T26. Réouverture des écoles : 316 maires d’Ile de France demandent le report. Des parents s’insurgent : « Nos enfants ne sont pas des cobayes ». Des collègues s’interrogent : “Combien vaut une vie d’enfant ?”

L’association des maires d’Ile-de-France demande “solennellement” au président de la République de repousser la réouverture des écoles à une date ultérieure au 11 mai. Des parents publient également une tribune. A lire ci-dessous.

“Combien vaut une vie d’enfant ?” http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2020/05/05052020Article637242620524531351.aspx

Et la circulaire de “rentrée”, là : https://www.education.gouv.fr/circulaire-relative-la-reouverture-des-ecoles-et-etablissements-et-aux-conditions-de-poursuite-des-303552

Monsieur le Président de la République,

Vous avez annoncé aux Français, aux élus locaux, aux acteurs économiques et à l’ensemble de la société civile, à l’occasion de votre discours du 13 avril dernier, une sortie du confinement à compter du 11 mai.

Au lendemain du discours du Premier ministre annonçant la stratégie nationale du gouvernement, nous nous adressons à vous pour tirer la sonnette d’alarme : Monsieur le Président de la République, en Île-de-France, l’Etat ne peut pas se désengager de sa responsabilité dans la réouverture des écoles le 11 mai ; et ce calendrier est, dans la plupart de nos communes, intenable et irréaliste. Les conditions sanitaires à mettre en œuvre sont sérieuses et c’est bien normal ; cela ne s’improvise pas.

Vous avez affirmé qu’il était nécessaire de rouvrir les écoles, pour résorber les inégalités sociales et territoriales. L’objectif est bien évidemment incontestable et nous le partageons, mais nous avons le sentiment que cet objectif initial a été perdu de vue et qu’il ne pourra être atteint dans ces conditions. Nous savons, également, à quel point les écoles jouent un rôle fondamental pour que les services indispensables puissent redémarrer, pour que les parents dont la profession est liée à la reprise du réseau de transports et à l’éducation notamment puissent reprendre leur activité sur le terrain, et permettre ainsi à l’activité économique de reprendre progressivement.

“Tout cela ne s’improvise pas du jour au lendemain”

Les maires que nous sommes en ont fait la preuve : nous nous sommes mobilisés, à chaque étape de cette gestion de crise, pour rassurer, communiquer auprès de nos habitants et leur expliquer les nouvelles règles à respecter. Nous avons grâce à notre présence quotidienne sur le terrain, organisé la gestion de crise, trouvé des solutions pour le personnel soignant et pour l’accueil de leurs enfants, l’apport en masques, l’approvisionnement en produits de première nécessité des populations vulnérables… Au lendemain de votre intervention, nous nous sommes mis au travail pour organiser la réouverture des écoles à compter du 11 mai. La République doit rester forte et unie lorsqu’elle traverse les épreuves les plus difficiles.

Mais nous apprenons, dix jours avant la date de réouverture des écoles, qu’il appartiendrait aux maires de décider de la réouverture des écoles, et aux parents de décider du retour vers le chemin des classes de leurs enfants. Que le calendrier de la reprise progressive des niveaux de classes, initialement annoncé, n’est plus valable, s’agissant des GS, CP et CM2. Et que nous ne saurons que le 7 mai, à la veille d’un week-end de trois jours précédant la rentrée annoncée, si nos départements sont officiellement classés en zone rouge. Enfin, nombreux sont ceux qui n’ont pas encore d’informations sur les enseignants qui seraient disponibles pour nos écoles, sur le nombre d’animateurs qui pourront être disponibles pour le périscolaire, ni même des effectifs des élèves à accueillir. Nous recevons par ailleurs des instructions pour donner une dimension culturelle et civique au périscolaire. Tout cela ne s’improvise pas du jour au lendemain.

“Comment choisir entre les enfants ?”

