JPEG

Avons-nous conscience de ce qu’est le nucléaire, de ce qu’il représente dans nos vies ? Ce que ce livre tente de faire, c’est de donner un point de vue global, philosophique, pour percevoir la chose dans son ensemble (« L’intérêt pour les détails, utile dans la polémique contre les nucléologues bardés de micro-savoirs spécialisés et dans l’effort d’information du grand public, permet d’éviter une vue d’ensemble, laquelle pourtant est la condition d’une réflexion morale » - p. 195), ses différents aspects s’imbriquant les uns dans les autres : économique, politique, scientifique, moral, etc. Jean-Jacques Delfour rappelle donc que « les capitalistes n’acceptent d’investir dans l’industrie nucléaire que parce qu’ils savent bien que lors d’une catastrophe hors limite tout comme pour la gestion des déchets et de la contamination, les États et les populations paieront la facture. S’ils n’étaient pas assurés de la publicisation des pertes (qu’ils savent colossales) et de la privatisation des bénéfices, ils n’investiraient pas le moindre centime dans le nucléaire » (p. 194), mais aussi que « politiquement, la centrale nucléaire est une bombe atomique domestiquée, au service de la domination » (p. 101), c’est-à-dire que la centrale comme la bombe sont bel et bien les deux faces de la même pièce. Séparer l’utilisation civile et militaire d’une technologie est un leurre.

« À cause de ce pouvoir colossal de mort, surexcité dans la bombe atomique, ralenti dans la centrale nucléaire, le ressort psychologique de la domination est la peur, une peur absolue, une peur terrifiante, qui accroît l’efficacité des autres facteurs d’obéissance politique » (p. 82). Le secret, l’opacité, la centralisation, l’autoritarisme, l’antidémocratisme du nucléaire ne sont pas à part de la société : ils en sont le cœur. Ceci dit, on ne gagnerait rien à ce que tout soit transparent, malgré ce que le discours libéral ambiant voudrait nous faire croire : le nucléaire resterait une belle saloperie malgré tout. « Le plutonium, c’est de la mort concentrée à taille génocidaire. Fabriquer de l’électricité (c’est-à-dire de l’eau assez chaude) avec une substance à côté de laquelle le cyanure est une aimable plaisanterie est un événement historiquement étrange mais dont la signification politique est claire : la mort n’a aucune réalité, ce qui est le fond fantasmatique de la politique totalitaire » (p. 157).

De la déresponsabilisation permanente (les catastrophes nucléaires seraient naturelles) à l’incompétence des ingénieurs, de la jouissance procurée par la manipulation de ce qui nous dépasse de très loin aux mensonges des experts, des conséquences écologiques et humaines aux implications légales et/ou légitimes, tout y passe. Jean-Jacques Delfour analyse, décortique, met en relation ces éléments de critique trop souvent séparés. Espérons que ça va donner un coup de fouet à lutte antinucléaire qui, comme le rappelle l’auteur, est une lutte « pour la vie », et, rajoutons-nous, pour la liberté.

Bastien (SIPMCS)


La condition nucléaire, Réflexions sur la situation atomique de l’humanité
Jean-Jacques Delfour, L’échappée, 2014