PEOTRY GATE : RÉPRESSION POUR UN POÈME

« Laissez-nous vous conter la bien étrange fable,

Dont nous devons chercher, depuis lors la morale »

Les collègues du lycée Marcelin-Berthelot de Pantin ont subi une formation obligatoire sur le thème « laïcité et valeurs de la République », indigente sur le fond, agressive sur la forme et nauséabonde dans ses présupposés politiques.

Les enseignant·es ont été enjoint·es à chercher dans la tenue vestimentaire des jeunes filles la moindre trace de culture musulmane réelle ou supposée. Il n’est plus question que du voile mais aussi de robes trop longues, de bandeaux trop larges, de couleurs trop islamiques etc.

Les solutions sont ensuite présentées sous la forme d’une longue série de sanctions pénales et de peines de prison. Et pour clore ces trois heures, une IA-IPR annonce : « Je vous préviens, le recteur fait des descentes dans les établissements, il prend des photos de filles voilées et il convoque ».

En réponse à cette formation, les enseignant·es élu·es ont lu une motion sous la forme d’un poème en alexandrin lors du Conseil d’administration.

Le collègue ayant lu la fable a été convoqué au rectorat.

Les IA-IPR ont porté plainte contre le collègue lecteur.

Le Conseil des sages de la laïcité a émis le 14 janvier un communiqué mensonger consultable sur le site du ministère.

Une IA-IPR a répondu au journal réactionnaire Le Point, et ses propos ont été repris immédiatement par Valeurs actuelles.

Nous regrettons que notre administration n’ait pas fait preuve de plus de sagesse. En produisant ces écrits publics et mensongers, le Conseil des sages de la laïcité et notre IA-IPR ont jeté en pâture les personnels et les élèves à la pire fange de l’extrême droite. En effet, certains commentaires à la suite de l’article du Point sont glaçants :

« Il faut traiter ces professeurs comme des collabos et des ennemis au même titre que les porteurs de valise du FLN. »

« Un coup de nettoyeur haute pression serait bienvenu dans les équipes pédagogiques de l’Éducation nationale où certains confondent enseignement et endoctrinement. »

« Il devient urgent de nettoyer ces nids islamo-gauchistes avant que d’autres ne s’en chargent plus vigoureusement. »

Ces lecteurs et lectrices du Point n’ont visiblement pas été informé·es que l’Éducation Nationale n’a toujours été qu’une vaste entreprise d’endoctrinement au service du patronat, et c’est, au contraire, le respect des valeurs de liberté et d’égalité, que les profs tentent de défendre, qui sont visées ici !

Rappelons aussi que l’extrême-droite tue. Au lieu de protéger les enseignant·es et les élèves comme elle devrait le faire, l’institution les met en danger.

Il est manifeste que cet épisode relève de plusieurs obsessions répressives de l’administration Blanquer, assorties d’une stigmatisation de l’islam dans la course réactionnaire de la présidentielle afin de montrer à la droite que Macron, lui aussi, lutte contre les musulman·es « en même temps » qu’il lutte contre les pauvres, contre les réfugié·es, contre les militant·es féministes et antiracistes et contre les militant·es syndicaux·ales.

Cette intrusion permanente dans l’habillement des filles ne se limite pas aux musulmanes supposées. On se rappelle tou·tes des propos de Blanquer et de Macron sur les crop-top. Trop couvrant ou pas assez. L’État veut contrôler les vêtements des filles.

Le réveil de la « guerre scolaire », une tentative de la réaction pour récupérer le pouvoir scolaire contre l’invasion fantasmée des « pédagogistes rouges », des « pédagogues », des « wokistes » ou autres « islamo-gauchistes » – l’époque change, les noms aussi, mais l’objectif est le même : mettre les profs au pas pour qu’iels diffusent dans l’esprit des enfants une idéologie aussi réactionnaire qu’elle est nationaliste.

Ces événements sont particulièrement malvenus au vu de la situation, par ailleurs déjà compliquée, de l’établissement. En effet, le quartier du lycée s’est profondément transformé ces derniers temps : en plus de la proximité de la nouvelle colline du crack porte de La Villette se développe une sorte de guerre des quartiers et plusieurs des élèves de l’établissement sont victimes de passages à tabac, d’intimidation à l’arme blanche et de harcèlement en raison de leur appartenance réelle ou supposée à un quartier rival.

Les collègues font face à ces transformations avec des moyens déjà dérisoires et pourtant encore en baisse.

Avec leurs formations qui endoctrinent en instaurant un climat délétère de peur et de méfiance, le rectorat et le ministère continuent à nous administrer en ignorant les revendications des personnels de terrain et en méprisant la réalité des problématiques vécues dans les établissements scolaires. S’il n’était pas clair que l’institution ne se préoccupait guère de la réussite scolaire des élèves, il est aujourd’hui évident que les priorités du rectorat et du ministère sont absolument étrangères à l’éducation. Puisqu’il faut stigmatiser, diviser et bâillonner, la répression, est pour eux plus importante que d’assurer la viabilité du service public d’éducation.

Les stratégies d’intimidations du ministère à l’endroit des militant·es syndicaux·ales et de représentant·es du personnel sont inacceptables.

L’angoisse liée au doute et à l’attente d’une réponse de la justice met le collègue dans une situation d’anxiété particulièrement handicapante pour un travailleur.

L’utilisation des moyens de répression de l’État pour servir les délires absurdes et réactionnaires du ministre Blanquer sur l’obscurantisme woke ou l’islamo-gauchisme est une honte.

La CNT Éducation apportera tout le soutien nécessaire aux camarades réprimé·es. Nous tenons à rappeler que, quelles que soient les turpitudes que nous subissons, aussi islamophobes et réactionnaires que soient les ordres que l’on reçoit, au quotidien : C’est nous qui travaillons, c’est nous qui décidons !

CNT-FTE,

le 22 février 2022