Emission radio : UN SABOT DANS LA MACHINE

, par cnt09

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Ci-dessous, le texte de l’émission :

Chaque fois que l’on entend une phrase qui commence par « les syndicats », la phrase en question n’a aucun sens.
Si l’on ne donne pas plus de précisions, cela n’est pas compréhensible.

En effet, les syndiqué.e.s sont très loin de constituer une masse homogène.
Bien au contraire il existe toutes sortes de syndicats : syndicat de précaires, syndicat de patrons, syndicat jaune, syndicat chrétien, syndicat de copropriétaires, syndicat de consommateurs, syndicat ouvrier réformiste, syndicat corporatif, syndicat ouvrier révolutionnaire, et bien d’autres encore.
Mais dans la bouche des médias de masse, et par conséquence dans les discussions de comptoir, le mot « syndicat » est uniquement employé pour désigner le « syndicat ouvrier réformiste de cogestion » appartenant à une bureaucratie corrompue et très hiérarchisée.

Pourtant, il existe une conception toute autre du syndicalisme, un syndicalisme à but
révolutionnaire totalement absent des médias dominants, et pour cause.
C’est de ce syndicalisme-là dont nous allons parler dans cette émission, l’anarcho-
syndicalisme.

Qu’est-ce que la CNT, et à quoi sert l’anarcho-syndicalisme ?

Les réponses qui seront apportées au long de cette émission exposent le point de vue personnel d’un militant de la CNT en Ariège.

On dit de la CNT que c’est un syndicat.
Mais qu’est-ce qu’un syndicat ?

Un syndicat est simplement un groupe de personnes.
Lorsque plusieurs personnes se regroupent pour s’entraider et s’organisent selon
leurs propres principes, il s’agit de syndicalisme, dans sa forme la plus simple et
directe.

A l’image des nouvelles prisons, la société nous confine chaque jour un peu plus vers l’isolement. Pour le système de domination capitaliste, l’isolement des individus est la protection la plus efficace contre toute tentative de subversion. Le groupe humain reste la menace la plus importante contre l’ordre établi. Se regrouper est donc la première étape incontournable pour lutter contre le système en place.

Mais quels sont les principes qui différencient un syndicat anarcho-syndicaliste d’un autre groupe humain ?

Typiquement, des personnes exploité.e.s se regroupent pour lutter contre leur oppresseur, et se donnent pour principe de refuser de participer à la gestion des
problèmes engendrés par le capitalisme. Évidemment, ces personnes n’acceptent
dans leur groupe ni les forces de répression, ni le patronat.

A l’image des femmes qui se regroupent en non-mixité, le fait de décider
collectivement une règle visant à exclure l’oppresseur est une des premières étapes
pour s’organiser horizontalement. D’autres règles doivent alors être décidées
collectivement afin d’empêcher qu’une hiérarchie ne s’instaure, et pour garantir
l’horizontalité.
Ce groupe pratique alors une forme d’anarcho-syndicalisme, et on peut dire que ce
groupe est un syndicat.
Ce sont ces règles imaginées et validées collectivement qui permettent d’envisager
une coordination à plus grande échelle sans risquer la dérive bureaucratique. Par
ailleurs, ces règles communes permettent de se solidariser avec quiconque sur des
principes politiques clairement définis pour ne pas risquer le repli propre aux
groupements affinitaires.
Conseils ouvriers, assemblées ouvrières, soviets, assemblées générales,
coordinations, comités, collectifs... Tous ces termes sont fréquemment utilisés pour
désigner des pratiques syndicales sans pour autant nommer le syndicalisme, par peur d’un mot tellement grossier qu’il en est devenu tabou. On peut le comprendre, car sans même parler des scandales financiers, les dérives réformistes, hiérarchiques et cogestionaires ont anéanti la crédibilité du syndicalisme ouvrier.

Mais l’anarcho-syndicalisme, avec la rigidité de ses principes anti-autoritaires, est
précisément un outil élaboré pour barrer la route à toutes ces dérives héritées de la
bureaucratie marxiste.

Soviet ou syndicat, peu importe le terme employé et la culture à laquelle il se
raccroche, ces termes désignent tous des pratiques visant à ce que les luttes, la
production, le partage et la vie sociale soient administrées horizontalement par une
population auto-organisée en petits groupes humains sans hiérarchie.
Ce qui nous intéresse ici est donc avant tout un outil, une manière de s’auto-organiser, décrite en 1895 par Fernand Pelloutier dans « L’anarchisme et les syndicats ouvriers » :

« [...]qu’est-ce que le syndicat ? Une association, d’accès ou d’abandon libre, sans
président [...]. Attendent-ils, pour se réunir, se concerter, agir, l’agrément des lois ?
Non : leur constitution légale n’est pour eux qu’un amusant moyen de faire de la
propagande révolutionnaire avec la garantie du gouvernement, et d’ailleurs combien
d’entre eux ne figurent pas et ne figureront jamais sur l’annuaire officiel des
syndicats ? [...]
Laboratoire des luttes économiques, détaché des compétitions électorales, favorable à la grève générale avec toutes ses conséquences, s’administrant anarchiquement,
le syndicat est donc bien l’organisation à la fois révolutionnaire et libertaire qui pourra
seule contrebalancer et arriver à réduire la néfaste influence des politiciens [...].
Supposons maintenant que, le jour où éclatera la Révolution, la presque totalité des
producteurs soit groupée dans les syndicats : n’y aura-t-il pas là, prête à succéder à
l’organisation actuelle, une organisation quasi libertaire, supprimant de fait tout
pouvoir politique, et dont chaque partie, maîtresse des instruments de production,
réglerait toutes ses affaires elle-même, souverainement et par le libre consentement
de ses membres ? Et ne serait-ce pas « l’association libre des producteurs libres » ? »

L’anarcho-syndicalisme est un outil de lutte, une manière de s’organiser
horizontalement pour empêcher qu’une hiérarchie ne se crée entre camarades, pour
rendre impossible la récupération bureaucratique et politicienne, une boussole pour
ne pas perdre le cap durant les périodes politiquement troubles. Si cet outil a
historiquement beaucoup servi à lutter dans le cadre de l’exploitation humaine, il peut
également servir à autant de formes de lutte qu’il est permis d’en imaginer.
Lorsque les anarcho-syndicalistes parlent d’organisation, il n’est jamais question
d’intégrer un syndicat qui nous dépasse et sur lequel on n’a pas prise, bien au
contraire. Les anarcho-syndicalistes consacrent une bonne part de leur temps à se
mettre d’accord sur des fonctionnements garantissant qu’aucune personne ne peut
avoir plus de poids qu’une autre dans les prises de décision. Pour nous, c’est ça
s’organiser, c’est toujours veiller à ce que le pouvoir, le travail, et les richesses soient partagées, afin que personne n’en profite au détriment des autres. C’est le processus collectif d’imagination et de prise de décision qui permet la force collective organisée face à l’exploitation.

