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Représentativité syndicale : Au secours... Villepin veut réformer le syndicalisme français !

mercredi 29 novembre 2006

Extrait du bulletin n° 24 de l’UR-CNT 59/62 (automne 2006)


Représentativité syndicale :
Au secours... Villepin veut réformer le syndicalisme français !

Faire du syndicalisme un acteur docile du paysage social, ils y pensent tous. On se remémorera Ségolène Royal émettant le voeu que l’adhésion à un syndicat (institutionnalisé) soit obligatoire pour chaque salarié. Le gouvernement Villepin, dans son fantasme d’un ordre économique bourgeois et libéral, a en vue une réforme globale des droits sociaux. Avec l’arrivée des rapports Chertier et Hadas-Lebel, le discours de Chirac au Conseil économique et social, les manoeuvres pour anesthésier le syndicalisme vont pouvoir commencer. La notion de représentativité syndicale risque d’être largement revisité. Les scénarios de réformes proposés quant à eux représentent une menace pour le syndicalisme prôné par la CNT.

Les rapports Chertier et Hadas-Lebel

Ces rapports ont été remis au premier ministre courant avril / mai 2006,
car il semblerait que la réforme du "dialogue social" soit annoncée
avant les échéances politique de 2007.

Comme c’était prévisible, ces rapports ne mentionnent pas la CNT dans le
panorama syndical français (UNSA et SUD sont cités, SUD étant considéré
comme un syndicat avec des positions radicales).

Ces rapports sont une commande de Dominique de Villepin, qui a demandé
au rapporteur d’examiner les possibilités de modernisation du dialogue
social. Pour le rapport Hadas-Lebal, deux scénarios ont été retenus :
l’adaptation (ravalement de ce qui existe déjà) ou l’évolution
(refondation). Chertier de son côté s’interroge sur le poids réel des
syndicats par rapport au monde associatif en général et souhaite une
évolution rapide du dialogue social. A noter que la fonction publique
n’est pas directement visée, seul le dialogue social dans le privé est
analysé.

A la lecture des documents, il en ressort que la représentativité
syndicale est centrale, car aussi bien le financement des syndicats que
la négociation collective en découlent. D’autre part, il est étonnant de
constater que seules les organisations syndicales de salariés doivent
prouver leur représentativité, les organisations patronales n’ont pas à
se plier à cette exigence.

Pourquoi réformer la représentativité syndicale ?

Le but de cette réforme annoncée, c’est de faire en sorte que les
syndicats deviennent des représentants dociles des travailleurs. Avec la
mondialisation (compétitivité économique accrue, délocalisations,
fermetures d’usines, plans sociaux...), il faut balayer tout ce qui fait
obstacle aux profits, on assiste donc à un travail de sape des acquis
sociaux conquis grâce aux luttes syndicales. Chez les libéraux de tous
poils, la variable d’ajustement de la politique économique, c’est le
social. Donc, pour faire prospérer la bourgeoisie, on va mettre les
syndicats au pas, voire les rendre complices.

Les propos du premier ministre (cf. la lettre en annexe du rapport
Hadas-Lebel) montrent bien là où il veut en venir : « A l’instar de la
plupart de nos voisins européens, il est nécessaire de construire un
modèle de relations sociales au sein duquel le dialogue social et la
négociation jouent un rôle essentiel dans le développement de la
compétitivité de nos entreprises et la qualité des relations du travail,
l’Etat gardant quant à lui la fonction primordiale de définition des
principes essentiels et de l’effectivité de l’ordre public social ». Il
cherche, comme tout bon capitaliste, à adapter le "dialogue social" aux
lois de l’économie de marché, c’est à dire diluer les revendications et
amoindrir le poids offensif des syndicats au sein des entreprises
(pourtant assez faible en France).

Le pouvoir et le patronat ont besoin de partenaires sous influence,
prévisibles, et ainsi favoriser le contrôle social, d’où un fort désir
pour qu’un processus de regroupement des forces syndicales voit le jour.
La négociation deviendrait ainsi une norme sociale, rendant l’action
syndicale inappropriée. « L’équilibre et la stabilité des organisations
représentatives sont un atout dans la négociation, dans la mesure où les
partenaires se connaissent, ont l’habitude de travailler ensemble, et
identifient plus facilement les termes des solutions à trouver ».

Globalement, c’est un renforcement du paritarisme qui est recherché : 16
millions de salariés auront donc le même poids que 1,2 millions de
patrons ... Conception moderne de l’équité ?

La représentativité syndicale actuelle dans le privé

Dans le secteur privé, aux termes de l’article L. 133-2 du Code du
travail, la représentativité des organisations syndicales est déterminée
d’après les critères suivants : les effectifs, l’indépendance, les
cotisations, l’expérience et l’ancienneté du syndicat, l’attitude
patriotique pendant l’occupation. Mais, à côté de ces critères issus
directement de la législation, le ministre ou le juge font intervenir
d’autres critères : l’audience (mesurée notamment par les résultats
électoraux) et de l’activité (caractérisée par le dynamisme des actions
menées).

