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Histoire du fascisme aux États-Unis, la revue de presse

- Les Temps maudits, n° 27, octobre 2008

LARRY PORTIS Histoire du fascisme aux États-Unis, Paris, CNT RP, 2008, 324 p. 16€

Une lecture indispensable, à partir d’analyses convaincantes des années 1930-1980 de George Seldes. La conclusion rappelle les lois antiterroristes du gouvernement Bush et ses similitudes avec celles des nazis, consistant à refuser toutes protections légales aux « terroristes » (les prétendus ennemis et tous ceux qui critiquent ces lois), protections jugées rétrogrades. D’où la mise en place d’un « système de surveillance électronique tous azimuts, qui attente aux libertés individuelles des citoyens et des étrangers, en violation de leur vie privée. Les résultats sont manifestes pour qui veut les voir : en quatre ans, le « USA Patriot Act » a déjà permis des arrestations secrètes et des détentions illégales fondées sur l’arbitraire du pays d’origine, de la race ou de la religion. On peut remarquer que la plupart des pays adoptent des lois de plus en plus proches de celles des États-Unis.

Frank Mintz (brèves de lecture, Les Temps maudits, n° 27, octobre 2008, pp. 118-119.

- À Contretemps, n° 32, octobre 2008, pp.28-29

Pour Larry Portis, l’histoire des États-Unis repose sur « énigme ». Se voulant le pays de la « liberté » par excellence, il est aussi, nous dit-il, « celui où la conformité et la répression sont solidement ancrées dans la culture politique ». C’est donc à une exploration des contradictions qui fondent cette énigme que ce livre nous invite, à travers une étude très documentée des « tendances réactionnaires état- uniennes.

Dès ses origines - la guerre pour l’indépendance (1776-1781) et sa création juridique (1787) -, l’État nord-américain se structure, en effet, autour de deux « tendances contradictoires » : la revendication « obsessionnelle » de ses intentions démocratiques et l’émergence, puis la consolidation, d’une « idéologie nationaliste » reposant sur l’idée, communément admise et déclinée, d’une destinée particulière. Menée tout au long du XIX’, la politique de destruction systématique -« génocidaire », écrit L. Portis - des minorités ethniques indique rapidement que si « le "destin" des Américains est d’apporter la liberté la liberté et la civilisation au reste du monde », celui des Indiens « fut de disparaître ». De la même façon, par l’usage massif de l’esclavage dans le sud des États­Unis, sa perpétuation, pendant de longues années, après la -victoire « nordiste », en 1865, et par la pratique - légale - de la ségrégation raciale, le destin des « Nègres » fut de subir, plus d’un siècle durant, les pires humiliations et la surexploitation la plus éhontée. L. Portis a le mérite de situer ces deux éléments, constitutifs de l’histoire de la nation, dans le processus capitaliste de son développement - commercial et industriel. La quête de nouveaux territoires exigeait, logiquement, d’en chasser les Indiens , la culture expansive du coton, de disposer d’une main-d’oeuvre « nègre » corvéable à merci. « Le fameux "pragmatisme" - combinaison d’utilitarisme et d’esprit pratique -, est, note L. Portis, l’une
des caractéristiques majeures de la culture états-unienne, avec le fatalisme. » Autrement dit, qu’importe qu’on casse les veufs si l’omelette est bonne.

Le puritanisme protestant fonda un état d’esprit parfaitement adapté, nous dit L. Portis, aux exigences d’un capitalisme soucieux de faire des États-Unis sa « terre promise ». Le fait est que cet imaginaire de « peuple élu » se transmit, de flux migratoire en flux migratoire, à des populations venant d’ailleurs, mais finissant par se fondre, plus ou moins rapidement, dans un même moule idéologique. C’est sans
doute là une des spécificités majeures de cette histoire, qui fait des États-Unis un monde à part.

Sur tous ces aspects, l’étude de L. Portis est très riche d’informations et d’analyses. Sur d’autres aussi, d’ailleurs l’émergence de la question sociale, des « Molly Maguires » aux IWW ; la criminalisation des dissidences sociales ; l’ascension graduelle d’une mentalité anti-rouge.