Nous ne comprenons pas comment il est possible de concilier l’objectif de volontariat et de pallier les inégalités sociales et territoriales. Comment choisir entre les enfants que les parents souhaitent remettre à l’école, ceux dont les parents doivent reprendre une activité professionnelle, et les autres enfants en situation de décrochage scolaire ?

S’agissant de la reprise économique qui est nécessaire, pourquoi ne pas avoir considéré dès le départ que le sujet des fratries était fondamental pour permettre aux parents une reprise de leur activité professionnelle ?

Nous ne comprenons pas pourquoi l’Etat se désengage de ses responsabilités en la matière, alors même que l’éducation d’une part, et la santé d’autre part, sont des compétences régaliennes.

Comment pourrions-nous prendre ce type de décisions dans un contexte de crise sanitaire extrêmement grave alors que nous n’en avons ni la compétence, ni les moyens, ni la responsabilité ?

Comment garantir enfin la sécurité des plus jeunes, de leur entourage, et de l’ensemble du personnel éducatif, du personnel d’entretien, alors que toutes les communes ne disposeront pas de l’équipement nécessaire ? Deux simples exemples concrets : il faut 4 à 5 semaines pour commander des masques. Il faut une semaine pour organiser l’apport des repas à la cantine.

“Un calendrier à marche forcée”

La préparation du déconfinement se fait dans un calendrier à marche forcée, alors que nous n’avons pas encore toutes les informations pour préparer la population, et que les directives sont mouvantes.

La souplesse et l’adaptation aux conditions locales sont nécessaires, et les maires souhaitent bien évidemment être associés à cette concertation. La situation sanitaire varie fortement en fonction des communes et des écoles, une décision uniforme ne pourrait fonctionner sur l’ensemble de notre territoire. Mais le désengagement de l’Etat de ses responsabilités en matière éducative et sanitaire, en pleine crise et alors que l’état d’urgence va être prorogé, est inimaginable.

Notre Région capitale devrait avoir une place plus forte dans la concertation nationale menée pour la stratégie de déconfinement. Bien que les services de l’Etat en région fassent un travail remarquable en termes de mobilisation et de concertation avec l’ensemble des parties prenantes, nous avons le sentiment que le Gouvernement n’entend pas nos problématiques, celles d’une région particulièrement touchée, dont la densité et la taille de la population n’équivalent à aucune autre, et qui est habituellement marquée par des flux massifs de personnes lors des déplacements quotidiens.

Repousser à une date ultérieure au 11 mai

C’est pourquoi, nous, maires d’Île-de-France, vous demandons solennellement :

  • De repousser la date de réouverture des écoles s’agissant des départements classés rouges et en particulier de l’Île-de-France à une date ultérieure au 11 mai, qui permettra l’application stricte d’un protocole sanitaire tout aussi strict qui commence à peine à être diffusé aux villes (ndlr : depuis le 2 mai) ;
  • Que l’Etat s’assure que toutes les conditions sanitaires sont réunies pour permettre aux enfants de reprendre le chemin de l’école, en s’assurant d’une concertation étroite entre la commune, l’IEN et la DASEN ;
  • De ne pas faire reposer sur les maires la responsabilité juridique, politique et morale de la réouverture des écoles, mais de les associer dans une concertation avec le Préfet de département, qui doit assumer l’entière responsabilité de sa décision prise sur proposition du maire ;
  • De demander à votre gouvernement de prioriser clairement les enfants qui pourront/devront reprendre le chemin de l’école en Île-de-France en tenant compte du contexte familial de chaque enfant et en suivant un impératif de justice et d’équité ;
  • Que des moyens financiers suffisants soient conférés aux communes pour qu’elles puissent assurer l’accueil périscolaire dans le strict respect du protocole sanitaire, qui induit nécessairement un coût et une mobilisation de personnel supplémentaires ;
  • De faire en sorte que s’arrêtent des logiques administratives incompréhensibles en termes d’équipements du personnel éducatif, et de privilégier un équipement pour tout le personnel d’une école par l’Education nationale, alors que de nombreuses communes pallient actuellement le manque de masques et de surblouses depuis le début du confinement en distribuant gracieusement leurs stocks aux professeurs qui n’en ont jamais reçu par leur ministère de tutelle.

