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CNT Travail et Affaires sociales

Simplification : piège à cons !

lundi 24 août 2015, par cnt66

Et revoilà l’éternel refrain de la « simplification » du code du travail. La ritournelle est éculée ; elle a déjà servi maintes fois, notamment lors des récentes lois Macron et Rebsamen. Elle revient néanmoins en force ces temps-ci.

Dans ce concert de revendications « simplificatrices », la dernière intervention, complaisamment relayée par les médias, revient à Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen qui ont commis un livre, « Le travail et la loi » sur ce sujet, proposant l’« allègement du code du travail » face à sa « complexité croissante ». La solution toute trouvée : réduire le code du travail à « 50 principes fondamentaux ».

Pierre Gattaz, président du Medef, s’est empressé de les féliciter comme il se doit et a opportunément proposé « l’ouverture d’un dialogue sur le sujet ».

Elle était précédée quelques temps auparavant par une lettre de mission du premier ministre Manuel Valls adressée à Jean-Denis Combrexelle sur « les rigidités du code du travail » le 1er avril dernier. Notre ancien DGT, qui n’a jamais démérité pour pondre des décrets illégaux sur mesure pour le patronat, doit remettre son rapport en septembre au gouvernement.

On le voit, loin d’être des initiatives isolées, ces différentes interventions ressemblent fort à une offensive coordonnée en vue de créer les conditions idéologiques d’une régression majeure encore à venir dans le champ du droit du travail.

Les lois Macron et Rebsamen à peine adoptées, le gouvernement enclenche la vitesse supérieure en préparant une nouvelle dérégulation d’ampleur.

De quoi s’agit-il et comment va s’opérer cette nouvelle dérégulation ?

Achever le principe de faveur

La lettre de Manuel Valls est suffisamment explicite à ce sujet pour en avoir une idée assez précise.

Au nom du « dialogue social », et d’« une meilleurs adaptabilité des normes au besoin des entreprises » Valls souhaite revoir l’articulation les différents niveaux de négociation, c’est-à-dire la hiérarchie des normes en droit du travail. Selon lui « la place donnée à l’accord collectif par rapport à la loi dans le droit du travail en France est encore trop limitée ».

Le principe de faveur entre les différents niveaux de négociation collective est déjà mort, puisque c’est désormais l’accord d’entreprise qui prime sur le niveau de négociation supérieure depuis 2004. Il demeure néanmoins entre la loi et le champ de la négociation collective, et ce, malgré l’extension continue des possibilités de déroger à la loi dans un sens défavorable aux salariés depuis les lois Auroux en 1982, notamment pour tout ce qui touche au temps de travail. Appelant désormais explicitement à déroger au cadre réglementaire dans sa lettre de mission, Valls veut donc « aller plus loin […] concernant le rôle de l’accord collectif dans l’élaboration des normes ».

Cette question n’est pas neuve, elle est la grande bataille du patronat depuis près de 15 ans. Plus précisément depuis qu’Ernest Antoine Seillière a lancé sa « refondation sociale » en 2000 avec comme objectif revendiqué que les règles de travail négociées dans l’entreprise, là où la pression sur les salariés est la plus forte, puissent s’imposer à la loi et aux conventions collectives.

Plus récemment en 2014, le Medef publiait un « Livre jaune » programmatique, qui réaffirmait cette priorité : « Le cœur de la définition des règles sociales doit être l’entreprise. Cela suppose une révolution importante car aujourd’hui, c’est la loi qui fixe ces règles ».

Valls est donc en train de mettre la dernière main à ce projet déjà ancien d’inspiration patronale.

En un mot, Manuel Valls donne comme mission à Combrexelle de tuer une bonne fois pour toutes le principe de faveur.

Nul doute que certaines dispositions resteront au niveau de la loi sans possibilité de déroger. Pour le reste ça sera dérégulation généralisée. Nos juristes de cour et la hiérarchie de notre ministère appellent aussi cette orientation d’une nouvelle expression qui fait florès depuis quelques temps : la « fondamentalisation du droit ». La dérogation devient la règle et l’application de la loi l’exception, c’est là le vrai sens de cette « fondamentalisation du droit ».

« Simplification », « dialogue social », « fondamentalisation du droit », trois expressions pour désigner la même orientation et volonté de dérégulation. Prétendre simplifier au nom du dialogue social (c’est-à-dire concrètement en complexifiant toujours plus le droit du travail par la multiplication des possibilités de déroger), en racontant que ce faisant on « fondamentalise » le droit (par la réduction à la portion congrue de la loi à quelques droits auxquels on ne pourrait pas déroger).

Tout doit disparaître

Quels thèmes pourraient être particulièrement visés ?

Emmanuel Macron annonçait déjà la couleur, à la veille de son entrée au ministère de l’Économie : « Nous pourrions autoriser les entreprises et les branches à déroger aux règles de temps de travail et de rémunération. C’est déjà possible pour les entreprises en difficulté. Pourquoi ne pas l’étendre à toutes les entreprises, à condition qu’il y ait un accord majoritaire avec les salariés ? »

Concernant le temps de travail, il s’agit ni plus ni moins que d’autoriser de déroger par accord à la base légale de 35h, seuil de déclenchement des heures supplémentaires.

