A l’école de la Commune*

A l’école de la Commune*. Le 21 mai 1871, la Commune de Paris décréta l’égalité des salaires des institutrices et des instituteurs ; un siècle avant la loi « relative à l’égalité des rémunérations entre les hommes et les femmes » (1). Une occasion de rappeler son œuvre éducative émancipatrice.

Depuis la Révolution, l’instruction est un enjeu des politiques publiques. Au clergé et ses écoles d’Ancien Régime, il faut de nouvelles structures « nationalisées ». Il n’est pas question de pédagogie ou d’éducation intégrale mais d’instruction générale, une sorte de conscription intellectuelle et morale (2). En 1792, Condorcet propose « cinq degrés d’instruction sous le nom : 1° d’écoles primaires, 2° d’écoles secondaires, 3° d’instituts, 4° de lycées, 5° de société nationale des sciences et des arts ». Les degrés dans l’organisation de l’école publique ne seront pas « successifs » mais constitueront deux filières distinctes : le « primaire » pour le peuple, le « secondaire » pour les élites. Adolphe Thiers peut aussi affirmer en 1849 : «L’enfant qui a suivi l’école trop souvent ne veut plus ensuite tenir la charrue. Je soutiens que l’enseignement primaire ne doit pas être mis à la portée de tous » (3).

A côté de cette école d’Etat qui tarde à accorder l’instruction aux filles (4) et qui avec la loi Falloux (5) donne toutes libertés aux religieux pour l’enseignement primaire et secondaire, le mouvement ouvrier s’organise. En 1849, les institutrices Pauline Rolland, Jeanne Deroin et Gustave Lefrançais (6) publient un programme d’éducation de l’Association fraternelle des instituteurs, institutrices et professeurs socialistes. « Jusqu’à la fin des années 1870, les contrats d’apprentissage comportent couramment des clauses d’instruction mutuelle des apprentis du même atelier, hors de toute institution scolaire. » (7) Cette période fourmille d’initiatives pour une autre école. Des groupes se constituent, des réseaux, des expériences d’écoles libres.

Alors quand la Commune de Paris est proclamée le 26 mars 1871, l’éducation est au centre ; c’est « la question mère, qui embrasse et domine toutes les questions politiques et sociales  ». Elle doit devenir « un service public de premier ordre ». L’Assemblée communale reçoit  le 1er avril 1871 une délégation de la société de l’Education Nouvelle. Le 2 avril est publié le décret sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Une commission à l’enseignement est mise en place. Mais surtout, le conseil communal « prend acte de l’activité pédagogique intense qui s’étend dans les arrondissements et les quartiers » (8). Deux écoles professionnelles voient le jour, la première le 6 mai, rue Lhomond. Le 12 mai, rue Dupuytren, c’est une école d’art industriel pour les jeunes filles.

A l’école de la Commune de Paris*, l’éducation est obligatoire, gratuite et laïque. Elle se veut intégrale capable de valoriser toutes les aptitudes. Tout est fondamental.  « Il faut, enfin, qu’un manieur d’outil puisse écrire un livre, l’écrive avec passion, avec talent, sans pour cela abandonner l’étau ou l’établi. Il faut que l’artisan se délasse de son travail journalier par la culture des arts, des lettres ou des sciences, sans cesser, pour cela, d’être un producteur. » (9).  C’est une école polytechnique. Une école-atelier : on y apprend et on y travaille. « Cela allait dans le sens de la pédagogie du travail que Fourier, Cabet et Proudhon, pour ne citer qu’eux, avaient préconisée : le travail étant à la fois l’activité centrale de la société et l’activité ontogénique par laquelle l’individu se réalise… » (10)

A l’école de la Commune de Paris, l’élève n’est pas passif, cloué à une place. Le cours magistral est rejeté. « Qu’on y emploie exclusivement la méthode expérimentale ou scientifique, celle qui part toujours de l’observation des faits, quelle qu’en soit la nature, physiques, moraux, intellectuels » (11). Du concret plutôt que des « savoirs savants », écrit encore Louise Michel.

A l’école de la Commune de Paris, la gratuité est la règle. « Nous informons les parents des élèves qui fréquentent nos écoles qu’à l’avenir toutes les fournitures nécessaires à l’instruction seront données gratuitement par les instituteurs qui les recevront de la Mairie. Les instituteurs ne pourront, sous aucun prétexte, faire payer des fournitures aux élèves » (12). Dans d’autres arrondissements, « la mairie se charge de nourrir et d’habiller les élèves des écoles laïques » (13).

Il aurait fallu un peu plus temps de à l’école de La Commune pour de plus amples réalisations, mais les bases sont posées, les fondamentaux rappelés : l’émancipation est la condition de l’instruction.

Le 21 mai 1871, c’est aussi l’entrée de l’armée versaillaise dans Paris, le début de la semaine sanglante.