Comment organiser politiquement la vie sociale ?

Il existe plusieurs manières de le faire.
Celle que nous subissons actuellement est une manière autoritaire assumée par la
démocratie représentative.
Pourtant, l’organisation politique de la vie sociale pourrait se faire de manière non
autoritaire, c’est-à-dire anarchiste, mais pour cela, il est nécessaire d’empêcher toute
forme de prise de pouvoir, volontaire ou non. La population doit donc décider elle-
même des règles qui empêchent le pouvoir.

Pour décider des règles empêchant le pouvoir, il faut se réunir en petits groupes qui
prennent directement leurs propres décisions, en assemblée, sans représentantes ni
représentants. On pourrait appeler ces groupes de nombreuses manières, nous les
appelons simplement « syndicats ».
Chacun de ces petits groupes décide directement et collectivement les règles qui le
concerne, sans élections, c’est ce qu’on appelle la démocratie directe. Tous ces groupes peuvent alors se fédérer entre eux afin de décider de règles communes pour
s’organiser à plus grande échelle tout en conservant leur autonomie.

C’est comme ça que fonctionnent les syndicats au sein de la CNT, Confédération
Nationale du Travail.

Confédération ? Nationale ? du Travail ?
Mais qu’est-ce que ce trois mots barbares peuvent bien avoir à faire avec cette sympathique organisation rouge et noire ?

Pour ce qui est du premier mot « Confédération », il faut comprendre que la CNT n’est pas à proprement parler un syndicat, mais une confédération de syndicats.

Nous avons déjà vu que le syndicat est un groupe d’humains, une sorte d’association.
Ces syndicats sont fédérés entre eux, ce qui en fait un groupe de groupes.
Contrairement au principe centralisateur, le principe fédéraliste est précisément ce
qui garantit l’autonomie de chaque groupe tout en se dotant de règles communes qui
organisent leur solidarité. Chaque groupe, association ou syndicat doit respecter les
principes de base de la fédération pour jouir de la solidarité qu’elle procure, tout en
conservant son autonomie.

De la même manière, la confédération est un groupement de fédérations, c’est-à-dire
un groupe... de groupes... de groupes humains. Ce fédéralisme permet à toutes et
tous de bénéficier d’une solidarité à très grande échelle sans pour autant perdre son
autonomie.
En résumé, on s’unit pour être plus fort sans risquer de se faire contrôler par
l’organisation.

La CNT considère chaque syndicat comme étant le groupement de base totalement
autonome à partir duquel toutes les décisions sont prises, aussi bien à l’échelle locale
qu’à l’échelle d’un pays.
La CNT en 2015 regroupe 85 syndicats de 9 personnes en moyenne soit 750
syndiqué.e.s. Chaque syndicat concerne une zone géographique et un ou plusieurs
corps de métiers. Dans les zones rurales, un syndicat interprofessionnel regroupe
généralement toutes et tous les syndiqué.e.s du département quelle que soit leur
situation professionnelle. Dans les zones très peuplées, plusieurs syndicats regroupent les syndiqué.e.s en fonction de leur corps de métier.

Le fédéralisme s’oppose au centralisme.

Il signifie que ce sont toujours les syndicats qui décident, fédérés entre eux
horizontalement, contrairement aux organisations pyramidales. Pas d’organe
directeur ni de représentation, nous sommes fermement opposés à la démocratie
représentative et à ses campagnes électorales, nous rejetons toute forme de mandat
représentatif, auquel nous opposons le mandat impératif qui consiste non pas à élire
une personne pour lui donner carte blanche, mais au contraire à désigner une
personne qui doit impérativement exécuter ce qui a été décidé collectivement, par le
groupe. C’est le principe de base de la démocratie directe, réelle. Avec le mandat impératif, la mandatée ou le mandaté n’a donc aucune décision à prendre, c’est une
exécutante ou un exécutant. Il est intéressant de noter que la constitution de la 5ème
république en France interdit le mandat impératif, seul le mandat représentatif y est
légal. Ce n’est pas un hasard, la démocratie directe représente le plus grand danger
pour la pseudo-démocratie bourgeoise.

A la CNT toutes les prises de décision se font en assemblées générales de syndicat.
Pas de “texte d’orientation” rédigé par les dirigeantes et dirigeants pour la base, la
démocratie directe est une réalité.
Cela ne veut pourtant pas dire que chaque syndicat peut faire tout et n’importe quoi
sans se soucier des autres. Tout d’abord, chaque syndicat rencontre les autres
syndicats dans les assemblées générales d’Union Locale, d’Union Régionale, puis
dans les congrès fédéraux et confédéraux. Une fois qu’une décision y a été adoptée
collectivement, elle est reconnue et appliquée par tous les syndicats concernés, sauf
si il a été précisé que sur tel ou tel point le syndicat pouvait faire valoir son autonomie (par exemple l’appel confédéral à une manifestation peut ne pas être suivi par une autre structure de la CNT).

Pour conclure sur le mot « confédération », voici ce que dit le manifeste de la section
espagnole de la première internationale, en 1872 :
« Nous voulons que [...] le monde se convertisse en une immense fédération de
libres collectivités ouvrières d’une localité qui, se fédérant entre elles constituent une
fédération locale complètement autonome ; que les fédérations locales d’un canton
constituent la fédération cantonale, que les diverses fédérations cantonales d’une
région constituent la fédération régionale, et enfin que toutes les fédérations
régionales du monde constituent la grande fédération internationale. »

Malgré l’unité politique des collectivités et les principes clairs qui ont guidé la
révolution espagnole de 1936, le fédéralisme a favorisé une grande diversité des
méthodes de réalisation du communisme-anarchiste. Souvent, dans une même
région, des villages aux productions semblables, à l’histoire sociale à peu près
identique ont commencé les uns par la socialisation des industries locales pour
aboutir à celle de l’agriculture, les autres par la socialisation de l’agriculture pour
aboutir à celle des industries locales. Et nous avons vu aussi dans la région du Levant commencer la socialisation par la distribution pour s’acheminer vers la socialisation de la production, au contraire de ce qui s’était fait presque partout ailleurs. Mais cette diversité des structures d’organisation n’a pas empêché l’appartenance aux mêmes fédérations régionales, ni la coordination à grande échelle, ni la pratique de la solidarité.

