Privatisation et fusion de GDF avec Suez, capitaux d’EDF bientôt ouverts à des investisseurs privés, propagation du nucléaire… Les politiques énergétiques du gouvernement ouvrent la voie à une logique de rentabilité au bénéfice des actionnaires et au détriment des usagers, mais aussi de l’environnement. À Bure, des militants l’ont bien compris et remettent en cause, par les actes, cette politique énergétique. La lutte ne doit pas cesser !

Le gouvernement fait le forcing pour privatiser EDF et GDF. Au-delà des belles paroles, l’ouverture des capitaux à des investisseurs privés, devenant actionnaires, ouvre la voie à une logique de rentabilité et de profits. L’augmentation inévitable des tarifs et la concurrence exacerbée entre fournisseurs d’énergie se feront au détriment des usagers. Pour bien comprendre ces privatisations, il faut se placer dans un contexte et une logique d’ensemble. Le taux de profit diminue : les marchés sont saturés faute de demande solvable, et la concurrence pousse aux progrès de productivité par la technologie et la baisse des prix (délocalisations dans les pays à faible coût de main-­d’œuvre). Par ailleurs, le capital cherche des endroits où investir. C’est tout trouvé : il suffit de privatiser le capital public et de le faire fonctionner suivant la logique de la maximisation des profits. D’où la privatisation de GDF, en attendant celle du transport d’électricité. On a un exemple récent de privatisation faite pour procurer au capital privé des occasions de profit : les autoroutes, payées par les usagers. Le gouvernement avait promis que les tarifs de péage resteraient réglementés. Mensonge : les autoroutes du Sud augmentent leur tarif de 2,6 %…

Et les rendements sont aujourd’hui croissants : à investissement donné, plus on vend, plus le coût de la dernière unité produite ne signifie rien car, passé un seuil (le point mort) d’unités vendues couvrant ledit investissement, tout ce qui l’excède est pur bénéfice et indépendant du prix des unités vendues, lequel peut baisser pour éliminer la concurrence. Le point mort est devenu ridiculement bas car aujourd’hui les coûts de production ne représentent qu’en moyenne 10 % du prix global de la marchandise et presque rien du prix unitaire des produits vendus (CD, DVD, etc.). Il s’agit alors de maîtriser les marchés de façon à vendre au maximum : les OPA, OPE, fusions, LBO (leverage buy out, achat par l’emprunt) permettent de phagocyter les concurrents et de s’emparer de leurs parts de marché. Pour racheter un concurrent au meilleur prix, la solution est d’augmenter au maximum la valeur de ses propres titres, ou pour un concurrent racheté de vendre chèrement sa peau en maximisant la valeur de son action.

Quelle minorité de blocage ?

C’est ce qu’a fait GDF (ou Arcelor), valant deux fois moins que Suez, en vendant ses réserves de stockage souterrain de gaz au prix du marché (fonction du prix du pétrole) alors que ledit stock avait été acheté bien moins cher. Tant pis pour la sécurité d’approvisionnement due par un service public, et pour la nécessité de reconstituer le stock à un tarif bien supérieur. Valoriser le titre GDF par cette manipulation indécente permettait de ne pas faire descendre la part de l’État dans le capital de GDF-Suez en dessous de 34 %, minorité de blocage, et le moins possible en dessous de 70 %, chiffre promis par l’État lors de la loi de transformation de GDF en SA en 2004 ! Le gouvernement a donc favorisé cette manœuvre. Elle n’a pas produit ses fruits (le titre GDF a même baissé) car le gouvernement a exigé médiatiquement de conserver une golden share (action qui donne un droit de veto) au cas où sa participation descendrait en dessous de la minorité de blocage et a fait mine devant l’opinion publique de vouloir continuer à réglementer les prix, en sachant qu’il ne le pourrait pas.

GDF-Suez ne peut qu’augmenter les prix. D’abord, il faudra « rémunérer » les actionnaires avec un taux de profit cohérent avec les normes actuellement exigées par le capital financier et les fonds de pension (actionnaires très puissants, 15 %, dans tous les secteurs), sinon, ledit capital ira chercher fortune ailleurs. Dès lors, la position gouvernementale disant que les tarifs resteront réglementés dans la fusion est une ineptie. Ils sauteront pour cette raison. Et aussi parce que GDF en tant qu’entreprise publique pouvait négocier des tarifs à très long terme et stabilisés (peu influencés à court terme par les fluctuations du marché) grâce au poids de la puissance publique étatique et aux relations d’État à État liées aux affaires internationales. Ce ne sera plus le cas. Et le gouvernement prétend que GDF-Suez sera une très grosse firme internationale pouvant peser sur les prix d’approvisionnement dans les négociations avec ses fournisseurs. C’est ridicule, car ladite fusion n’apportera que 20 % de poids en plus par rapport à ce que pesait déjà GDF tout seul dans le gaz. Les prix augmenteront : le privé sera de plus en plus soumis aux firmes de trading (de négoce à l’instant T), qui cherchent à bénéficier au maximum des différentiels de prix à court terme pour acheter le moins cher possible sur les marchés spot (instantanés) et revendre au prix maximum sur les marchés déficitaires, ce qui sera le cas si la sécurité d’approvisionnement n’est plus assurée.

