Entretiens avec les acteurs du mouvement en Catalogne

, par cnt09

Ce 10 octobre 2017, la république Catalane a été proclamée pour la cinquième fois de son histoire.

Chacune de ces déclarations avait entraîné une violente répression de l’Etat espagnol. Pour mémoire, Lluis Companys fut le dernier le 6 octobre 1934 à déclarer unilatéralement l’indépendance de la République Catalane. Celui-ci fut ensuite arrêté, embastillé au château de Montjuïc, puis finalement fusillé par les franquistes en 1940.
En 2017, cette proclamation d’indépendance s’appuie sur un important soutien populaire qui se construit depuis l’année 2009 autour de l’idée d’un référendum sur l’autodétermination de la Catalogne. Ce 1 octobre 2017, plus de 2 millions de personnes, soit environ 42,38% du corps électoral de Catalogne ont voté à 90,18% en faveur du “Oui” à l’indépendance.
Deux jours plus tard, le 3 octobre, une grève générale est déclenchée en Catalogne par plusieurs organisations syndicales dont : CGT Catalunya, Negres Tempestes, Embat, organització llibertària de Catalunya, Heura Negra, assemblea llibertària de Vallcarca, CNT Catalunya i Balears, Oca Negra, assemblea llibertària del Clot-Camp de l’Arpa et Solidaritat Obrera.

L’ appel de ces organisations précise :

“En tant que libertaires et partie active des mouvements syndicaux, populaires et associatifs de Catalogne, nous défendons toujours le droit à l’autodétermination des peuples, en commençant par le nôtre. Pour nous c’est un principe fondamental du confédéralisme, afin de permettre la coexistence humaine sur un pied d’égalité. Il est clair pour nous que l’émancipation complète sera impossible sans l’étape consistant à éliminer la structure économique qui la soutient, le capitalisme. Et sans ce processus, la classe ouvrière continuera d’être écrasée, par une oligarchie espagnole et catalane complices pour imposer des contre-réformes du droit du travail et la restriction des droits sociaux.”

Un mois plus tard, le gouvernement de la Generalitat de Catalogne est soit en prison (au moment où j’écris cet article, une dizaine de députés catalans ont été placés en détention) soit en exil, comme c’est le cas du gouverneur général, Carles Puigdemont, réfugié en Belgique.

Pour clarifier une situation qui apparaît complexe, il paraît évident de donner la parole aux acteurs de terrain que sont les représentants syndicaux et les militants d’organisations catalanes. Ces entretiens ont été réalisés sur place à Barcelone ou par mail, selon la disponibilité des militants.

Le premier entretien est réalisé avec un représentant de la CGT espagnole. La CGT espagnole est issue d’une scission de la CNT en 1977. Elle se revendique encore aujourd’hui de l’anarcho-syndicalisme et rassemble 80 000 adhérents en Espagne, ce qui fait d’elle la plus importante confédération anarcho-syndicaliste au monde.

Thomas Lanssens pour la CGT espagnole : “ L’Etat espagnol considère qu’il y a une menace pour l’intérêt général et récupère l’autonomie Catalane sous son autorité, disons que c’est pour une raison d’Etat. L’Espagne est l’un des pays européens les plus décentralisé, c’est à dire que chaque région possède son parlement, sa propre police, comme L’Ertzaintza au pays Basque ou les Mossos en Catalogne.”

(CNT09) : “D’ailleurs, même dans les pires moments du rapport de force avec les indépendantistes basques, l’article 155 de la constitution Espagnole a-t-il été utilisé ? “

T.L (CGT esp.) : “Non, c’est la première fois que cet article est mis en pratique. Dans les conflits antérieurs il a été utilisé comme une menace mais n’a jamais été mis à exécution. Il y a d’ailleurs beaucoup de doutes sur l’aspect constitutionnel de cet article et sur la manière dont cela va s’appliquer. Pour l’instant, cela se concrétise par le contrôle de tout ce qui est sous direction administrative : la police, l’économie… Mais là aussi il y a déjà un problème car l’aspect économique est déjà contrôlé par Madrid. Le gouvernement a en effet coupé les financements depuis l’annonce de l’organisation du référendum d’octobre 2017.”

(CNT 09) : “Quelle est la position de la CGT sur cet article et son application ?”

Thomas Lanssens pour la CGT espagnole : “Elle est contre, évidemment, dans la mesure où la seule conséquence est la limitation des droits des travailleurs. Concernant la question de l’indépendance c’est un peu plus délicat mais la CGT est
globalement contre, car cela va à l’encontre des principes de la CGT. L’indépendantisme et le nationalisme sont plutôt des concepts de droite.”

(CNT 09)- “Que faire alors de la question de l’autodétermination et du droit des peuples ? Comment expliquer la méfiance envers l’Etat central espagnol en Catalogne ?”

