
sans conflits cependant. La lutte par le sabotage a été écartée des
moyens d'action pour ne pas prêter flanc aux critiques déjà avancées
par le gouvernement.

Les campagnes de discrédit des médias semblent aussi préparées de
longue date tant les discours sont harmonisés et ne laissent aucune
chance aux travailleurs. Le président a remercie les télévisions et
radios de leurs efforts pour « maintenir le pays informe ».

Le 15 octobre les électriciens ont marché pour demander
l'abrogation du décret. Entre 200 et 450 000 personnes se sont jointes
au cortège, ce qui à fait parler de point de cristallisation du
mécontentement social. Des négociations ont été ouvertes puis fermées,
la cessation d'activité de la compagnie restant non-négociable. Cette
liquidation est pourtant illégale au vu de la constitution Mexicaine,
seul le Congrès pouvait prendre cette décision ; celui-ci a commencé à
débattre de sa position, et plusieurs actions juridiques sont entamées.

Le SME organise des brigades d'information et appelle à la solidarité
pour affronter le gouvernement et obtenir la réouverture de
l'entreprise. Une lutte longue se prépare pour des travailleurs invités
à trouver leur place dans la nouvelle compagnie en charge ou ses
sous-traitants privés. Avec de graves pertes en termes d'acquis sociaux
et de conditions de travail.


Francis Goche et Sebastian Cortés.

*la PF est issue de
la fusion entre l'AFI, Agence Fédérale d'Investigation, et la PFP,
Police Fédérale Préventive, corps de police militarisé créé en 1998
comme bras arme de la lutte contre la délinquance organisée, et exemple
pour la rénovation des forces de police locales inefficientes ou
corrompues. En 2008, plusieurs éléments de la PFP sont inculpés pour
organisation de séquestrations contre rançon, ce qui amène le
gouvernement à la reformer et à la renommer.

** Lors de l'année universitaire 1999-2000 les étudiants de l'UNAM
rejettent la privatisation de l'université lors d'une grève massive qui
durera pas moins de… dix mois.

*** Plusieurs accords de
coopération lient les polices et armées françaises et mexicaines :
programmes de formation, asessorat d'expert, échanges d'information,
accès aux signaux satellitaires et aide scientifique. Autant d'éléments
utiles aux marchés français de l'armement, de la biométrie et des
nanotechnologies.

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