L’histoire de cette école émancipatrice a été totalement occultée par les républicains autoritaires, partisans d’une école d’Etat dont l’aboutissement sera la promulgation des lois Ferry entre 1879 et 1886 (14).

C’est pourtant l’école Ferry, le rang, les classes d’âge où la voie professionnelle est reléguée qui structurent encore l’école d’aujourd’hui où les « savoirs abstraits », le faire-semblant, la récitation, le mérite, l’évaluation à tous les niveaux et la discipline dominent. Une école caserne que Blanquer ne cesse de conforter.

Alors, 150 ans après, une éducation nouvelle est toujours possible comme à l’école de la Commune.

« Je suis ambitieuse pour l’humanité ; moi je voudrais que tout le monde fût artiste, assez poète pour que la vanité humaine disparût ».

Louise Michel

Nada

*Titre emprunté à Jean-François Dupeyron, A l’école de la Commune de Paris. L’histoire d’une autre école, Editions Raison et Passions, 2020. Merci à lui pour son livre nécessaire.

(1) Plus d’un siècle avant la Loi du 22 décembre 1972 « relative à l’égalité des rémunérations entre les hommes et les femmes ».

(2) Formule empruntée à Victor Cousin cité par Jean Foucambert, dans son ouvrage  L’école de Jules Ferry, un mythe qui a la vie dure. Réédition AFL, 2004, p. 56

(3) Jean-Noël Luc, Gilbert Nicolas, Le temps de l’école, de la maternelle au lycée 1880-1960, Editions du Chêne-Hachette Livre, 2006, p.15

(4) En 1833, la loi Guizot organise l’enseignement primaire public pour les garçons. Il y aura désormais une école primaire publique ou religieuse dans chaque commune de plus de 500 habitants. Pour les filles, il faudra attendre l’Ordonnance Pelet en juin 1836 qui incite mais n’impose pas l’ouverture d’une école spécifique dans chaque commune de plus de 800 habitants.

« Article 1 : L’instruction primaire dans les écoles de filles est élémentaire ou supérieure. L’instruction primaire élémentaire comprend nécessairement l’instruction morale et religieuse, la lecture, l’écriture, les éléments du calcul, les éléments de la langue française, le chant, les travaux d’aiguille et les éléments du dessin linéaire. »

(5)  Le 15 mars 1850 est promulguée la loi Falloux du nom du député monarchiste Frédéric Comte de Falloux. Quatre archevêques ou évêques sont membres de droit du Conseil supérieur de l’instruction publique.  La loi (article 17) reconnaît « deux espèces d’écoles primaires ou secondaires : 1° Les écoles fondées ou entretenues par les communes, les départements ou l’Etat, et qui prennent le nom d’Ecoles publiques ; 2° Les écoles fondées et entretenues par des particuliers ou des associations, et qui prennent le nom d’Ecoles libres. ». L’enseignement de « l’instruction morale et religieuse » (article 23) y est réaffirmé. C’est la priorité. « L’enseignement primaire est donné gratuitement à tous les enfants dont les familles sont hors d’état de le payer (article 24) ». L’enseignement secondaire est payant.

(6) Gustave Lefrançais, Souvenirs d’un révolutionnaire. De juin 1848 à La Commune, La fabrique éditions, 2013, p.103.

(7) J. Foucambert. Opus cité, L’école de J. Ferry, p.68

(8)  Ludivine Bantigny, La Commune au présent. Une correspondance par-delà le temps, La Découverte, mars 2021, p.106.

(9)  Henri Bellenger en mai 1871 dans les colonnes du Vengeur, cité par JF Dupeyron (opus cité, p.186) et reprise par Paul Doussin, La Commune et l’enfance, 1977. https://www.commune1871.org/la-commune-de-paris/histoire-de-la-commune/chronologie-au-jour-le-jour/988-la-commune-et-l-enfance-doussin

(10)  Jean-François Dupeyron,  A l’école de la Commune de Paris, p.83

(11)  JO de La Commune, 2 avril 1871 cité  par  Jean-François Dupeyron,  A l’école de la Commune de Paris, p.88

(12)  Mairie du 3è arrondissement, affiche signée par Ant. Arnaud, Demay, Dupont, Pindy cité par Jean-François Dupeyron,  A l’école de la Commune de Paris, p.142

(13)  Claudine Rey, L’enseignement sous la Commune, décembre 2016, Les amis de la Commune  https://www.commune1871.org/la-commune-de-paris/histoire-de-la-commune/dossier-thematique/les-services-publics/568-l-enseignement-sous-la-commune

(14)  28 mars 1882, Jules Ferry rend l’enseignement primaire obligatoire : article 1 : « L’enseignement primaire comprend : L’instruction morale et civique ; la lecture et l’écriture… exercices militaires  pour les garçons et  travaux à l’aiguille pour les filles. »