dimanche, 15 mai 2011|

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La Ténébreuse affaire de la piazza Fontana, la revue de presse

- Sur le site Anarlivres

Le 12 décembre 1969, une bombe éclate devant la Banque nationale de l’agriculture, piazza Fontana, à Milan. Seize morts et une centaine de blessés. Très rapidement, trop, l’enquête s’oriente vers les milieux d’extrême gauche, et plus particulièrement vers les libertaires. L’anarchiste Pietro Valpreda est accusé d’être l’auteur du massacre et le cheminot libertaire Giuseppe Pinelli, arrêté lors d’une rafle, passe par la fenêtre de la préfecture de police, pendant un interrogatoire. Petit à petit, la vérité va voir le jour : si les exécuteurs sont issus de groupes nazis-fascistes, les manipulateurs dans l’ombre appartiennent aux services secrets et aux plus hautes sphères de l’Etat. Il s’agit d’un « massacre d’Etat », s’intégrant dans une « stratégie de la tension », pour un « coup d’Etat rampant ». Tout est dit dans l’ouvrage de Luciano Lanza, pour la première fois traduit en français. Les hommes de main ont tous été consciencieusement acquittés par la justice italienne et les derniers en mars 2004, au moment même où les héritiers de la Démocratie chrétienne, Silvio Berlusconi en tête, réclamaient l’extradition de militants ayant fait le choix des armes suite à la « stratégie de la tension ». De 1969 à 1980, 150 assassinats peuvent être attribués aux groupes d’extrême droite contre 94 pour l’extrême gauche. Deux poids, deux mesures, mais aussi un remarquable télescopage de l’Histoire ! Des faits qu’il est essentiel de rappeler ; ce que cet ouvrage fait excellemment. Indispensable !

- À Contretemps, n° 21, octobre 2005, pp.25-26

Il faut se féliciter que l’ouvrage de Luciano Lanza consacré à l’affaire de la piazza Fontana - paru en italien, en 1997, sous le titre Bombe e segreti [bombes et secrets] - soit désormais disponible en langue française. D’autant qu’il l’est dans une excellente traduction et une édition soignée, rigoureusement annotée et augmentée d’une « chronologie essentielle » ainsi que d’une « lettre
de Valpreda à la rédaction d’Umanità nova, écrite de la prison de Regina Coeli, le 14 avril 1970 ».

« Evénement inaugural », écrit Miguel Chueca dans un avant-propos, le « massacre de la piazza Fontana » data « ce jour où, selon une expression maintenant consacrée, toute une génération politique perdit son innocence ». C’est donc de là qu’il faut partir « si on veut trouver son chemin dans
l’obscurité des "années noires" de l’Italie et comprendre quelque chose aux faits qui ont ensanglanté son histoire entre 1970 et 1980 ».

Pour Luciano Lanza, l’attentat perpétré le 12 décembre 1969 contre la Banque de l’agriculture, située piazza Fontana, à Milan, marqua « un moment fondamental dans l’histoire de l’Italie de l’après-guerre ». Ce jour-là, ajoute-t-il en préface de la Ténébreuse Affaire de la piazza Fontana, « on vit se matérialiser la nature criminelle d’une classe politique qui, pour garder le pouvoir face à l’avancée du "communisme", était prête à toutes les extrémités, y compris à semer sa route de cadavres afin que sa domination ne fût pas remise en cause. » Précédée par les explosions du 25 avril et 7 décembre de la même année et relayée, ce même 12 décembre 1969, par un autre attentat à Rome, la tuerie de Milan (16 morts et plus de 80 blessés) inaugura une « stratégie de la tension » de funestes conséquences puisqu’elle incita la gauche extra parlementaire à « répondre, en élevant du coup le "niveau de la lutte" » à une droite qui avait « pris l’initiative de frapper la première ». Jeu pervers et logique absurde, poursuit L. Lanza, dont le principal effet fut de « [faire] entrer en crise presque tous les projets de changement radical de la société italienne », et ce jusqu’à nos jours.

C’est donc à cette « ténébreuse affaire » - juridico policière -, mais surtout aux considérables enjeux politiques qu’elle recouvrit que L. Lanza consacre une passionnante enquête. « Je ne cache pas, précise-t-il, que j’ai vécu nombre de faits relatés ici en tant que militant anarchiste du Cercle du Ponte della Ghisolfa. Jusqu’au 15 décembre 1969, le jour de sa mort, j’ai partagé mon activité politique avec Giuseppe Pinelli et j’ai participé activement à la campagne pour la libération de Pietro Valpreda. Je suis donc impliqué, même sur le plan émotionnel, dans ces événements. Cependant, les trente-cinq années qui se sont écoulées depuis lors m’ont permis de me fixer pour but la plus grande objectivité possible. » Méticuleux dans son exposé et précis dans ses conclusions, L. Lanza - aujourd’hui journaliste et responsable de la revue Libertaria - remonte donc, pas à pas, le fil de cette sinistre opération. Avec, pour seule satisfaction, pourrait-on dire, la conviction, désormais étayée sur preuves,
que, seuls contre tous, les anarchistes, principalement visés par le montage, avaient vu juste à l’époque en parlant de « massacre d’État ». Au grand dam de la presse qui en déduira une forte propension de leur part au délire et à la paranoïa. Et pourtant c’en fut bien un de massacre d’État, et
dans les grandes largeurs, opéré par des mercenaires fascistes travaillant pour des services secrets - italiens et étrangers - et couverts par des flics, des juges et des ministres, c’est-à-dire toute une part de l’appareil d’État italien, un massacre sciemment organisé, inscrit dans une gradation et répondant
à une stratégie : la préparation d’un coup d’État sur le modèle de celui des colonels grecs.

« Des fascistes mettent des bombes. La police arrête des anarchistes. C’est le schéma classique de cette affaire. Les directives viennent de haut : il faut frapper à gauche », écrit L. Lanza. Giuseppe Pinelli sera balancé du quatrième étage de la préfecture de Milan et Pietro Valpreda - « la bête
humaine ! », titra la presse - tira, en toute innocence, trois ans de prison. Comme tout vient à qui sait attendre, la piste « nazi-fasciste » finit par intéresser quelques juges et journalistes, et ce d’autant que, sitôt assis sur les bancs de la justice, les suspects appartenant à ce bord-là étaient toujours innocentés. Ainsi, de fausse piste en fausse piste, le temps passa suffisamment pour que, recyclés les mercenaires du crime et revenus à de meilleurs procédés leurs commanditaires, la belle justice conclut tout bêtement, trente-six après l’attentat de la piazza Fontana, au non-lieu général. C’était le 3 mai de cette année, en cassation, à Milan.

« Les grands médias ont suivi l’évolution des procès d’un œil distrait, indique L. Lanza, et seuls les acquittements ont retenu un tant soit peu leur attention : la "raison d’État" voulait que personne ne fût jugé coupable... » Reste, ajoute­t-il en conclusion de sa remarquable enquête que, chaque 12 décembre, des manifestants se dirigent vers la piazza Fontana de Milan, bien décidés à refuser de s’incliner devant cette déraisonnable raison qui, après avoir fait endosser le crime à d’autres, a fini par ne l’imputer à personne, pour innocenter d’abord l’État coupable du massacre.

F. G.

 
A propos de éditions CNT-RP
Michel Bakounine, présentation de Frank Mintz, 2006, 72 pages. Ce court livre, le second de la collection « Classiques » des Éditions CNT, rassemble deux textes essentiels de Bakounine, « La politique de l’Internationale » (paru en 1868 dans L’Égalité) et « Organisation de l’Internationale » (publié (...)
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