Les cinq "grandes” confédérations (CGT, CFDT, FO, CFTC et CGC)
bénéficient depuis 1966 d’une présomption irréfragable de la
représentativité. C’est à dire qu’elles sont reconnue représentatives
sans avoir à démontrer qu’elles rentrent dans les critères de
représentativité.

Comme le rappelle le rapport Hadas-Lebel, ce n’est pas la peine
d’évoquer de la représentativité patronale. Elle n’a « pas besoin d’être
fixés de façon spécifique », les patrons décident unilatéralement avec
qui ils veulent bien dialoguer, mais sans réciprocité.

Les scénarios envisagés par le rapport Hadas-Lebel et leurs conséquences

1. Un scénario d’adaptation

Ce scénario prévoit la révision périodique de la liste des organisations
représentatives avec, en plus, des procédures de reconnaissance de la
représentativité au niveau de l’entreprise ou de la branche pour les
syndicat n’ayant pas la représentativité au plan national :

 Application de la reconnaissance mutuelle par les autres
organisations, avec saisine du juge par l’organisation non reconnue en
cas d’opposition motivée d’une autre organisation de salariés (ce qui
correspond pour l’essentiel à ce qui existe).
 La mise en oeuvre, même au niveau de l’entreprise, d’une procédure
administrative de reconnaissance, option qui s’inspirerait du système
anglais de recours au Comité central d’arbitrage pour qu’un syndicat se
voit reconnaître la capacité à conduire la négociation collective.
 Mise à jour des critères de représentativité (notamment en remplaçant
le critère de l’attitude pendant la guerre par celui de l’attachement
aux valeurs républicaines et le rejet des actions violentes).

2. Un scénario de transformation avec des variantes

La représentativité serait ici établie par le vote. Avec un seuil de
l’ordre 5 à 10% des votes, selon que l’on souhaite favoriser ou non le
regroupement des organisations syndicales.

Partant de là, plusieurs possibilités sont envisagées :

 Faut-il créer une nouvelle élection professionnelle (comme le voudrait
le MEDEF, l’UNSA et la CFTC) ?
 Faut-il s’appuyer sur le résultat des élections prud’hommales (FO) ou
les résultats des élections de délégués du personnel (CGT) ?
 Faut-il des élections de représentativité de branche (CFDT) ?
 Faut-il des élections par collège (CFE-CGC... organisation qui
pourrait continuer à exister grâce au collège “cadres”) ?

Au premier abord, on pourrait trouver de nombreux points positifs se
dégageant de ces propositions. La présomption irréfragable de la
représentativité semble remise en cause dans tous les cas de figure,
amenant la fin du monopole des 5 confédérations. Mais le cadre de
l’existence syndicale se resserre, les contours deviennent plus rigides.

Quels enjeux pour la CNT ?

Pour nous, syndicalistes de la CNT, est-ce que ça va nous simplifier la
vie ? Certainement pas ! Les sections et syndicats CNT risquent de
rencontrer davantage de difficultés qu’actuellement pour être déclarés
représentatifs car :

 Nos statuts prônent la suppression de l’Etat (ce que est en opposition
au nouveau critère d’attachement aux valeurs républicaines).
 Comment rejeter les actions violentes ? C’est une notion trop floue,
l’action syndicale peut parfois être qualifiée de violente (piquet de
grève ou occupation "musclée", arrachage d’OGM...).

Evidemment, ces rapports pourraient connaître le sort de tant d’autres
et ne jamais être utilisés à des fins législatives par le pouvoir
politique. Il faut quand même s’attendre, dans le futur, à une
transformation du modèle syndical français. La CNT doit s’y préparer
sans renier son identité anarcho-syndicaliste et déterminer dés
aujourd’hui sa (ses) stratégie(s) dans le secteur privé.

Si la donne venait à changer, par une réforme de la représentativité
syndicale, la CNT risque de ne plus pouvoir exister légalement dans les
entreprises. Voir ce qui s’est passé ce printemps à La Poste où la
CNT-PTT n’est plus reconnue comme organisation syndicale. Actuellement,
il arrive aux sections cénétistes, pour des raisons stratégiques, de
nommer des délégués syndicaux (DS), de participer aux élections des
délégués du personnel (DP), voire au comité d’entreprise (CE). Cela
permet, dans le privé, d’implanter des sections au grand jour et souvent
de protéger les militants les plus en vue... même s’il faut le plus
souvent en passer par les tribunaux et être soumis à la subjectivité des
juges (rappelez-vous l’historique des sections “La Redoute” et
“Demeyere”). En effet, les listes CNT aux élections professionnelles
sont régulièrement contestées par la direction de l’entreprise et/ou par
d’autres syndicats présents dans la société.

Notre projet révolutionnaire ne peut pas s’adosser à un syndicalisme de
dialogue social où l’Etat et les patrons ont besoin de partenaires
acceptant de jouer le jeux. Inenvisageable pour la CNT !

Laurent (CNT-STIS 59)