En résumé, le fédéralisme permet l’unité collective en contournant les risques du
centralisme.

Bon, d’accord pour le fédéralisme.
Mais pourquoi une organisation réputée pour son engagement antifasciste a-t-elle choisi le mot « nationale » pour se définir ?

Lors de la création de la CNT en Espagne en 1910, l’adjectif « nationale » était
employé à l’encontre d’un découpage régional très ancré culturellement. Le mot
"nationale" était justifié dans le contexte espagnol où le régionalisme était employé par les forces réactionnaires pour diviser la classe ouvrière. En créant une organisation nationale, les prolétaires d’Espagne se sentaient membres d’une communauté plus vaste et entendaient signifier leur refus des divisions régionalistes. Les fondatrices et fondateurs de la CNT voyaient plutôt l’Espagne elle-même comme une petite région de l’Internationale anarchiste. Il s’agit donc uniquement d’une description de notre champ d’action géographique, sans aucun rapport avec une forme quelconque de patriotisme.

Pour nous, donc, nul relent de nationalisme... Ce n’est pas à la CNT que l’on glorifiera
le “produisons et consommons français” ou que l’on chantera la Marseillaise.

Français ou immigrés, même patron même combat.

Bien au contraire, les prolétaires n’ont ni patrie ni frontière, et la CNT est activement
internationaliste : actions de solidarité, échange d’infos, luttes et manifestations
internationales, etc.
La stratégie internationale de la CNT consiste à développer les liens entre tous les
syndicats de lutte indépendants des pouvoirs. Face à la mondialisation du capitalisme, la solidarité syndicale internationale est indispensable. Il ne s’agit pas de
se cantonner à un internationalisme rouge et noir européen, mais bien de considérer
que les prolétaires de tous les continents ont les mêmes ennemi.e.s et les mêmes
intérêts, avec leurs spécificités de lutte et d’organisation. C’est sur le terrain de l’anti-
colonialisme et de l’anti-impérialisme que la CNT a décidé d’être plus présente
encore : le pillage des ressources naturelles et le soutien aux régimes dictatoriaux qui
répriment les mouvements sociaux sont un des piliers du capitalisme. De la Kanaky à l’Afrique subsaharienne en passant par la Palestine ou l’Amérique du Sud, des
organisations syndicales existent et des prolétaires défendent leurs droits, et par-là
même les nôtres. Notre internationalisme doit être cette solidarité de classe de toutes
et tous les exploité.e.s, par delà les frontières et les États qui ont pour rôle de nous
diviser.

Pas de guerre entre les peuples, pas de paix entre les classes.

Donc nous avons une confédération nationale, c’est à dire un groupe de fédérations
de syndicats qui agissent au moins à l’échelle nationale, voire internationale.

Mais pourquoi cette référence au travail ?
Le travail serait-il présenté comme une valeur en soi ?

Le terme « Travail » a été employé pour la création de la CNT en 1910 dans un
contexte très différent du contexte actuel.
Au début du 20ème siècle en Espagne, on naissait d’un côté de la barricade ou de
l’autre : du côté d’une bourgeoisie qui s’enrichissait sur l’exploitation des prolétaires,
6ou du côté d’un prolétariat qui n’avait pas d’autre choix que de perdre sa vie à
travailler. Personne n’avait la possibilité, comme aujourd’hui, de refuser de travailler
sans pour autant être condamné à mourir de faim. Le « droit à la paresse » ne
concernait qu’une bourgeoisie entretenue par le travail des dominé.e.s. On ne pouvait
appartenir qu’à l’un ou l’autre de ces deux camps, et la vocation même de la CNT
était de rassembler le camp des prolétaires, le camp de celles et ceux qui se tuaient
au travail, par opposition au patronat et à sa classe. Par ailleurs, un des premiers
objectifs de la CNT est de mieux répartir le travail afin d’en finir avec l’exploitation
humaine. Voilà pourquoi c’est le terme « travail » qui a été choisi pour rassembler le
prolétariat d’Espagne.
Aujourd’hui, le terme de travail peut être trompeur alors qu’un grand nombre de
cénétistes sont sans emploi, retraité.e.s, lycéennes et lycéens, étudiantes et
étudiants... Paradoxalement, de nombreuses et nombreux cénétistes ne « travaillent » pas, au sens capitaliste du terme, et à la CNT on ne trouvera pas grand monde pour faire l’éloge du travail, ou même qui prenne plaisir à aller au boulot, car le travail
aliène autant qu’il tue. Aujourd’hui, le travail est un outil d’aliénation, d’asservissement
et de domination. Le régime capitaliste qui impose aux mieux loti.e.s de choisir entre
exploiter ou se faire exploiter motive nombre d’entre nous à essayer tant que possible
de refuser de collaborer au travail tel qu’il nous est imposé aujourd’hui.

Mais ce n’est qu’une question de contexte, car la question du travail est pourtant
centrale pour quiconque cherche une autre manière de faire société.

L’anarcho-syndicalisme n’est ni pour ni contre le travail, et refuse de faire siens les
points de vue simplistes qui présentent le travail comme une valeur positive, ou
diabolisé à l’extrême inverse.
De tous temps, les réactionnaires ont présenté le travail comme une valeur morale,
manipulation grossière ayant pour unique objectif d’amener les exploité.e.s à accepter
leur condition misérable en travaillant toujours plus. A l’inverse, se révolter contre le
travail en soi n’aurait pas plus de sens que de manifester contre le mauvais temps.
Notre condition humaine nous impose un minimum de travail, de labeur, d’énergie
dépensée pour satisfaire à nos besoins primaires. La question de travailler ou non se
pose aujourd’hui uniquement du fait d’un contexte sociétal parfaitement absurde, une
impasse historique exceptionnelle. Pourtant, pour faire société, pour assurer le bien-
être aux plus faibles d’entre nous, le travail est une corvée à laquelle on ne peut se
soustraire, la question de ses orientations et de son organisation sont donc au cœur
des préoccupations humaines.

