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La Tragédie de l’Espagne, la revue de presse

- Alternative Libertaire, n° 158, janvier 2007

Lire : Rocker, « La Tragédie de l’Espagne »

En août 1937 paraissait aux États-Unis un vibrant plaidoyer en faveur de l’Espagne révolutionnaire. The Tragedy of Spain est l’œuvre d’un militant qui a accompagné le mouvement anarchiste depuis la fin du XIXe siècle, Rudolf Rocker. Présent au Congrès socialiste international de Londres en 1896, au congrès anarchiste d’Amsterdam en 1907, il rédige la déclaration de principes de l’Association internationale des travailleurs (AIT) à Berlin, en 1922, et publie Les Soviets trahis par les bolcheviks, sur la Révolution russe.

Dans The Tragedy of Spain, c’est avec toutes ses tripes que Rocker, qui a dû fuir le nazisme en 1933, prend parti pour le prolétariat espagnol. Son livre est surtout axé sur la géopolitique du conflit et met en lumière la façon dont les impérialismes voisins (Rome, Berlin, Paris, Londres et Moscou) pèsent sur le cours des événements. Rudolf Rocker est trop lucide pour rester aveugle aux erreurs de la direction de la CNT-FAI, mais il fait partie de celles et ceux qui pensent qu’il faut éviter d’en faire la critique publique (lire à ce sujet l’article “Face aux errements de la Révolution espagnole”, dans Alternative libertaire n°156, novembre 2006). En première ligne face aux fascistes, poignardée dans le dos par les staliniens, la CNT-FAI ne pourra compter que sur la solidarité morale et matérielle de la partie du mouvement ouvrier mondial non encore inféodée à Moscou. C’est avec cette conviction que Rocker a mis sa plume, sans réserve, à son service.

Guillaume Davranche (AL Montrouge)

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- Gavroche, n° 148, octobre 2006

Rudolf Rocker fait partie de ces lutteurs indomptables que leur intransigeance condamne à un perpétuel exil. Exclu à 18 ans du parti social-démocrate allemand, il devient anarchiste et doit s’enfuir d’Allemagne une première fois en 1892 pour échapper à la prison. Il gagne Paris, dont la répression policière le chasse trois ans plus tard. Réfugié à Londres, il collabore à des publications anarchistes juives et apprend le yiddish. Infatigable organisateur et propagandiste du mouvement libertaire, absolument opposé à la guerre, il est arrêté en 1914 et interné jusqu’au début 1919. Libéré, il tente de rejoindre l’Allemagne alors en pleine révolution, mais reste bloqué à la frontière hollandaise. Après l’écrasement de l’extrême gauche par les sinistres « corps francs » alliés au gouvernement social-démocrate, il participe à la création du syndicat Freie Arbeiter Union Deutschlands (FAUD) et devient l’un des intellectuels anarchistes les plus écoutés dans le monde. L’arrivée au pouvoir des nazis, suivie de l’incendie du Reichstag, l’obligent à quitter l’Allemagne une nouvelle fois pour sauver sa vie. Arrivé aux États-Unis en septembre 1933, au terme d’un long périple, il entreprend immédiatement une campagne de conférences pour éclairer l’opinion américaine sur la réalité du nazisme et prépare la publication de son œuvre maîtresse, Nazionalismus und Kultur, qui paraîtra à l’automne 1937.

Apprenant le soulèvement du peuple espagnol et l’échec du putsch fasciste, Rudolf Rocker met aussitôt son énergie au service du mouvement révolutionnaire et de son organisation de masse, la CNT. Face à la presse conservatrice, qui ne veut voir dans la guerre civile qu’un affrontement entre le fascisme et le bolchevisme, et pour contrer la propagande stalinienne qui couvre d’insultes et de calomnies les anarcho-syndicalistes, Rocker et ses amis multiplient les meetings et les publications.

