Secrétariat international de la CNT

Assassinats politiques en Russie : Assez !

Publié le mardi 27 janvier 2009

Tristesse et colère : tous ceux qui défendent les droits et les libertés chaque jour un peu plus menacés en
Russie sont sous le choc après l'assassinat, lundi 19 janvier de l'avocat Stanislav Markelov et de la jeune
journaliste Anastassia Babourova qui l'accompagnait.

Ces assassinats sont les deux derniers d'une liste de meurtres et d'agressions de toute sorte dont la longueur
nous est insupportable. Ces derniers mois les agressions n'ont fait que se multiplier en Russie, protester ou
exprimer son désaccord devient une prise de risque pour sa propre vie.
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La menace s'est démultipliée et la
violence contre les contestataires peut prendre bien des visages. La Russie ne doit pas être condamnée, dans
l'indifférence générale, à un trou noir où la justice n'aurait plus de place.
Stanislav Markelov était un des rares avocats défendant les militants des mouvements sociaux, des
syndicats et plus généralement des droits de l'Homme en Fédération de Russie. Il ne plaidait pas seulement à
Moscou mais n'avait de cesse de se déplacer dans toute la Russie, notamment dans le Caucase et même en
Biélorussie, ou à Strasbourg devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme.

Avocat engagé et homme de gauche, il prenait également part aux forums sociaux qu'ils soient russes ou
européens. Ses activités dérangeaient beaucoup de personnes. Il avait défendu Anna Politkovskaïa, les
victimes du Nord-Ost, celles d'un tabassage policier en Bachkirie. Plus récemment, il défendait un jeune
tchétchène accusant Ramzan Kadyrov (Président de la Tchétchénie) d'enlèvement et de torture, le journaliste
de Khimki, Mikhaïl Beketov, passé à tabac pour avoir dénoncé l'administration locale, la cause des ouvriers
de la papeterie de Vyborg dans leur tentative d'autogestion, des militants antifascistes accusés injustement
d'actes terroristes, des habitants de foyers menacés d'expulsion...Stanislav avait été violemment agressé dans
le métro de Moscou en 2004. Suite à des dernières menaces par SMS, beaucoup font le lien entre son
assassinat, lundi 19 janvier en plein centre de Moscou, et la libération le 15 janvier, pour bonne conduite, du
colonel Boudanov, incarcéré en 2003 pour une peine de 10 ans suite au meurtre d'Elza Koungaieva.

En effet Stas sortait d'une conférence de presse où il disait son indignation et sa volonté de poursuivre ce
haut militaire accusé d'avoir étranglé de ces propres mains cette jeune Tchétchène lors d'un interrogatoire. Il
avait l'intention de faire appel devant la Haute Cour de Justice. Sa connaissance et son engagement pour une
paix en Tchétchénie et dans tout le Caucase Nord étaient larges, tout comme son soutien à la lutte contre le
fascisme, le racisme et la xénophobie.

Anastassia Babourova était journaliste à Novaïa Gazeta et avait le courage de se saisir du sujet de la
Tchétchénie comme l'avait fait auparavant Anna Politkoskaïa. Nastia était une militante libertaire et son
engagement se reflétait dans le thèmes de ses articles : la jeunesse informelle et anti-autoritaire, les actions
protestataires de rue, la montée du néonazisme en Russie, les affaires judiciaires en lien
avec Stas Markelov. Elle était d'ailleurs présente à ses côtés lors du dernier Forum Social Européen de
Malmö. Elle est décédée à l'hôpital quelques heures après l'assassinat de Stanislav. C'est en voulant rattraper
le meurtrier qu'elle a été abattue.

Nous voulons dire notre soutien à toux ceux qui luttent pour que leurs droits soient défendus et pour
qu'une société plus juste voie le jour en Fédération de Russie.

Nous vous appelons à un rassemblement de solidarité et de recueillement en hommage à Stanislav Markelov
et Anasstasia Babourova.

A l'initiative de : Convoi Syndical, FIDH, Assemblée Européenne des Citoyens, CEDETIM
Signataires : Europe Solidaires sans Frontière, No Pasaran, LDH, Attac, Les Verts, Solidaires, Sud Ptt,
CGT,CNT


RASSEMBLEMENT DIMANCHE 1er FÉVRIER

à 15heures sur le parvis de Beaubourg en
solidarité avec le rassemblement
à Moscou au même moment

contact : convoisyndical gmail.com


Stanislav MARKELOV assassiné

Stas était de tous les combats, sur tous les fronts, à défendre les victimes des injustices, à propager ses idées, à voyager aux quatre coins de la Russie. Et toujours avec le sourire et la blague prête à partir. Jamais à se prendre au sérieux. Un copain, un camarade courageux, intelligent, simple et chaleureux. Pour des centaines et des centaines de militants de la plupart des régions de Russie.

Il a été assassiné, en plein centre de Moscou, en plein jour, d'une balle dans la tête. La seule envie après ça, c'est de crier et hurler, sa douleur, son indignation, sa colère ! Personne ne le rendra à la vie, mais les coupables et surtout les commanditaires doivent payer.

