Secrétariat international de la CNT

Espagne : l’antiterrorisme contre le mouvement ouvrier

Publié le mardi 31 mars 2015

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Le renforcement des lois terroristes, la Ley mordaza passée en décembre, tout criminaliser la présence dans la rue et faciliter la répression expéditive, financière et carcérale.

David Santamaria, syndicaliste CGT-E à Barcelone, et Alfon, chômeur à Madrid, sont venus témoigner à Nantes de la répression du mouvement social en Espagne, dans le cadre d'une semaine contre les violences d’État, policières et judiciaires, mais aussi administratives contre les migrants.

« Mon exemple montre comment la police réprime des militants révolutionnaires à travers des peines très lourdes » explique Alfonson Fernández Ortega, dit Alfon, chômeur de 22 ans du quartier ouvrier de Vallecas, bastion de luttes dans le sud de Madrid.« Le 14 novembre 2012, jour de grève générale, j'ai été arrêté dans mon quartier de Vallecas. Je sortais de chez moi avec mon amie pour aller jusqu'à mon piquet de grève. Après l'arrestation, un policier a porté un sac en plastique contenant des composants à même de réaliser une bombe artisanale. On a donc dit que ce sac était à moi, et que je voulais faire sauter un distributeur de billets. La police en a profité pour interroger des militants du milieu anticapitaliste, pour perquisitionner chez ma mère, au local de mon groupe de supporters* du Rayo Vallecano, le club de foot local ». Un montage grossier. Sans preuve, sans qu'on trouve ses empreintes sur le fameux sac, il est jeté en prison. Une forte mobilisation syndicale et antifa l'a fait sortir au bout de 56 jours d’enfermement. Début janvier, Alfon a été condamné à 4 ans de prison ferme pour l’accusation de « possession d’explosif ». Toujours sans preuve, malgré trois perquisitions, malgré les contradictions des policiers affirmant qu'Alfon détenait le fameux sac en plastique de l'accusation.

Le régime FIES

Après deux heures d'interrogatoire par des agents aux visages cachés, Alfon a été placé en prison préventive, sous le régime FIES ­(Fichiers internes de suivi spécial des prisonniers signalés). Un système inspiré d'une visite d'un ministre espagnol socialiste en Israël en 1987 et mis en application depuis 1996. Ce qui place le détenu spécial en quartier de haute sécurité. C'est une prison dans la prison. Le but est de freiner les solidarités entre prisonniers. La liberté conditionnelle ne s'applique qu'au trois quart de la peine, pas à la moitié. « Certaines cellules sont hermétiques et le détenu passe plusieurs jours dans 20 à 50 cm d'eau… » Les communications vers l'extérieur très filtrées, tous les écrits interceptés et photocopiés, livres, journaux contrôlés, refusés. « Voir un médecin exige une autorisation. Certains détenus sont morts en attendant l'autorisation… » Lors des visites de la famille, le détenu est enfermé dans une cage, en présence d'un policier, toute la conversation à travers une vitre étant enregistrée. Mais le système répressif carcéral peut encore se renforcer : « La loi antiterroriste créée contre l'ETA et les GRAPO s'est appliquée aux antifascistes et aux syndicalistes, mais elle pourrait être revue depuis les attentats à Paris contre Charlie hebdo. Tout ça pour rassurer les citoyens, alors qu'un sondage a déterminé que seuls 0,05% des Espagnols ont peur du terrorisme, dit David. L'antiterrorisme est le principal instrument de soumission du mouvement ouvrier. D'où l'importance de faire front commun internationalement ».

Condamné, l’État espagnol s'en fout

« En dix ans, 6600 cas de torture ont été dénoncés et 752 condamnations ont été prononcées. L'Espagne est condamnée tous les ans par l'Europe pour torture, mais ça ne sert à rien, dit David Santamaria. Le tribunal constitutionnel espagnol a aussi déclaré illégal le régime Fies, mais sans suite non plus. Il n'y a aucune trace officielle du nombre de morts dans les institutions. Le gouvernement espagnol fait ce qu'il veut. Quand des militants de l'ETA ont purgé leur peine en Allemagne ou en France, et qu'il avaient fini leur peine, l'Espagne les a remis en prison quand ils sont rentrés chez eux ». Quant au mouvement qui a réussi à faire interdir les « balas de goma », -les flashballs tiré par des fusils- il n'y a pas forcément gagné au change, l'armement des policiers ayant opté pour les LBD 40 français, lanceurs de balle de défense dont le pouvoir de mutilation n'est plus à démontrer. Par ailleurs 340 tasers sont en expérimentation.

* Bukaneros 92, groupe de supporters anarchistes et antifa.

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La ley mordaza
Votée par la droite en décembre 2014, la « Loi organique de protection de la sécurité citoyenne », est dite Ley Mordaza (loi bâillon), tant sont nombreuses les limitations des libertés individuelles et collectives sanctionnée de lourdes amendes et de peine de prison. Une partie sans passer par un juge. En traitement automatique, administratif hors de tout cadre judiciaire qui permet une defense. Une cinquantaine de fautes, jusqu’ici incluses dans le Code pénal (donc sanctionnées par une action judiciaire), sont désormais punies par des amendes administratives, contestables uniquement après coup : c’est-à-dire que l’intervention judiciaire d’un avocat ou un juge ne pourra se faire qu’a posteriori.

Ce qui légalise l'expulsion immédiate (sans passer par la case juge) pour les migrants à la frontière avec le Maroc. Autre tarifs applicables : de 30 000 à 600 000 € d'amendes pour des manifs aux abords d'infrastructures de services de base (exemple : une centrale nucléaire). De 600 à 30 000 € pour des manifs près de bâtiments sensibles de l’État (genre le Parlement après les manifs Rodea el Congreso), pour participation à une action contre une expulsion de logement, pour refus de présenter ses papiers d'identité à un flic. De 100 à 600 € pour avoir pris en photo ou filmé un policier, pour manque de respect envers un policier, pour occupation d'agences bancaires, pour sanctionner la top-manta, vente-ambulante qui cible directement les migrants, ou les escraches, manifs pacifiques sur le lieu de travail de ceux qu'on dénonce afin de faire pression : entrer en chantant dans une banque peut valoir jusqu’à 600 €.

Nicolas Delacasiniere,
(Syndicat CNT Interco Nantes et Région)

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