Pour la CNT la question du travail n’est donc en aucun cas une question de principe,
mais une question rationnelle abordée sans tabou. L’humain a besoin du travail pour
se nourrir, se loger, se vêtir et se soigner, le travail doit donc être partagé
équitablement, c’est aussi simple que ça.

Le travail ne devrait jamais être considéré comme une valeur morale, c’est une
activité souvent pénible et laborieuse et pourtant nécessaire pour la survie humaine.
Sous le régime capitaliste, la majorité des objets que nous utilisons aujourd’hui sont
produits par le travail d’esclaves, il convient donc de répartir équitablement le travail afin que chacune et chacun travaille le moins possible, en fonction de ses aptitudes.
Le travail pourrait alors être une activité constructive dès lors qu’il serait décidé et
partagé collectivement. Il est donc nécessaire de regrouper les humains dans des
syndicats pour décider collectivement de la répartition et de l’organisation du travail,
afin que tous les aspects de la vie collective finissent par être décidés par l’ensemble
de la population, sans intermédiaire ni représentant.

En cohérence avec ses objectifs, la structure interne de la CNT est construite pour
empêcher tout rapport de domination et d’exploitation. Dans la continuité de cette
logique et afin que cesse l’exploitation, la seule option est de travailler toutes et tous,
moins, et autrement, en fonction de nos aptitudes. L’organisation du travail est donc
pour nous une question fondamentale qui ne peut pas être repoussée à plus tard. Si
le travail est un fléau sous le régime capitaliste, il resterait néanmoins un mal
nécessaire une fois le capitalisme renversé, c’est pourquoi nous devons l’organiser
dès aujourd’hui.
La question de la répartition du travail est également au cœur des luttes féministes.
Reconnaître les tâches ménagères comme travail et décider collectivement de la
répartition des tâches sont des aspects incontournables de la lutte contre le
patriarcat.

C’est grâce à l’organisation horizontale du travail que les insurgés ont pu continuer à
survivre de 1936 à 1939 en Espagne, en pleine guerre. En comparaison, Lénine qui a
empêché l’organisation horizontale du travail a conduit son peuple à la famine dès le
début de la révolution Russe, pour quatre ans plus tard présenter comme inévitable le
recours à l’économie de marché.

L’organisation du travail joue donc un rôle clé dans le mouvement social et dans toute
organisation qui s’oppose à un régime en place.

La révolution espagnole a apporté la preuve qu’il est possible d’éviter les étapes
dictatoriales si et seulement si l’on sait organiser rapidement la société nouvelle. Pas
plus qu’hier les nouveaux Lénine, Marx et Blanqui n’auraient la moindre idée pratique
de la façon d’organiser la vie sociale après le capitalisme. Mais comme le fit Lénine,
ils organiseraient très vite une police, une censure, et bientôt des camps de travail.
L’idée marxiste selon laquelle il faudrait attendre la révolution pour laisser les masses
s’organiser spontanément n’est rien de plus qu’un piège dont le seul objectif est la
confiscation du pouvoir. Il est donc indispensable de construire et mettre en pratique
ici et maintenant les fondements d’une nouvelle organisation sociale.

L’activité productrice des prolétaires structure l’ensemble de la société et lui permet
d’exister, c’est donc sur le terrain économique que le rapport de forces est favorable
au prolétariat. C’est bien pour cette raison que la grève a toujours été notre meilleure
arme.

Il est hors de question de s’imaginer que la fin puisse justifier les moyens, car ce sont les moyens employés qui préparent la fin. Pour les anarcho-syndicalistes, les moyens sont donc plus importants que la fin. Nous ne combattons pas seulement le régime actuel, nous donnons une perspective à notre combat en luttant pour une nouvelle manière de faire société, que nous mettons en pratique par l’horizontalité, par le refus des permanents syndicaux, des professionnels de la politique et de toute forme d’appareil bureaucratique.

Il ne s’agit pas de s’imaginer changer le monde par des « petits gestes quotidiens ».
Nous considérons simplement que tout est politique, à commencer par notre
organisation interne.

Notre organisation offre non seulement aux exploité.e.s l’opportunité de pratiquer
l’action directe dans leur combat pour leur pitance, mais leur fournit aussi, en cas de
situation révolutionnaire, les conditions préalables pour structurer de manière
autonome la nouvelle société. Les anarcho-syndicalistes sont convaincu.e.s qu’une
économie communiste ne peut pas être décrétée par une prise de pouvoir, mais
seulement par une prise en main par la population de tous les secteurs de production
dans l’intérêt commun sur la base d’accords mutuels. Cela ne se fait pas du jour au
lendemain et nécessite une pratique quotidienne préalable, une forme de
gymnastique révolutionnaire.

Que personne ne travaille à ta place, et que personne ne décide à ta place.

En simplifiant volontairement dans un but de clarté et sans aucune prétention
historienne, voici une courte chronologie du mouvement anarcho-syndicaliste :

Deux ans seulement après la prise de la Bastille, l’assemblée nationale instaure en
1791 le délit de coalition, qui interdit la grève ainsi que toute forme d’organisation
ouvrière ou paysanne.

A Lyon en 1831, première révolte et répression des ouvriers tisserands appelés
canuts, soulevés contre l’industrialisation de leur métier.

En 1840 en Espagne, le premier syndicat des travailleurs du textile est fondé en
catalogne, et la première grève générale a lieu en 1855 contre la mécanisation de la
production et pour le droit à s’organiser en syndicat. Le slogan de la grève était « 
l’association ou la mort ». Malgré le bain de sang, le droit à s’organiser fut reconnu
partiellement puis totalement en 1868.

Bien qu’ils soient durement réprimés, la loi française ne parvient pas à empêcher la
formation de véritables syndicats, ouvriers comme patronaux.

En 1864 le délit de coalition est abrogé et le droit à la grève est reconnu. La même
année, à Londres, des ouvrières et ouvriers de France et d’Angleterre se réunirent
afin de réaliser l’idée d’une union des prolétaires de tous les pays. Un Comité fut
formé, qui eut la mission de rédiger un programme et des statuts pour cette union
internationale. Le premier congrès international eut lieu en 1866 à Genève. Une
organisation internationale y fut définitivement constituée. Elle adopta le nom : « 
Association Internationale des Travailleurs » ou A.I.T., la fameuse première
internationale.