Monsieur le Président de la République, nous sommes mobilisés pour éviter le pire, en première ligne sur tous les fronts de cette crise, et nous le resterons, au service de nos concitoyens. Nous comptons sur votre soutien.

Les signataires de la tribune sont là : https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/les-maires-d-ile-de-france-ne-porteront-pas-la-responsabilite-de-l-etat-dans-une-reouverture-des-ecoles-a-marche-forc


Non à une rentrée expérimentale le 11 mai : nos enfants ne sont pas des cobayes.

Tribune collective de parents d’élèves de Fontenay-sous-Bois, opposés à une reprise de l’école à marche forcée le 11 mai.

Le 20 avril dernier, le Conseil scientifique de suivi de l’épidémie a publié un avis selon lequel « Le risque de contagiosité individuelle chez les jeunes enfants est incertain, mais paraît faible. A l’inverse, le risque de transmission est important dans les lieux de regroupement massif que sont les écoles et les universités, avec des mesures barrières particulièrement difficiles à mettre en œuvre chez les plus jeunes. En conséquence, le Conseil scientifique propose de maintenir les crèches, les écoles, les collèges, les lycées et les universités fermés jusqu’au mois de septembre. ». Le chef de l’État, malgré sa promesse « d’écouter ceux qui savent » (discours du 12/03/20), est passé outre cet avis, et a annoncé la réouverture des établissements scolaires à partir du 11 mai. Le gouvernement s’en cache à peine : il s’agit d’assurer la garderie des jeunes enfants, pour pouvoir remettre leurs parents au travail. Cette reprise du travail, et le retour des enfants à l’école, cesseront très vite d’être « basés sur le volontariat » puisque, comme l’a annoncé la Ministre du Travail, les parents ne pourront plus bénéficier du chômage partiel pour garde d’enfants si les écoles rouvrent. Les travailleurs n’ayant pas accès au télétravail n’auront alors pas d’autre choix que de remettre leurs enfants à l’école.

La réouverture des écoles le 11 mai ne peut pas être correctement organisée, de l’aveu même de nombreux élus locaux, enseignants ou personnels des écoles qui sont en train de se préparer, malgré eux, à cette possible reprise. Dès lors, même sans connaissance médicale particulière, chacun peut se figurer les risques d’une telle décision : exposer massivement les plus jeunes et leurs familles à une maladie encore très mal comprise, relancer la circulation du virus et provoquer un second pic épidémique, ce qui obligerait à resserrer à nouveau les contraintes de confinement d’ici quelques semaines. Pour ces raisons évidentes, plusieurs pays se préparant au déconfinement ont choisi de ne rouvrir les écoles qu’en septembre.

Nos écoles, notre municipalité, les services académiques, comme celles et ceux qui y travaillent, ne doivent pas devenir les rouages d’une machine de guerre, mais doivent rester des composantes essentielles de notre démocratie, qui décident, en responsabilité, des meilleures mesures collectives pour l’éducation et la santé de nos enfants. Il y a peu de sens à reprendre l’école maintenant, en pleine épidémie, alors que les personnels sont épuisés par la « continuité pédagogique ». Des inégalités entre les enfants existent et se sont sans doute accrues pendant le confinement, mais quelle pédagogie peut se conjuguer avec la multiplication des tâches à réaliser dans l’urgence : tri des élèves qui retournent en classe, suivi de ceux qui restent à la maison, nécessité de faire respecter les gestes barrières, etc. ? Cela risque de virer au cauchemar pour les enseignants et pour nos enfants. Au contraire, gouverner c’est prévoir : les quelques mois qui nous séparent de la rentrée de septembre doivent être mis à profit pour laisser souffler les personnels, permettre le travail collégial des enseignants, réunir les conseils d’école et conseils d’administration, fût-ce par visio-conférence. Les enjeux sont immenses pour préparer l’année scolaire 2020-2021 dans de bonnes conditions : organisation des locaux, répartition des élèves et des personnels, nouvelles modalités d’accueil, adaptation des programmes et des méthodes pédagogiques, dispositifs de rattrapage pour les élèves, etc.