Thomas Lanssens pour la CGT espagnole : “Les Catalans se sentent, c’est vrai, plutôt comme une nation, mais ceci est le fruit d’un travail sur le long terme d’organisations politiques catalanes.”

(CNT 09)— “Dans le cadre d’une existence réelle d’une République Catalane, quelles seraient les nouvelles difficultés ou au contraire les avantages que pourraient en tirer les organisations syndicales dans le rapport de force avec l’Etat ?”

Thomas Lanssens pour la CGT espagnole : “Alors c’est une question importante au sein des syndicats. La question est comment motiver les gens sur des positions syndicales. Cela vient de l’époque du franquisme durant laquelle il y avait une forte répression. Donc, la peur domine encore et avec la transition démocratique des années 80, les jeunes se sont déconnectés de la politique et surtout des syndicats.”

(CNT 09)- “Que penser alors de la grève générale du 3 octobre ?”

Thomas Lanssens pour la CGT espagnole. “Il y a eu une grande illusion. Le 3 octobre, c’est le jour où les syndicats minoritaires ont bougé le plus de gens dans leur vie, mais ça ne va pas se reproduire. C’est la conséquence de la situation, mais ça ne va pas amener les gens à s’impliquer pour leurs droits en général. Les gens se sont bougés pour l’indépendance, mais si l’Etat touche aux droits, personne ne bougera.”

Le second entretien est réalisé avec Marc, un représentant du mouvement politique Endavant, qui est une organisation socialiste de libération nationale, anticapitaliste, antifasciste, anti-sexiste et indépendantiste, créée en 2000. Cette organisation se revendique marxiste et collabore avec le parti C.U.P (Candidature d’Unité Populaire). Endavant est représentée au parlement Catalan par deux députés du parti C.U.P. Marc parle au nom du comité populaire de son quartier de Barcelone : Sants-Montjuïc.

(CNT 09)- : “Comment t’impliques-tu dans le contexte actuel ?”

Marc de Endavant : “Dans notre quartier de Barcelone nous nous sommes organisés en Comité de Défense de la République (CDR). Au départ, ces comités étaient là pour défendre et mettre en oeuvre le référendum (CDRé). Après le 1 octobre et le résultat du référendum, ils sont en grande partie en train de changer de nom pour se positionner en protection de la République. Pour l’instant, il y a 180 comités dans toute la Catalogne. Ce mouvement est populaire mais ce n’est pas en tant que telle une organisation. C’est la base à travers laquelle nous organisons la réponse et la lutte pour le renforcement de la République et la défense du référendum. Dans notre cas du quartier de Sants-Montjuïc, les gens se sont surtout organisés pour le vote et pour défendre le résultat. Nous fonctionnons par consultation de ces bases. Notre objectif n’est pas de devenir un parti ou une force politique traditionnelle.”

(CNT 09)— “Comment avez-vous perçu la grève générale du 3 octobre et que pensez-vous de l’exil de certains membres du gouvernement de la Generalitat de Catalunya, par exemple, Carles Puigdemont qui est maintenant en Belgique ?”

Marc de Endavant : “Cette grève avait été anticipée par les organisations syndicales car il faut 10 jours pour convoquer une grève. Les organisations syndicales avaient pris la décision de protéger les travailleurs pour qu’ils puissent défendre le résultat du référendum face au patronat et au gouvernement. Les organisations qui ont convoqué cette grève ne sont pas les organisations majoritaires : ni l’U.G.T (Union Générale du Travail), ni la C.C.O.O (Confédération Syndicale des Commissions ouvrières) n’ont appelé. Cet appel venait de l’I.A.C (Alternative Intersyndicale de Catalogne), de la C.G.T, de la C.O.S (Coordination Ouvrière Syndicale), de la C.N.T et d’autres petits syndicats. Parmis ces syndicats, seul la C.O.S est ouvertement indépendantiste. Ce qui s’est passé fut une démonstration massive de mobilisation pour défendre le référendum. Le jour du référendum, le 1 octobre, le monde entier a pu constater la violence de la répression d’Etat. Des personnes âgées ont été blessées, un militant a été touché à l’oeil par un tir de flash-ball...Ce qu’a fait le gouvernement catalan pour éviter une perte de contrôle sur cet événement, c’est de convoquer lui aussi cette grève. Le gouvernement Catalan a voulu récupérer cette grève générale en déclarant l’arrêt des administrations tout comme le patronat Catalan a déclaré un block-out des entreprises en Catalogne. C’était une tentative pour réduire les revendications de classes et syndicales de cet évènement. Cette situation a permis de mettre des milliers et des milliers de personnes dans la rue.
Sur la question de l’exil du gouvernement, il y a plusieurs lectures. La première c’est que l’Etat Espagnol fait toujours la même chose contre les gens qui se mobilisent pour la République. Mais ici cela prend une forme impressionnante avec une menace de 30 années de prison pour les membres du gouvernement Catalan. Il y a eu aussi d’autres formes de répression. Des attaques violentes ont été menées contre les indépendantistes par des groupes fascistes, des occupations policières de certains lieux ont été organisées, comme ici à Barcelone, et des policiers infiltrés ont provoqué des violences. Mais il faut dire qu’il y a eu une résistance populaire. Par exemple, les réservations faites dans des hôtels par la “guardia civil” ont été annulées par les gérants et les policiers ont dû être logés sur des bateaux dans le port de Barcelone. Mais le gouvernement de la Generalitat est aussi à critiquer car cela fait quatre ans qu’ils n’ont rien fait pour réaliser concrètement les conditions nécessaires à l’existence de la République. Si la République avait préparé ses propres structures, le gouvernement n‘aurait pas eu besoin de s’exiler. L’exil est une manière d’admettre que ce travail de fond n’a pas été fait.”