Comme but de l’A.I.T., le programme spécifiait l’émancipation économique de la
classe ouvrière. un deuxième Congrès a lieu à Lausanne en 1867. Cette même année
se tient à Genève le Congrès pour la Paix et la Liberté. Bakounine y émet sa théorie
9de la destruction des États et de la libre Fédération des Communes. C’est au
troisième Congrès, à Bruxelles en 1868, que la grève générale fut désignée comme
l’unique moyen d’empêcher la guerre et d’assurer la paix. Bakounine envoie en
Espagne une délégation qui convainc les travailleuses et travailleurs en lutte de
rejoindre la première internationale. La fédération espagnole deviendra rapidement la
section la plus importante de l’AIT et le berceau historique de l’anarcho-syndicalisme.

En France la loi sur la liberté de la presse de 1868 permet l’émergence publique de
revendications économiques anti-capitalistes.

Le quatrième Congrès de l’Internationale eut lieu à Bâle en 1869. C’est à ce Congrès
que commencèrent les grandes discussions entre Marx et Bakounine. Marx
préconisait le centralisme, le parlementarisme et l’action politique comme moyen de
lutte. Bakounine prêchait l’anti-Étatisme et le fédéralisme, c’est-à-dire les fondements
de l’anarchisme. C’est à ce Congrès qu’on vit, pour la première fois, le grand succès
de l’idée fédéraliste et l’importance des unions ouvrières. C’est là que fut affirmée
l’idée de la suppression de l’État et de son remplacement par des unions de
productrices et producteurs.

Les débuts, pleins de succès, de Bakounine à l’Internationale, ainsi que son influence
croissante, notamment par son attrait pour les sociétés secrètes, amenèrent le
renforcement de l’aile anti-autoritaire, fédéraliste, bientôt anarchiste. C’était
dangereux pour Marx et ses partisans.
Alors, un jeu d’intrigues sous l’influence de Karl Marx contre les fédéralistes
commença.

En 1870, il n’y eut pas de Congrès, à cause de la guerre franco-
allemande.
A Barcelone en 1870, se tint le premier congrès de la section espagnole de la
première internationale. Marx et son manifeste y sont encore inconnus et la commune de Paris n’éclatera que l’année suivante, et pourtant l’organisation du prolétariat par lui-même est déjà à l’ordre du jour. Afin d’établir une tactique pour en finir avec la domination du capital et l’exploitation d’autrui, 40.000 prolétaires y sont représenté.e.s pour s’organiser et poser les bases de l’anarcho-syndicalisme. Cette section espagnole, à l’origine de la CNT, renforcera ses positions l’année suivante en
déclarant que la démocratie ne peut être réelle que dans l’anarchie, fondera les
fédérations de métiers et ne perdra jamais de vue son caractère constructif lors de
chaque congrès, malgré ses 9 années de clandestinité, lorsqu’elle fut déclarée hors la
loi de 1872 à 1881, et malgré les intrigues de Karl Marx au sein de l’AIT.

Pendant ce temps, Bakounine voulait profiter de la guerre de 1870 pour déclencher la
révolution. Il lança alors un manifeste à toutes les sections de l’Internationale,
provoquant un soulèvement à Lyon en septembre et un autre à Marseille en octobre,
prologues de la Commune de Paris et des insurrections de Lyon, Marseille et Narbonne en mars 1871.
La commune de Paris dure deux mois durant lesquels la population s’organise par elle-même. D’autres communes sont proclamées dans plusieurs autres villes, ce sont les événements fondateurs du mouvement ouvrier international. Une répression
internationale d’ampleur inégalée vient alors freiner son développement.

En 1871, Eugène Pottier écrit dans la célèbre chanson l’Internationale :
« Il n’est pas de sauveurs suprêmes, ni Dieu, ni César, ni Tribun, travailleurs,
sauvons-nous nous-mêmes » ou encore « L’État comprime et la loi triche ».

Cette magnifique chanson pourtant anti-autoritaire, fut tant récupérée par les partis soi-disant communistes que c’est souvent sous forme de sarcasme qu’on l’entonne
aujourd’hui, dépossédés que nous sommes de notre propre histoire.

La même année, les marxistes de l’AIT se réunissent à Londres afin de tenter
d’imposer l’action parlementaire à la place de l’action révolutionnaire, contrevenant à
l’esprit et aux statuts de l’Internationale. Tous les éléments fédéralistes de
l’Internationale s’y opposèrent unanimement.

La scission n’est pas officielle mais se confirme en 1872 par les intrigues de la
tendance parlementaire dirigée par Karl Marx, qui fait tenir le congrès à La Haye ;
Bakounine ne peut s’y rendre sans traverser la France et l’Allemagne d’où il est
expulsé par suite de ses condamnations. Marx y fait alors voter une résolution
déclarant que « la conquête du pouvoir politique est le premier devoir du prolétariat », soumettant l’Internationale aux dictats de la démocratie représentative. Marx transfère ensuite le Bureau de l’Internationale de Londres vers New-York afin d’empêcher les réfugiés français de la Commune d’y participer.

L’Internationale est alors divisée en deux sans que le fait soit reconnu par un
Congrès. Le socialisme international est alors soit autoritaire et parlementaire avec
Karl Marx soit anarchiste et fédéraliste avec Bakounine. Bien plus qu’un simple conflit de personnalités, c’est bien deux conceptions politiques totalement opposées qui s’affrontent.
C’est la fin de la première internationale.