Nous attendons du Ministère de l’Éducation nationale un plan exceptionnel pour relever ces défis à la rentrée de septembre, ce qui suppose des moyens humains conséquents, à l’encontre de la pénurie de personnels entretenue depuis trois décennies et des fermetures de classe. Cela inclurait bien sûr les personnels d’enseignement (enseignants titulaires, RASED, remplaçants, AESH), d’encadrement, mais également les personnels de santé. En effet, la médecine scolaire est devenue inexistante, alors qu’elle aurait pu jouer un rôle majeur dans la réponse à la crise actuelle. Au lieu de cela, nous assistons aux annonces à l’emporte-pièce, sur les plateaux télé, du ministre de l’éducation Blanquer, régulièrement désavoué par le chef de l’État ou le premier ministre. Plus grave, tout comme la « continuité pédagogique » de ces dernières semaines, cette rentrée précipitée du 11 mai apparaît, au fil des annonces, comme une expérimentation grandeur nature, non seulement de la gestion de la crise sanitaire mais aussi de l’école de demain, dans un immense laboratoire où nos enfants joueraient le rôle de cobayes. Ce modèle d’école, préfiguré dans la loi Blanquer de 2019, et qui mêlerait pseudo-sciences cognitives, apprentissage « sans contact », enseignement à la carte, non-respect de la vie privée, management autoritaire des personnels et compétition tous azimuts, nous ne pouvons accepter qu’il nous soit imposé sous couvert de l’urgence sanitaire.

Nous ne pouvons accepter non plus, de la part d’un gouvernement qui n’a pas su planifier le risque d’une crise sanitaire (pénurie de masques, lenteur du dépistage, etc.), qu’il rejette maintenant toute la responsabilité du déconfinement sur les parents et sur les maires. C’est à l’État de fournir les moyens d’une reprise, et le discours ambiant sur la confiance envers le “terrain” et les élus locaux est un leurre. Les dernières décennies ont été celles d’un affaiblissement, par l’État, des collectivités locales, à qui on demande maintenant de porter tout le poids d’une reprise dans des conditions sanitaires incertaines. Si on n’y prend garde, cette manœuvre permettra à l’État, en cas d’échec du déconfinement et de reprise de l’épidémie (et donc, d’une nouvelle vague de décès), de faire porter la responsabilité sur les maires, qui risquent d’être accusés de n’avoir pas bien piloté la désinfection des locaux, ou sur les parents qui n’auront pas bien pris la température de leurs enfants le matin.

Sans attendre le zonage du 7 mai, certains maires en France, notamment celui de Montreuil, ont déjà refusé fermement de rouvrir les écoles le 11 mai : il est temps de leur emboîter le pas ! À bon droit, le Maire de Fontenay-sous-Bois dénonce publiquement la politique économique et sociale profondément inégalitaire du gouvernement, centrée sur l’austérité budgétaire, ainsi que l’absence de stratégie sanitaire et éducative. Nous attendons qu’il en tire pleinement les conséquences, en refusant de mobiliser les infrastructures et les personnels municipaux pour accompagner cette politique, et en annonçant dès maintenant que la rentrée des classes n’aura pas lieu avant le mois de septembre à Fontenay.

Les signataires de la tribune, là : https://blogs.mediapart.fr/arthur-vuattoux/blog/040520/non-une-rentree-experimentale-le-11-mai-nos-enfants-ne-sont-pas-des-cobayes-0