(CNT 09)— “Pour toi, comment doit se concrétiser ce que Carles Puigdemont a appelé une “désobéissance civile ?”

Marc de Endavant : “Il y a deux lectures possibles ici. Soit nous participons aux élections convoquées pour le 21 décembre (par le gouvernement espagnol) et nous espérons que l’Etat espagnol reconnaîtra le résultat, soit nous ne participons pas et seulement 30% des gens iront voter par exemple. C’est donc une question importante qui est en débat dans la population catalane. Mais quoique nous fassions cela ne veut pas dire que dès le lendemain nous aurons notre République. L’autre option est de maintenir un rapport de force sur les organisations internationales et sur l’Etat espagnol pour faire reconnaître le référendum du 1er octobre.”

(CNT 09)— “L’Etat espagnol, par le biais du ministre de l’Intérieur, a menacé d’employer la force militaire contre les indépendantistes : que penser de cette probabilité ?”

Marc de Endavant : “Oui c’est possible, comme les Etats-Unis ont contrôlé Bagdad. Mais la question est combien de temps peuvent-ils maintenir cette situation ? Quelles pressions internationales subira l’Etat espagnol et, surtout, avec quelles perspectives ?”

(CNT 09)— “Dans cette situation de confrontation avec l’Etat espagnol, y-a-t-il une anticipation de la solidarité internationale, syndicale et politique ?”

Marc de Endavant : “Nous sommes en train de travailler sur un aspect concret qui est la création de brigades internationales d’observateurs de membres d’organisations de gauche. Nous ne sommes pas intéressés par des soutiens comme ceux de la Liga del Norte en Italie, ou même si Le Pen en France aime bien notre cause ou pas. Nous rejetons les contacts avec ces organisations. Nous sommes en pleine construction d’un réseau avec notamment le CIEMEN (Centro Escarré per a les Minories Ethniques i les Nacions), ASKAPENA (Groupe internationaliste Basque) et d’autres organisations.

(CNT 09)—“Te penses-tu comme un nationaliste ?”

Marc de Endavant : “C’est une question de fond. L’Etat va appeler nationaliste tous ceux qui disent autre chose que lui. Je me considère comme un indépendantiste et un socialiste dans mon pays. Pour beaucoup de gens, c’est ça le nationalisme. Mais je ne suis pas un fétichiste de mon drapeau, de mes frontières, de ma culture, même si cela représente notre vie sociale. Ma langue maternelle et d’usage social est le Catalan, mes traditions sont catalanes. Je ne me considère pas comme nationaliste mais comme indépendantiste. Le jour où nous aurons l’indépendance, je chasserais le nationalisme et continuerais à travailler à l’amélioration des conditions sociales de la classe ouvrière de mon pays.”

Le troisième et dernier entretien est réalisé avec Jordi Vega de la CNT L’Hospitalet de Llobregat.

1. Quelle est la position de la CNT face à cette situation de tensions entre la Catalogne et le gouvernement de la monarchie ?

Dans l’actuelle situation sociale en Catalogne, la CNT a pris la décision de se positionner du côté du peuple et contre la répression. Nous ne sommes pas pour la construction d’une République sous forme d’Etat mais nous sommes et serons toujours radicalement contre la répression envers un peuple qui décide de s’exprimer (même si à notre sens, il ne le fait pas de la bonne manière) parce que nous comprenons qu’il le fait dans le sens du progrès social. Nous serons toujours contre les expressions dictatoriales des Etats, comme le fait actuellement l’ Etat post-franquiste espagnol.