Pénuries organisées

Or l’exemple de la Californie en 2001 a amplement montré que les producteurs n’avaient pas intérêt à investir afin d’organiser une pénurie faisant monter les prix. Une étude américaine vient de montrer que 30 % de la hausse récente des prix du pétrole étaient dus aux manœuvres des traders spéculant à la hausse. Ces manipulations promettent de sérieuses augmentations de prix : la capacité énergétique de l’Europe est déficitaire ; les prix finiront par se caler sur ceux des périodes de pénurie par suite d’une insuffisance d’investissements. En effet, la doctrine libérale européenne est qu’il n’y a pas besoin d’investir dans un pays car les différents pays peuvent dans un marché totalement libre acheter leurs manques les uns auprès des autres, certains pays (Norvège, Hollande) ayant des capacités inemployées et moins coûteuses. Cette doctrine est fondée sur la thèse des avantages comparatifs de Ricardo : chaque pays a intérêt à se spécialiser dans ses meilleurs domaines et à exporter. Tant pis pour le long terme, l’environnement et la sécurité des approvisionnements. Les prix augmenteront d’autant plus que les préoccupations environnementales seront prises en compte et, en régime privé, répercutées sur les consommateurs sans aucun lissage par la puissance publique qui ne pourra plus intervenir pour imposer des contraintes aux firmes privées et leur faire payer une part des coûts sans répercussion sur les « clients ». De façon générale, il faut que le consommateur s’attende à une hausse des prix (essence, eau, énergie, transports, etc.) pour des raisons de rareté accrue et de concurrence exacerbée. Mais ces hausses ne seront plus contrôlées par la puissance publique vu que les entreprises auront été privatisées à fond et feront tout pour protéger leur marge de profit.

C’est pourquoi les mensonges de la puissance publique en faveur de la fusion GDF-Suez incitent à penser qu’il ne s’agit que d’idéologie libérale. Il faut aussi faire plaisir à des amis comme Mestrallet, P-dg de Suez, en risque d’être débarqué si l’Enel (Italie) prenait possession de Suez afin de la démanteler. Rappelons que Suez, firme concussionnaire par le biais des concessions locales de pompes funèbres, de distribution et de traitement des eaux, de transports urbains, a été dirigée par M. Jérôme Monod, actuel conseiller très présent et écouté à l’Élysée… Mais rester dans le giron de la puissance publique, comme actuellement EDF, ne garantit rien. EDF est tenue de racheter l’électricité des autoproducteurs (d’où la profusion d’éoliennes au mépris total de l’environnement) à un tarif très supérieur à son coût de revient. Cette subvention à des concurrents, qui torpille l’entreprise publique et fait monter les prix, est payée par une taxe sur les consommateurs. Les taxes sur l’électricité vont croître par le biais des tarifs augmentés et qui plus est surtaxés. Un exemple d’augmentation prochaine des tarifs : les entreprises qui avaient quitté le secteur public réglementé lors de l’ouverture du marché aux clients dits éligibles ont vu leur facture progresser de 66 %. Du coup, elles demandent, contrairement à la loi, à être réintégrées dans les tarifs réglementés. Les augmentations des tarifs privés, ouverts à la concurrence internationale et à la spéculation des traders, sont dues aux concurrents européens fonctionnant sur le charbon, le pétrole et le gaz, drastiquement augmentés suite aux besoins de la Chine et de l’Inde, à la raréfaction du pétrole et aux stratégies des grands producteurs, comme désormais la Russie pour le gaz. La France avait la chance de disposer d’un nucléaire pratiquement amorti. EDF ne se privait pas d’exporter aux tarifs internationaux ses excédents de production et exigera bientôt de vendre en France à la hauteur de la concurrence. Belle augmentation de prix en perspective, car EDF est déjà soumise en tant que SA à l’exigence de rentabilité sans cesse accrue. Or le gouvernement pour sauver les entreprises privées victimes de l’augmentation des tarifs de l’électricité, sans violer la loi interdisant leur retour dans le giron réglementé, vient de décider que EDF leur verserait une subvention de compensation entre le tarif du marché et le prix réglementé. Coût : 700 millions d’euros par an… à la charge des autres clients d’EDF, à savoir le consommateur lambda qui ne risque pas ainsi d’observer une baisse des tarifs.

Bernard Énergie-RP