The Tragedy of Spain est donc un texte de combat, contre les franquistes, et contre « l’abjecte racaille pour laquelle tout crime fait l’affaire dans la mesure où il sert les desseins de Moscou ». Rudolf Rocker, s’adressant aux Américains, loin du conflit, et instruit par son expérience européenne, privilégie l’approche géopolitique. Il dénonce les accointances de la Grande-Bretagne, premier détenteur de capitaux espagnols, avec le camp fasciste, et affirme que le bellicisme de Hitler et de son acolyte italien augure une deuxième guerre mondiale. Sortant de vivre une autre tragédie, celle du prolétariat allemand, abandonné au nazisme par les dirigeants du KPD afin de servir les tortueux desseins du maître du Kremlin, il est parfaitement lucide quant au cynisme absolu de Staline. Sans appuis à l’extérieur, prise en tenaille à l’intérieur entre l’armée fasciste et « la faction réactionnaire criminelle du gouvernement Negrin, qui est entièrement sous le contrôle de la Russie et de ses alliés impérialistes », la CNT-FAI se bat seule, et le vieux lutteur la soutient sans réserves. Ce n’est pas qu’il ignore les erreurs et les faiblesses des « anarchistes de gouvernement » et de l’appareil cénétiste mais, comme le dit son ami Max Nettlau : « Dans un moment comme celui-ci, on lutte et on ne bavarde pas, et si on ne peut le faire, au moins on ne frappe pas dans le dos ceux qui sont réellement en train de combattre et y mettent leur vie en jeu ».

Rudolf Rocker met le point final à sa brochure en août 37, alors que les affrontements de mai à Barcelone ont décapité le POUM et porté un rude coup aux libertaires. Mais Rocker y croit toujours : la CNT est encore puissante, les crimes des agents de Staline les rendent odieux, tout reste possible… La Tragédie de l’Espagne s’achève sur un vibrant appel à la solidarité avec le peuple espagnol « trahi par ses ennemis secrets ou déclarés […] et qui pourtant ne veut pas abandonner le combat, parce qu’il sait qu’il abrite en son cœur les racines de la liberté et de la dignité de l’homme dont dépend le futur de tous ».

Il est de bon ton aujourd’hui, dans les milieux libertaires, d’expliquer la défaite de la CNT par la « trahison » de ses dirigeants. Cette thèse, idéologiquement confortable (et quelque peu présomptueuse), procède d’une mythification du mouvement anarchiste qui, en réalité, n’était pas assez fort pour imposer la révolution sociale au camp républicain et battre en même temps l’ennemi fasciste. Rudolf Rocker rappelle cette vérité élémentaire : « Une lutte ouvertement déclarée au sein du camp antifasciste ne pouvait tourner qu’à l’avantage de Franco et de ses alliés ».

La lecture de ce texte puissant, publié pour la première fois en français et complété par une présentation et des notes très didactiques, ramènera peut-être les intrépides censeurs des leaders de la grande CNT à un peu plus d’objectivité, voire d’humilité.