2. Que pense la CNT de la grève générale du 3 octobre ?

La grève générale du 3 octobre a été le premier cas de ces 30 dernières années où un espace de syndicalisme alternatif prend les devants par rapport aux instances dirigeantes des syndicats majoritaires comme les C.C.O.O (Comisiones Obreras – Commissions Ouvrières) et l’U.G.T (Unión General de los Trabajadores – Union Générale des Travailleurs) et les oblige à suivre le mouvement. C’est à dire que dans ce sens nous pouvons affirmer que la grève générale a été un mouvement qui a soumis le syndicalisme officiel a de très dures contradictions, desquelles nous pensons qu’il ne se remettra pas facilement. Cet espace de syndicalisme alternatif est formé par la C.N.T (Confederación Nacional de los Trabajadores – Confédération Nationale des Travailleurs), la C.G.T (la Confederación General de los Trabajadores – Confédération Générale des Travailleurs), Solidaridad Obrera (Solidarité Ouvrière – libertaires), la C.O.S (Coordinadora Obrera Sindical – Plate-forme Ouvrière Syndicale) et I.A.C (Intersindical Alternativa de Catalunya – Intersyndicale Alternative de Catalogne – Catalanistes).

3.Quel serait l’avenir de la lutte des classes dans le cas où une République Catalane viendrait à exister ?

Quelle que soit la scène politique qui arrivera, République progressiste, République de droite, ou dictature, il est certain qu’elle ne résoudra pas les vrais problèmes des Travailleurs, c’est à dire la précarité et les bas salaires. Donc le travail que nous faisons depuis les syndicats de la CNT va rester le même que celui qu’il est aujourd’hui. Aussi nombreuses soient les lois « justes » concernant le monde du travail, les patrons ne les admettront jamais et les Travailleurs et les Travailleuses conscients que nous sommes devront continuer à lutter.
Si des lois de travail tyranniques arrivent, nous devrons combattre tout autant. Nous ne pourrons fuir notre destin dans la lutte des classes, jusqu’à ce que nous construisions une société régie sous les lois du Communisme Libertaire.

4.Comment se positionne le syndicalisme révolutionnaire dans ces moments de lutte pour l’autodétermination des peuples ?

En ce moment même, les syndicats de la CNT catalane se retrouvent au milieu d’un intéressant débat interne en vue d’avoir une position idéologique commune. Et à partir de ce qui en ressort, nous sommes en train d’écrire un discours qui connecte l’idée d’autodétermination à l’idée d’autogestion. C’est à dire que l’ autodétermination politique ne peut résoudre le problème de la classe ouvrière. Tandis que l’autodétermination économique et l’autodétermination de classe, oui. Cette autodétermination économique et de classe s’exprime à travers l’autogestion et ses outils. Nous sommes partis des accords de Congrès de la CNT qui respectent le droit à l’autodétermination des peuples et défendent clairement les droits civiques. A partir de là, nous tissons un discours qui connecte l’aspiration légitime des gens en Catalogne à nos accords de Congrès. Ainsi, nous faisons voir à tous que l’autodétermination, si elle amène à un Etat et à des institutions politiques classiques, ne résoudra pas nos problèmes de classe. L’autogestion, si.

5. Quelles pratiques de solidarité internationaliste sont possibles aujourd’hui pour lutter contre la répression du gouvernement de Madrid contre le peuple catalan ?

Aujourd’hui, il est très important qu’au niveau international, soit divulgué tout ce qui se passe ici ainsi que les appels qui viennent de l’anarcho-syndicalisme et des secteurs populaires. Les manifestations devant les ambassades d’Espagne, les campagnes de boycott et la diffusion à l’étranger de nos idées sont une aide précieuse.
Il est très important de maintenir un contact direct avec la CNT pour éviter la campagne d’intox massive que pratiquent les médias de communication espagnols. Il faut signaler les intenses attaques sur les réseaux sociaux de la part du gouvernement espagnol et de ses acolytes du ministère de l’intérieur. Il s’agit d’une vraie sale opération pour attaquer et jeter l’opprobre sur n’importe qui soutient ou participe aux mobilisations populaires qui sont menées en Catalogne. Nous sommes très contents de la réponse donnée par les syndicats qui soutiennent l’initiative de la nouvelle internationale puisqu’ils ont organisé de très nombreux rassemblements de soutien.

6. Quelles sont les conséquences sur les luttes sociales et syndicales de la réaction du gouvernement Rajoy ?

Le gouvernement Rajoy est en train d’opérer un changement dans les dynamiques de l’Etat espagnol, durcissant les lois et occupant la rue en utilisant la force policière. Dans ce contexte, nous ne pouvons rien espérer de bon pour les travailleuses et travailleurs en lutte. C’est pourquoi il est si important que la CNT se mobilise et le fasse avec un discours clair et aux contours révolutionnaires.

Pour aller plus loin :
Une émission de web radio sur ce thème :
https://soundcloud.com/le-chiffon-r...