Les fédéralistes organisèrent alors, à leur tour, un Congrès à Saint-Imier, en 1872,
auquel participèrent tous les éléments anti-autoritaires de l’Internationale, afin de la
reconstituer. C’est lors de ce congrès que furent formulés les principes fondamentaux
de l’internationale anti-autoritaire et du mouvement ouvrier anarchiste :
« Le Congrès, réuni à St-Imier, déclare : Que la destruction de tout pouvoir politique
est le premier devoir du Prolétariat ; Que toute organisation d’un pouvoir politique
soi-disant provisoire et révolutionnaire pour amener cette destruction ne peut être
qu’une tromperie de plus et serait aussi dangereuse pour le Prolétariat que tous les
gouvernements existant aujourd’hui ; Le travail, s’il n’est pas librement organisé,
devient oppressif et improductif pour le travailleur ; et c’est pour cela que
l’organisation du travail est la condition indispensable de la véritable et complète
émancipation de l’ouvrier. L’ouvrier ne pourra jamais s’émanciper de l’oppression séculaire, si à l’État il ne substitue la libre fédération de tous les producteurs fondée
sur la solidarité et l’égalité. »

En 1872 et 1873 les Congrès des deux tendances ne se tenaient que séparément.
Les marxistes se trouvaient en pleine déroute, et ce fut leur dernier Congrès. Les
premiers congrès de l’Internationale anarchiste furent très fréquentés jusqu’au dernier
en 1877.

De 1878 à 1881 l’internationale anti-autoritaire effectue une grande avancée
théorique. En effet, jusqu’alors, suivant la doctrine collectiviste préconisée par Marx,
Proudhon et même Bakounine, la collectivisation des moyens de production
préconisait uniquement que chaque producteur reçoive « le produit intégral de son
travail ». Naturellement cette formule avait pour objectif de faire disparaître tout
vestige d’exploitation humaine, mais un problème de taille avait été soulevé depuis
1880 par Kropotkine et la tendance communiste de l’anarchisme : en effet, la majorité
des membres de la société ont cessé d’être apte au travail ou ne le sont pas encore.
La société doit donc prélever le nécessaire sur la part qui, selon le principe admis
jusqu’alors, revenait aux productrices et producteurs, afin de répartir les biens et
services selon les besoins de chaque personne. Les productrices et producteurs ne
pourraient donc pas « jouir du produit intégral de leur propre travail », puisqu’il
faudrait le partager. La formule qui s’affirmait comme une évidence était dès lors celle
du véritable communisme « à chacun selon ses besoins, de chacun selon ses
forces
 ». Celles et ceux qui le peuvent travaillent selon leurs forces, et tout est partagé en fonction des besoins individuels. Ce principe fondateur du communisme fut formulé par Louis Blanc et Etienne Cabet dès 1839, huit années avant que Karl Marx ne commence à se réapproprier l’étiquette communiste, pour le transformer
progressivement en un funeste capitalisme d’État.

Vigoureusement opposée aux tendances individualistes parfois associées à
l’anarchisme, l’internationale anti-autoritaire popularise alors les principes de la
solidarité intégrale qui sera pratiquée par les collectivités durant la guerre d’Espagne.

« La conquète du pain », œuvre majeure de Kropotkine, terminera d’entériner le
communisme anarchiste comme principal objectif politique de l’internationale
anarchiste.

Depuis lors, les principes économiques des anarchistes seront communistes.

A l’inverse, les régimes marxistes collectivistes au sein desquels le travail est une
valeur morale conféreront une certaine supériorité sociale aux travailleurs.
Comme l’a exprimé Lénine le 27 décembre 1917 « Qui ne travaille pas ne mange pas
 »
, précisant que les ouvriers qui tirent au flanc seraient emprisonnés ou fusillés.

En juillet 1881, l’Internationale échoue à se reconstituer lors d’un congrès qui aboutit à
la consécration officielle de la propagande par le fait comme moyen d’action. En effet,
une tendance anti-organisationnelle, momentanément majoritaire, ne voit pas la
nécessité d’une organisation internationale pour leur stratégie qui se limite à poser
des bombes et pratiquer la reprise individuelle.

En 1884, une loi autorise les syndicats en France et officialise la progression du
syndicalisme de masse.

En Espagne, de 1879 à 1887, c’est la guerre sociale : les révoltes, incendies,
saccages, explosions, exécutions, emprisonnements, se suivent et ne se ressemblent pas. Une organisation secrète, la « Mano Negra », agirait violemment contre les puissants. A-t-elle réellement existé, la question est encore débattue, mais elle servit de justification à une répression sanglante : plus de 400 membres supposé.e.s furent arrêté.e.s, sept furent exécuté.e.s. Le gouvernement espagnol profite de la lutte contre la Mano Negra pour réprimer la section espagnole de l’AIT.

Les luttes contre l’impôt sont punies par la saisie de centaines de milliers de petites fermes par l’État espagnol. La section espagnole poursuit son évolution contre vents et marées, ses préoccupations sont plus constructives que jamais, et son congrès de 1887 entérine le communisme anarchiste comme objectif politique et économique.

Le 1er mai 1886, au États-Unis, une grève générale à forte tendance anarchiste est
largement suivie, qui se soldera en 1887 par l’exécution des 5 syndicalistes
anarchistes de Chicago, symptomatique de la violente répression patronale et anti-
syndicale propre à l’histoire des États-Unis. Par la suite, chaque 1er mai, les ouvrières et ouvriers du monde entier feront une grève générale pour la réduction du temps de travail. Le 1er mai reste la journée internationale des travailleuses et travailleurs malgré que le maréchal Pétain ait institutionnalisé cette journée de lutte en 1941 en la transformant en un jour officiellement férié qu’il nommera cyniquement « fête du travail et de la paix sociale ». Il ne manquera plus alors que quelques partenaires sociaux, pour que la lutte des classes s’efface devant la collaboration de classes.

La collaboration de classes est caractérisée par le fait de participer, dans des
organismes réunissant des représentantes et représentants des ouvrières et ouvriers,
des patronnes et patrons ou de l’État, à l’étude en commun des problèmes
économiques dont la solution apportée ne saurait que prolonger, en la renforçant,
l’existence du régime actuel. La collaboration de classes fait croire que les intérêts
des salarié.e.s et des patronnes et patrons peuvent être les mêmes, et rejoint les
stratégies contemporaines de « management » au sein desquelles les exploité.e.s
sont manipulé.e.s d’une manière amicale et conviviale. Il s’agit de la négation pure et
simple des antagonismes de classe. C’est aussi ce que l’on appelle pudiquement la
cogestion, ou plus précisément le syndicalisme jaune, incarné aujourd’hui par la
CFDT. Un syndicat de cogestion participe à la gestion de l’entreprise et du personnel
aux côtés du patron dans une logique totalement capitaliste.

