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Nationalisme et culture, la revue de presse

- Le Monde Diplomatique, Aout 2009

État et démocratie en question.

Monumental, l’ouvrage de Rudolf Rocker (1873-1958), enfin publié en français, décortique la genèse des idées politiques dans leurs applications
concrètes depuis l’Antiquité gréco-romaine jusqu’à la façon dont le nationalisme moderne cultivé par I’ État a perverti la dynamique émancipatrice de la civilisation (1). Il
pose un cadre historique évolutionniste dans lequel l’anarchisme, qui n’est pas analysé directement en tant que tel, à part quelques passages, n’apparaît pas comme une réflexion et un mouvement extérieurs à l’histoire humaine, mais bien comme l’expression de tendances inhérentes à celle-ci.

Selon Rocker, la démocratie représente
l’avènement d’une société de masse centralisée qui, malgré ses proclamations de principe et ses intentions, va inexorablement à
l’encontre de la liberté des individus. L’absolutisme, la centralisation et le nationalisme deviennent des entraves au développement économique général.

En revanche, la philosophie libérale, celle du droit naturel et non pas du "marché libre", représente une avancée contre les religions, les Églises et les théocraties,contre l’absolutisme. Pour l’auteur, elle s’oppose à la démocratie puisque celle-ci débouche inévitablement sur la nation et le
nationalisme. Car la "volonté générale"
chère à démocratie ou le "contrat social" rousseauiste ne seraient pas seulement des fictions, ni même des tromperies envers l’égalité économique, comme l’avaient déjà démontré Pierre-Joseph Proudhon ou Mikhaïl Bakounine, mais toujours d’après Rocker - des vecteurs inévitables du nationalisme et du totalitarisme. Ce processus débouche sur le fascisme, qu’il connaît bien
en tant que secrétaire général de l’Association internationale des travailleurs, créée à Berlin en 1923 ; il a dû fuir l’Allemagne nazie (avec son manuscrit sous le bras).

Ce livre, qui tic dépasse pas le cadre des sociétés occidentales, peut être complété par l’ouvrage, plus réduit et extrêmement stimulant, de David Graeber (2). Cet anthropologue canadien prend l’anarchisme et l’anthropologie par les deux bouts, en montrant ce que l’un peut apporter à l’autre, et réciproquement. Il se demande malicieusement pourquoi
cette piste n’a pas été explorée plus avant malgré les essais d’Alfred Radcliffe-Brown (qui fut anarchiste dans sa jeunesse) ou de Marcel Mauss. S’intéresser aux sociétés dites
primitives, sans qu’on puisse d’ailleurs leur donner un nom satisfaisant, permet de constater qu’il existe des sociétés sans État, quasi
anarchistes, et d’expliquer pourquoi leur choix fut conscient puis de s’interroger sur ce que signifie alors la « modernité » (ou la
"postmodernité"). Pour Graeber, les sociétés dites modernes peuvent être approchées de la même façon que les sociétés dites primitives.

A partir de nombreux exemples, il analyse les modes de prise de décision, consensuelle ou majoritaire, insistant sur le caractère militaire, fatalement hiérarchique, de la démocratie issue d’Athènes. Il montre aussi que les individus et les groupes sociaux savent, partout et en tout temps, fuir l’État en évitant un affrontement violent, trop inégal et fatal.

(1) CNT-RP - Les Éditions libertaires. Paris-Saint-Georges-d’Oléron, 2008, 672 pages, 20 euros. L’ouvrage a été traduit de l’allemand par Jacqueline Soubrier-Dumonteil avec une présentation d’Eduardo
Colombo. "L’auteur et son œuvre" et une bibliographie
établie par Heiner Becker.

(2) David Graeber. Pour une anthropologie anarchiste. Lux, Montréal, 2006, 170 pages, 16 euros.

- N’Autre école, n° 20, automne 2008

Deux exploits en une publication : un excellent rapport qualité prix, un apport indispensable aux lecteurs de langue française d’un ouvrage classique existant depuis des décennies en anglais, castillan, allemand, italien, néerlandais et suédois.

Bien qu’écrit dans l’Allemagne de 1932-33, pour des Allemands, le livre se lit encore aujourd’hui avec profit, et il stimule la réflexion. Dans « Religion et politique », Rocker démontre que « Le commandement divin ”Tu feras !“ et l’or-dre du gouvernement ”Il faut que tu fasses !“ se complètent au mieux. Le commandement et la loi ne sont que des expressions différentes du même concept. » (p. 51) Les présidents des États-Unis et leurs appels à Dieu dans tout conflit armé, les appels de Sarkozi à un mélange de religions et d’athéisme, sans compter son discours après une messe sur le sacrifice de dix soldats français en Afghanistan pour la défense de la civilisation, entrent dans cette escroqueries des consciences. « Pouvoir politique et culture » souligne avec justesse « Un nouveau pouvoir peut mettre fin à la domination d’anciennes classes de privilégiés mais il ne peut le faire qu’en créant immédiatement une nouvelle caste de privilégiés qu’il utilise à la réalisation de ses plans.

Ainsi, les fondateurs de la prétendue « dictature du prolétariat » en Russie « ont dû créé une aristocratie de commissaires qui se détache autant de la vaste masse des populations actives que les classes privilégiées dans les autres pays. »

Particulièrement judicieux est le chapitre « La nation, communautés de mœurs, de coutumes et d’intérêts identiques » : « En réalité, la croyance en cette unité est une illusion […] quelle communauté pourrait-il exister entre un résident du « quartier des millionnaires » de Berlin et un mineur de la Ruhr ? […] Dans tout pays de grande étendue, on peut faire une multitude distinctions de nature climatique, culturelle, économique et sociologique en général. » (p. 297).

 
A propos de éditions CNT-RP
Michel Bakounine, présentation de Frank Mintz, 2006, 72 pages. Ce court livre, le second de la collection « Classiques » des Éditions CNT, rassemble deux textes essentiels de Bakounine, « La politique de l’Internationale » (paru en 1868 dans L’Égalité) et « Organisation de l’Internationale » (publié (...)
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