Concernant les rémunérations, la loi du 14 juin 2013, transcription législative de l’Accord national interprofessionnel (ANI), autorise déjà, en cas de difficultés économiques, une réduction des salaires par simple accord d’entreprise – les fameux accords « de maintien de l’emploi ». Il s’agit de généraliser cette logique en dehors des cas de difficultés économiques.

D’ores et déjà la loi Macron adoptée le 10 juillet allonge la durée maximale des accords « de maintien de l’emploi » qui passera de 2 à 5 ans.


Des « experts » orientés comme il se doit…

Manuel Valls recommande que le groupe de travail de Combrexelle s’entoure « d’experts reconnus » et examine la « contribution des think tanks ». Message reçu, voilà une belle brochette d’ « experts » néolibéraux, dont une des caractéristiques est de passer allègrement du public au privé :

Yves Barou, après avoir été directeur adjoint du cabinet de Martine Aubry, est l’actuel président de l’AFPA, et a intégré la direction RH de l’entreprise Thalès. Michel Didier est quant à lui président du Coe-Rexecode, un « institut privé d’études économiques » proche du Medef. Il est aussi proche du très libéral Cercle des économistes ; tout comme Pierre Cahuc, favorable à la réduction du « coût » du travail et à l’assouplissement des conditions de licenciement.

Dans la commission, on trouve aussi, pêle-mêle, le président du groupe Alpha (un cabinet de conseil en relations sociales), Pierre Ferracci, la DRH de Lafarge France, Sylvie Peretti, une ex-DRH enseignant désormais en business school, Sylvie Brunet, ou encore le juriste Paul-Henri Antonmattei, fervent soutien de François Bayrou lors de la dernière présidentielle.

A noter, qu’outre des propositions de dérégulation généralisée, ce groupe est censé proposer « des recommandation de méthode sur la conduite de ce changement ». En gros, comment faire passer la pilule…


Chantage à l’emploi : encore et toujours

Les présupposés idéologiques de cette dérégulation sont toujours les mêmes. Le droit du travail, toujours « trop complexe », toujours « trop rigide », serait responsable du chômage. C’est l’éternel chantage à l’emploi, qui sert d’alibi à la dérégulation.

Outre le fait que cette assertion a toujours été démentie par les faits : 30 ans de dérégulation n’ont pas fait disparaître le chômage, bien au contraire. C’est oublier qu’au sens strict, les entreprises ne créent pas l’emploi. Elles ne font que convertir en embauche les demandes de biens et de services qui leurs sont adressées. Une entreprise ne va pas embaucher parce qu’on la dispense de mettre en place un comité d’entreprise ou un règlement intérieur, mais parce que son carnet de commandes se remplit. C’est la situation économique qui commande l’emploi, pas le droit du travail.

Pour autant le droit du travail serait encore et toujours ce gueux à abattre pour en finir avec le chômage.

L’ANI, transcrit dans la loi du 14 juin 2013, était une première légalisation de ce chantage de l’emploi, il s’agit juste maintenant de généraliser cette logique comme arme de destruction massive du droit du travail.

Négocier, mais avec qui ?

Un tel projet de dérégulation ne peut obtenir pleinement son effet que si l’on trouve toujours des « partenaires » pour négocier. Ainsi un autre mouvement de fond a accompagné le renvoi toujours plus grand vers la négociation collective d’entreprise pour définir la norme applicable, celui de la remise en cause du monopole syndical sur la négociation.

Certes, au niveau interprofessionnel ou de la branche, on trouvera un ou des syndicats jaune pour négocier tous les reculs sociaux. Mais au niveau de l’entreprise, il n’y a quelque fois pas du tout de syndicats. Or c’est bien les syndicats qui ont normalement le monopole de la négociation collective.

Avec les 35h un mouvement de fond a commencé à étendre les possibilités de négociation à d’autres acteurs que les syndicats en l’absence de ceux-ci. Or la mission Combrexelle s’intéresse opportunément au référendum d’entreprise afin de contourner les syndicats.

Pour les entreprises dotées en représentants du personnel, il convient d’aller vite, Manuel Valls réclame donc une rationalisation des obligations d’information-consultation des IRP.

C’est chose faite avec la loi Rebsamen qui permet la fusion des institutions représentatives du personnel, ainsi qu’un regroupement des obligations d’information et de négociation avec les représentants salariés.

Ainsi derrière l’apparente neutralité technocratique d’une commission d’ « experts » libéraux et les discours sur la « simplification » du droit du travail ou la promotion du « dialogue social », se cache la dernière et violente expression de la lutte des classes. C’est le principe même d’un droit du travail comme droit protecteur des salariés fixant des limites à la relation d’exploitation, tout en harmonisant les droits des salariés sur le territoire national, qui est en jeu.

Ce droit est issu de plus d’un siècle de luttes sociales, seule la lutte permettra de le défendre !

Le tract en pdf : Simplification du code du travail : piège à cons !

http://www.cnt-tas.org/2015/07/24/simplification-du-code-du-travail-piege-a-cons/