Le premier syndicat jaune est officiellement fondé en 1899 en France par un petit
groupe de mineurs qui refusent de participer aux mouvements de grève. Les grévistes s’en prennent alors à leur lieu de réunion, leur jetant des pierres qui brisent les vitres ; les anti-grévistes décident alors de remplacer les vitres brisées par du papier jaune ; à partir de là, les ouvriers anti-grève sont appelés « jaunes ». La Fédération nationale des Jaunes de France, antisémite et d’extrême droite dès sa création en 1902, affirme immédiatement son slogan qui se résume en trois mots : « Travail, famille, patrie ».
Cette devise sera reprise plus tard par Pétain et le régime collaborationniste de Vichy.

En 1889 est formée une seconde Internationale à l’intérieur de laquelle les
anarchistes coexistaient auprès des socio-démocrates. Mais 3 ans plus tard en 1892,
au Congrès de Londres, les anarchistes et les antiparlementaires furent exclus de la
2ème Internationale, laissant les mains libres aux réformistes professionnels.

En France, la période des attentats nihilistes appelés « propagande par le fait » ne
dure que deux ans de 1892 à 1894. Cet épisode se termine par la guillotine pour
Caserio et l’application des « lois scélérates » qui déclarent hors-la-loi les anarchistes
et leurs publications, et s’abattent à l’occasion sur l’ensemble du mouvement ouvrier.
A Toulouse, le commissaire de police annonce : « Tout individu connu comme
professant des idées anarchistes devra être immédiatement arrêté, poursuivi comme
affilié à une association de malfaiteurs, condamné à la déportation. »
Les publications sont arrêtées, les militantes et militants sont condamné.e.s ou en fuite. Chaque année d’innombrables listes seront établies par les ancêtres des renseignements généraux recensant les anarchistes résidant dans chaque grande ville. Malgré l’abrogation de ces lois un siècle plus tard en 1992, le fichage des anarchistes est pourtant toujours pratiqué par la police politique qui s’appelle aujourd’hui DCRI.
Cette vague de répression historique a eu pour conséquences, dans nos propres pratiques, le remplacement du mot interdit « anarchiste » par le mot autorisé « libertaire », plus consensuel et employé alors comme synonyme dans un souci de discrétion. Ce glissement sémantique soulève pourtant un problème de fond, car si l’origine sémantique du terme anarchie désigne bien une opposition à toute forme de pouvoir et de hiérarchie, l’origine sémantique du terme libertaire donne seulement la priorité à une liberté maximale. Or pour lutter contre les hiérarchies informelles au sein d’un groupe il faut parfois mettre en place des règles qui limitent la liberté des grandes bouches.
C’est bien la question de la contrainte qui est au cœur du débat. Sans contraintes, la
liberté est absolue, mais pour les plus forts seulement. Pour une liberté partagée
également en autant de parts qu’il existe d’êtres humains, et tout simplement pour
faire société, la contrainte est indispensable. Or, une juste contrainte ne peut être
définie que par une règle décidée collectivement par l’ensemble des personnes qui
s’engagent à la respecter. Ce sont précisément ces règles qui permettent d’empêcher
toute forme de pouvoir ou de hiérarchie, règles qui sont les conditions mêmes de
l’anarchie.
Ces contraintes sont souvent incomprises par un large public uniquement attiré par le
mot « libertaire » et qui ne perçoit pas la dimension anti-autoritaire forcément
contraignante, puisqu’il s’agit précisément de réprimer l’autoritarisme larvé dans la
nature profonde de chaque être humain.
Le terme « libertaire » si positif, sexy, attractif, et presque compatible avec le
capitalisme, contrairement au terme « anarchiste », renvoie étymologiquement à une conception bien plus individualiste.
Lorsque quelques slogans adolescents du type « Il est interdit d’interdire » viennent
légitimer le désir libertarien de « Jouir sans entrave » formulé par quelques uns de nos futurs dirigeants, la notion de contrainte s’efface pour donner naissance à des
phénomènes aussi affligeants que celui de Daniel Cohn-Bendit.
Dans une économie de marché, qui donc oserait se mettre en travers de la liberté ?
Un élément de réponse : celles et ceux qui subissent économiquement ladite liberté
d’entreprendre peuvent s’organiser pour opposer la transparence du communisme
anarchiste au grand bazar du marxisme libertaire.
Pour conclure cette parenthèse, disons simplement qu’il convient d’employer le terme
« libertaire » avec beaucoup de précaution.

Alors que les lois abrogeant les délits de coalition et de syndicalisme ont officialisé la
progression du mouvement ouvrier, dix ans plus tard les lois scélérates entraînèrent
temporairement sa décadence internationale. Si les lois ne sont généralement que le
résultat d’un rapport de force, il ne faut pas pour autant ignorer leurs conséquences
sur nos capacités à nous organiser. Les lois qui s’abattent aujourd’hui en 2015 en
France avec la loi Macron ou en Espagne avec la loi Mordaza auront sans aucun
doute de graves conséquences pour nos conditions de vie et par conséquence, notre
capacité à lutter.

A la fin du 19ème siècle, l’hégémonie de l’Allemagne sur tout le continent européen
entraîna une prépondérance de la social démocratie, avec la seconde internationale,
tandis que les traditions de l’aile anarchiste de la première Internationale déclinèrent.
Malgré le contexte, sous l’influence de l’anarchiste Fernand Pelloutier, les bourses du
travail prennent un essor considérable de 1892 à 1902 et relancent le mouvement
social après l’ère des attentats nihilistes.

Les bourses du travail sont originellement conçues dans le but d’étudier les besoins, les ressources et la démographie afin de distribuer les richesses en se substituant à l’organisation sociale capitaliste. Les bourses du travail sont des organismes gérés par les travailleuses et travailleurs qui fournissent des réponses à des question éducatives et sociales : bibliothèque, cours du soir, coopérative alimentaire, distractions, dispensaires médicaux chargés de lutter lors d’accidents du travail contre les compagnies d’assurances complaisantes avec le patronat, renseignements juridiques, caisse de secours et de solidarité en cas de maladie, d’accidents ou de chômage : à cette époque, la Sécu et l’assurance chômage n’existent pas mais la solidarité est alors auto-organisée. Les Bourses du travail apparaissent comme la synthèse du mouvement syndical, un instrument total de lutte.
Ces organismes sont alors porteurs d’un autre type de solidarité, dépassant les
professions et corporations, pour s’inscrire dans une solidarité de classe de proximité
géographique. En participant à la vie de la bourse, en cherchant à répondre par des
améliorations concrètes à des besoins de son quotidien, chaque prolétaire était alors confronté.e à cette expérimentation et à cette forme d’organisation sociale qui pouvait
lui ouvrir d’autres perspectives.