François ROUX

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- Dissidences

Rudolf Rocker, d’origine allemande, est un des dirigeants du mouvement libertaire durant l’entre deux guerres. Dirigeant de l’AIT, il connut l’exil dès avant la première guerre mondiale. Lorsqu’il écrit cette brochure, dont c’est la première traduction française, il réside aux Etats-Unis. Ce texte n’est donc pas une relation directe des évènements espagnols par un témoin, mais une analyse politique, basée sur la documentation disponible (essentiellement la presse, dans toute sa variété). Cet éloignement géographique des lieux de l’affrontement n’empêche un ton assez dramatique et passionné. En fait, l’angle d’attaque de la question espagnole que retient Rocker est celui d’une analyse géostratégique/géopolique des forces en présence. A partir d’un premier chapitre qui ne dépareillerait pas dans un manuel d’analyse matérialiste, il montre le rôle des capitaux étrangers, en premier lieu anglais, dans le fonctionnement de l’économie espagnole. Ce sont ces investissements qui expliquent la réticence, pour le moins, de l’Angleterre à soutenir les forces républicaines, ses capitaux étant susceptibles d’être mieux défendus par les forces rebelles. La France du Front populaire s’est alignée sur la position anglaise. De l’autre côté, l’URSS stalinienne s’engage en Espagne au nom de la défense de son propre territoire qui serait menacé par une victoire des forces franquistes. Le sort de la République espagnole se trouve en fait dans les mains de puissances étrangères (un chapitre s’intitule « Sous le fouet des puissances étrangères »). Face à ces soutiens, la dynamique révolutionnaire, incarnée par la CNT (et dans une moindre mesure par le Poum), apparaît bien isolée (d’où le titre, « La tragédie de l’Espagne »). La politique de cette dernière, magnifiée et un tantinet acritique (selon Rocker les communautés paysannes se seraient rangées avec enthousiasme à la politique de collectivisation des terres, ce qui ne correspond pas à la réalité) souffre d’attaques contre-révolutionnaires des républicains-staliniens. C’est en particulier le cas en ce qui concerne les collectivisations agricoles, systématiquement remises en question et de l’armement du front aragonais, tenu par les milices de la CNT, mais sans aucun armement lourd fournis par Moscou, contraignant les anarchistes à l’immobilisme. A cette situation se surajoutent les évènements de Mai en Catalogne (la brochure est écrite quelques mois après), véritable tournant contre-révolutionnaire. L’analyse de Rocker emprunte celle de la CNT-FAI, sans véritable critique : à Barcelone, il fallait céder aux républicains car sinon cela impliquait de s’emparer du pouvoir, ainsi qu’il l’écrit en toutes lettres (Les brigades de la CNT « étaient prêtes à porter assistance sur-le-champ à leurs camarades bassement trahis. Le Comité national de la CNT les a empêchés, ce qui n’était certainement pas la conduite d’hommes ayant le dessein de renverser le gouvernement et de s’emparer du pouvoir et de le garder pour eux seuls », p. 102.). A l’instar d’autres dirigeants anarchistes, ainsi Emma Goldman, Rocker retient ses critiques à l’égard de la politique mise en œuvre par la CNT. On peut comprendre la difficulté à faire la leçon depuis New York à l’égard des forces engagées dans une bataille sanglante. Il n’empêche que de cacher les divergences n’apparaît pas comme la meilleure des statégies si l’on songe que durant de nombreuses années, la CNT (une partie d’entre elle tout au moins) à continuer à siéger dans le gouvernement républicain en exil, avec les forces politiques qui ont conduit à la défaite de la République en provoquant la contre révolution intérieure.

GU

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- Sur le site Anarlivres

La Tragédie de l’Espagne. Cet inédit en français, écrit en 1937, s’attache essentiellement à la dimension internationale de la révolution espagnole. Particulièrement clairvoyant, Rudolf Roker analyse les raisons de la fausse neutralité de l’Angleterre et de la France, attachés à la protection de leurs intérêts économiques, craignant par-dessus tout une révolution sociale. Une « dictature neutre » les aurait satisfaits car déconnectée de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste, concurrents redoutés. L’URSS, quant à elle, complice des puissances libérales, favorable à une « République démocratique », redoutant une révolution par trop libertaire qui ne pouvait que lui échapper, se servit du Parti communiste espagnol pour mener une action contre-révolutionnaire. La tragédie du peuple espagnol fut bien d’avoir été l’otage de ces Etats européens en lutte pour satisfaire leur volonté de puissance.

 
A propos de éditions CNT-RP
Michel Bakounine, présentation de Frank Mintz, 2006, 72 pages. Ce court livre, le second de la collection « Classiques » des Éditions CNT, rassemble deux textes essentiels de Bakounine, « La politique de l’Internationale » (paru en 1868 dans L’Égalité) et « Organisation de l’Internationale » (publié (...)
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