C'est l'escalade ces derniers mois, trop de crimes et d'agressions, trop de sang versé, pourquoi ? Qui en Russie est persuadé que la lutte pour la justice peut ainsi être stoppée d'un coup de revolver ou d'un coup de batte de baseball ? C'est vraiment prendre les gens pour des idiots ou du bétail, ce que ne se gênent pas de faire publiquement quantité de hauts fonctionnaires et hommes politiques véreux. Ou alors c'est vouloir que dans ce pays, les conflits sociaux et politiques se règlent non pas devant les tribunaux ou dans les manifestations, mais le révolver au poing.

Qui précipite la Russie dans une nouvelle ère de banditisme politique ?

Stanislav Markelov était de ceux qui s'étaient engagés corps et âme dans le combat pour la justice, en croyant jusqu'au bout aux armes du droit, de la solidarité, de l'information indépendante et du militantisme. C'était un avocat, mais un avocat militant, et de gauche, en plus, qualité rare en Russie, si ce n'est unique. Un allié infatigable des mouvements sociaux.

Les flics venaient vous arrêter en pleine nuit au lendemain d'une action antifasciste ou d'un blocage d'une tentative d'expulsion ? On pouvait appeler Stas, toujours prêt à prodiguer au moins conseils, si ce n'est à prendre le premier métro si l'affaire était sérieuse et dangereuse pour le soi-disant inculpé.

On parle surtout de ses activités en Tchétchénie. Depuis la première guerre en Tchétchenie il travaillait sans relâche pour que les coupables de crimes de guerre paient, et paient à la mesure de leurs actes. La dernière affaire en date, qui lui a sans doute valu d'être ainsi exécuté, concernait celle de la famille Koungaïev dont il s'était fait l'avocat. Leur petite fille Elza, a été violée et étranglée par le colonel Boudanov en mars 2000. Celui-ci a été condamné en 2003 à 10 ans de prison, mais a été relâché de façon anticipée le 15 janvier 2009. Markelov avait fait appel de cette décision devant la Haute Cour de justice. Il a été assassiné en sortant de la conférence de presse qu'il donnait à ce sujet, le 19 janvier.

Au-delà de la Tchétchénie, Stas était un fin connaisseur du Caucase, œuvrant sans fin à la pacification de la région, à l'entente entre les peuples et au développement des initiatives citoyennes indépendantes. Entre autres, il a animé un débat à ce sujet au Forum social européen de Malmö en septembre 2008, où il avait fait venir militants ingouches, géorgiens et ossètes pour un débat houleux mais fraternel et puissant symboliquement.

Il s'est énormément mobilisé dans le combat antifasciste, représentant dans les procès les militants antifascistes injustement accusés de meurtres ou d'agressions sur les fascistes (la police russe a la fâcheuse tendance de confondre fascistes et antifascistes et d'éprouver une certaine sympathie pour les premiers), plaidant pour les victimes des agressions fascistes, multipliant publications et interventions publiques contre toutes les formes de racisme, de xénophobie et de fascisme.
Il défendait tous les militants sincères et menant le combat contre la corruption, pour le respect minimal des droits sociaux, écologiques, syndicaux. Il fut ainsi l'avocat de Mikhail Beketov, ce journaliste et militant du mouvement des habitants de la ville de Khimki en banlieue de Moscou, passé à tabac le 13 novembre et toujours au bord de l'agonie aujourd'hui.

Il participait aux Forums sociaux de Russie, aux manifestations des mouvements sociaux, mettant son savoir de juriste au service des militants, expliquant sans relâche comment se comporter devant les policiers, comment utiliser la législation à bon escient, comment faire respecter ses droits. Lors du dernier Forum social à Irkoutsk, début août 2008, il m'avait dit en avoir marre d'en être réduit à son rôle d'avocat et vouloir également participer aux débats politiques du mouvement, pour pouvoir exprimer ses idées et ses convictions. Car c'était un homme de conviction. Un militant de gauche au sens noble du mot : pour la justice, l'autoorganisation, l'égalité entre les peuples, les hommes et les femmes. Contre le libéralisme ravageur et le capitalisme brutal régnant en Russie depuis les années 90 qui, selon lui, avait mené à la catastrophe politique et humaine des années 2000, notamment à la montée du fascisme et du banditisme politico-économique.

Pour qu'il n'y ait pas de confusion, et en mémoire de lui, je tiens à préciser qu'il n'avait rien à voir avec ceux qu'on appelle en Occident « l'opposition au Kremlin ». Il a toujours condamné cette « Autre Russie » de Kasparov et Limonov, accusant ses leaders d'être des droitiers libéraux, des fascistes méprisant le peuple. La dernière fois qu'on s'est vu, c'était au rassemblement du 30 novembre à Moscou contre la série d'agressions que venaient de subir des militants du mouvement social et syndical (je faisais alors parti de la liste). Il a fait une intervention à la tribune condamnant ces attaques « contre la justice » et appelant les militants à organiser collectivement leur auto-défense. Il m'avait alors confié qu'il avait désormais peur de répondre au téléphone : « chaque fois que le téléphone sonne, j'ai peur qu'on m'apprenne qu'un nouveau camarade et ami a fait l'objet d'une agression ». Aujourd'hui, Stas, personne ne t'appellera, mais on a tous reçu ce coup de téléphone assassin…


Carine Clément, sociologue, directeur de l'Institut de l'action collective à Moscou

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