Là où la démonstration pèche un peu, c’est quand elle opère un lien systématique entre ces manifestations antisociales, promues et financées par le grand capital, et le fascisme. Au point de risquer l’anachronisme en qualifiant de « fascisants » certains procédés ultra-autoritaires, comme la
répression des « Molly Maguires »... en 1870. À ce train-là, on pourrait aussi dire que Thiers préfigurait le fascisme ! Cette dérive sémantique est d’autant plus curieuse que L. Portis insiste, à plusieurs reprises, sur la nécessité de s’en tenir à une « définition claire » du fascisme, en proposant
celle-ci : « mode de contrôle politique autoritaire qui émerge dans les sociétés industrielles capitalistes en réponse à une crise économique ». Il ajoute, par ailleurs, avec pertinence « La brutalité et l’autoritarisme sont des caractéristiques du fascisme, mais le fascisme est tout autre chose. »

S’appuyant sur les travaux de l’essayiste libertaire George Seldes (1890-1995), dont il est un spécialiste, L. Portis consacre deux chapitres de son livre au vrai fascisme - celui qui, sous diverses formes, prit le pouvoir sur le Vieux Continent, au long des années 1920-1930, et qui, sans le prendre, prospéra aux États-Unis, à travers des organisations paramilitaires, comme la Black League ou l’American Legion, soutenues et financées par des barons du capitalisme de la taille de Henry Ford ou de la presse, comme Randolph Hearst. Le lecteur en apprendra beaucoup sur cette période de tous les dangers où, comme l’écrivit Sinclair Lewis, « avec la peur, disparut la fierté ». Multiforme, le fascisme états-unien, que d’aucuns possédants interprétèrent alors comme un nouveau pragmatisme, conditionna bien des esprits et inspira quelques tabassages ou assassinats de militants ouvriers. Dans l’ombre, certes, mais une ombre portée par l’air du temps.

On pourra, bien sûr, reprocher à L. Portis de surestimer le danger fasciste aux États-Unis, en accordant, par exemple, par trop d’importance aux menées conspiratrices auxquelles se livra la Liberty League dans la perspective d’un coup d’État contre Roosevelt, en 1934. Au fond, on peut douter que l’instauration d’un régime fasciste ait, sérieusement, été à l’ordre du jour, aux États-Unis, ce qui n’infirme pas que le fascisme ait structuré, alors, idéologiquement, une bonne partie de la droite autoritaire, du patronat, de la hiérarchie catholique et de certains médias. Sur ce point, L. Portis a sans doute raison : la prétention de ce fascisme-là à se cristalliser en « parti politique populiste national » a existé, avec certaines possibilités, sinon de succès, du moins d’influence, y compris dans les hautes sphères de l’appareil étatique.

Reste qu’au sortir de la guerre, la bannière étoilée flottait comme le symbole - admiré - de la démocratie triomphante et que les affaires qui n’avaient pas cessé - au contraire - reprirent de plus belle. Nous entrions dans un autre temps, celui de la consommation triomphante comme arme à longue portée dans le cadre d’une « guerre froide », avec quelques épisodes chauds, de quarante ans. Comme L. Portis, on peut voir dans l’éternel renouveau de l’idéologie autoritaire - la chasse aux sorcières, le reaganisme, le bushisme - une permanente attirance pour une forme de fascisme non assumé. II n’est pas sûr, cependant, que cela suffise à éclairer notre lanterne sur les faits et gestes d’un Empire où le capital est, certes, roi, mais qui sait développer, en son sein, les illusions nécessaires à sa pérennité. Après tout, rien n’interdit désormais de penser qu’un Barak Obama veillera bientôt à cette « destinée » américaine, dont un des fondements fut l’esclavage.

Malgré ces quelques réserves, il est inutile de préciser que la lecture de cette Histoire du fascisme aux États-Unis - qui est plutôt une analyse de ses droites réactionnaires - se révèle indispensable sur le sujet.

F. G.

- Sur le site de la librairie Publico

Première démocratie au monde et première puissance mondiale, les États-Unis se sont construits grâce à une politique génocidaire, à la pratique de l’esclavage et à la répression des revendications sociales. Si les États-Unis n’ont jamais connu de régime fasciste, les lois d’exception, les persécutions politiques et les mouvements fascistes ont marqué l’histoire de ce pays. Le fascisme a existé aux États-unis et existe encore.A lire du même auteur : « IWW et le syndicalisme révolutionnaire aux États-Unis », Spartacus.

 
A propos de éditions CNT-RP
Michel Bakounine, présentation de Frank Mintz, 2006, 72 pages. Ce court livre, le second de la collection « Classiques » des Éditions CNT, rassemble deux textes essentiels de Bakounine, « La politique de l’Internationale » (paru en 1868 dans L’Égalité) et « Organisation de l’Internationale » (publié (...)
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