T37. Le protocole sanitaire : “une conception hygiéniste et dépassée des apprentissages”

Dans le protocole sanitaire imposé par le ministère, d’autres enjeux propres à l’école, apprendre à vivre ensemble, se trouvent occultés, passés sous silence“.

Le groupe ApprES (apprentissages et espaces) dans une tribune publiée sur le Café pédagogique du lundi 25 mai  estime que le protocole sanitaire de Blanquer et Bureau Véritas France* imposent  « un modèle ancien de l’enseignement et des apprentissages ». Extraits.

« Une gestion du risque par l’arraisonnement des corps

 Les trois premiers « fondamentaux » de ce protocole sanitaire traitent la question de la distance entre les personnes. C’est en cela qu’ils sont spatiaux, qu’il s’agisse du « maintien de la distanciation physique », de « l’application des gestes barrière » et de la « limitation du brassage des élèves » (page 4 du guide).

 Mais il n’est pas tant question d’élèves que de corps, de corps physiques, dont on veut régler les distances relatives, qu’on veut immobiliser et dont on veut réguler les flux pour éviter qu’ils ne se touchent. Voici donc les élèves ramenés à des positions, des intervalles, des pions sur un plan (on raisonne en deux dimensions dans le protocole sanitaire).

Pourtant, ces corps, d’ordinaire, participent de l’apprendre, par la parole, par les expressions, par les sens, par les postures, etc. Alors que devient ce restant, ce vivant qui est l’essentiel, mais qui est tu ?  Pourtant, ces corps, d’ordinaire, grandissent, s’épanouissent ; ils bougent aussi plus ou moins vivement. Alors, est-ce qu’on peut arraisonner de la même façon les corps de tous âges, de tous tempéraments ? Pourtant, ces corps, d’ordinaire, sont si différents, toujours singuliers. Sont-ils devenus standards au point qu’une règle universelle permette de gérer les problèmes qu’ils semblent être devenus ?

Ce qui doit être souligné, c’est combien cette vision hygiéniste est déconnectée de l’enseignement et des apprentissages scolaires

Un modèle ancien de l’enseignement et des apprentissages

(…) Dans ce protocole, l’organisation spatiale de la salle de classe est une affaire de table (d’élèves) et de bureau (du ou des professeurs) à séparer. Nulle part, il n’est question de coins, de meubles autres que ceux-là, d’objets qui permettraient de constituer autrement qu’en les quadrillant (au moyen d’élèves) ces espaces de classe. Nulle part, il n’est question d’apprendre autrement qu’assis à une chaise (on suppose que s’il y a des tables, il y a aussi des chaises…). Nulle part, il n’est question… du dehors**, plus vaste souvent que les intérieurs, et donc propice à un abaissement des densités comme à une aération sur laquelle insiste fortement le protocole.

Les rares mentions d’une scène d’enseignement renvoient à la plus classique des scènes que l’on puisse imaginer : le professeur parle devant les élèves, les élèves travaillent seuls, séparément (séparés) dans une relation duelle avec le professeur. Il est ainsi question au détour des fiches thématiques de « privilégier les lectures par l’enseignant pour limiter les manipulations des livres », de « privilégier des démonstrations par l’enseignant ou à l’aide de vidéos », d’« organiser des activités individuelles pour éviter les échanges de matériel ».

Pas de collectif, pas de coopération (…)

L’intégralité de la tribune est là :

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2020/05/25052020Article637259882662372241.aspx

*Bureau Véritas France est le « leader mondial en matière de Qualité, Hygiène, Sécurité et Environnement ». Cette entreprise très ancienne, fondée en 1828, intervient dans l’agro-alimentaire, la chimie, le nucléaire, les transports… Sa vision de l’école a dû rester figée dans le cortex de Jules Ferry !

**Moïna Fauchier-Delavigne et Matthieu Chéreau : Coronavirus « Et si nous faisions la classe dehors ». Le Monde, 28 avril 2020