En assurant la formation d’une classe ouvrière autonome, la finalité du projet des
bourses du travail était à la fois un outil d’émancipation intégrale des prolétaires ainsi
qu’un instrument d’organisation de la société future. A travers les Bourses du travail et le modèle de syndicalisme qui y était développé, on peut apercevoir un modèle
révolutionnaire complet.
L’existence même des bourses du travail était un embryon qui préfigurait le centre de
la société future, post-révolutionnaire. Le syndicalisme qui en était issu permettait
d’envisager concrètement une forme d’organisation sociale anticapitaliste et
antiétatique. Chacune et chacun participait à l’organisation de la société, à la fois sur
son lieu de travail par le syndicat, et en tant qu’habitante et habitant au sein des
bourses du travail de son quartier.
Les bourses du travail avaient donc cette capacité de rendre concrète la révolution en
la préfigurant, tout en étant des outils de luttes et de revendications immédiates, en
lien avec les syndicats. Elles ont incarné l’idée qu’un objectif n’est pas aussi important que les moyens que l’on met en œuvre pour l’atteindre. Le mode d’organisation et le fonctionnement que nous choisissons aujourd’hui, au sein de la société dans laquelle nous luttons, doit refléter et préfigurer le modèle de société que nous voulons.
Ce modèle complet de syndicalisme, basé sur l’auto-organisation, une pratique et un
projet de société intimement liés, permet d’assurer l’indépendance par rapport à toute
représentation politique. En effet, l’organisation que proposaient les bourses du
travail, à fondement géographique et professionnel, présente une véritable alternative
à la démocratie représentative. Les bourses du travail aident le mouvement ouvrier de
l’époque à assumer son autonomie au maximum, par le biais d’un modèle sociétal
complet allant même jusqu’à tendre au séparatisme avec le reste de la société, en
proposant de construire une démocratie directe ici et maintenant.

La Confédération Générale du Travail (C.G.T) est fondée en 1895 à Limoges.
Une grande partie des anarchistes investissent alors les syndicats. Émile Pouget fait
adopter par la CGT en 1897 le principe du sabotage comme méthode d’action et de
propagande. « A mauvaise paye mauvais travail ! » est alors la maxime qui popularise le sabotage.
Par ses écrits incontournables, Emile Pouget donne une profondeur théorique au
sabotage et à l’action directe.

La C.G.T. et la Fédération des bourses du travail fusionnent en 1902 sous l’influence
des anarchistes, constituant ainsi une seule organisation composée de deux sections, celle des fédérations de métiers et celle des Bourses du travail. C’est le syndicalisme intégral, un projet de société subversif qui représente une véritable alternative au capitalisme.

Une tactique : l’action directe
Une stratégie : la grève générale
Un outil : le syndicat

Une organisation pour la société à venir : la Fédération des bourses du travail
Pour la première fois, les syndicats ouvriers et les bourses du travail se retrouvent
confédérées au sein d’une organisation à but révolutionnaire assumé. Les Bourses du
Travail organisant les productrices et producteurs sur leur lieu d’habitation et les
syndicats les organisant sur leur lieu de travail, il est alors possible de mettre en
pratique une infrastructure qui permettrait à la population de pourvoir à ses propres
besoins pendant un très longue grève générale, sans État ni patron, un modèle
fonctionnel pour la société post-révolutionnaire.

De 1895 à 1906, la CGT est fortement imprégnée de l’idéologie anarchiste, et
s’appuie alors sur la mise en pratique du slogan de l’A.I.T. : « L’émancipation des
travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes »
, fondement de l’anarcho-
syndicalisme.

Lors du congrès de la CGT tenu à Montpellier en 1902 et représentant 122.000
prolétaires confédéré.e.s, il est établi un document détaillant l’organisation
économique de la société au lendemain de la grève générale.

Ce document est résumé en cinq points :
travail libre sans contrainte, sans salaire d’aucune nature,
consommation libre suivant les goûts et les besoins,
suppression absolue de la théorie de la valeur,
l’échange établi suivant les besoins,
la Bourse du Travail, centre de l’activité et de la vie humaine

La CGT de 1902 est composée principalement d’anarchistes et préfigure l’anarcho-
syndicalisme. Il ne s’agit pas d’un épiphénomène groupusculaire, mais bien d’une très
sérieuse proposition pour la plus importante organisation ouvrière de France.

Dès le départ, l’anarcho-syndicalisme se donne pour objectif de changer radicalement
nos modes de production et de distribution, et certainement pas de se limiter à mieux
gérer le productivisme, contrairement à ce que l’on peut parfois entendre.
En 1902, la critique de la valeur n’est pas encore une théorie élitiste inconséquente. Au contraire, il s’agit précisément de mettre en pratique une nouvelle forme de relations économiques pour supprimer définitivement toute forme de valeur marchande. Au cours de ce congrès, les syndicats font des propositions concrètes pour répartir les produits en fonction des besoins, sans salaire ni valeur. On n’y propose ni d’améliorer les salaires ni de monnaie alternative, mais de supprimer purement et simplement toute forme de salaire et de valeur. Notons bien qu’on ne s’arrête pas à critiquer la valeur mais que l’on étudie les moyens de sa suppression absolue, et des infrastructures sont imaginées pour la dépasser. Il s’agit justement de propositions très concrètes pour une réelle alternative à la valeur et à toute forme de capitalisme.
Ces propositions se basent sur le principe communiste originel consistant à recenser les besoins humains pour déterminer la production et la distribution. Ce principe,
caché sous le tapis par les partis soi-disant communistes, serait tombé dans l’oubli s’il n’avait été toujours soutenu par les anarchistes non individualistes depuis 1881
jusqu’à nos jours, principe généralement résumé par l’expression « prise au tas ».

Quand on lit certains écrits émanant aujourd’hui du courant de ladite « critique de la
valeur », on peut apprécier l’ampleur de la régression en l’espace d’un siècle. De
l’étude collective d’une stratégie à grande échelle pour supprimer la valeur et
l’injustice sociale qu’elle engendre, on aboutit à une logorrhée académique stérile.
Totalement aveuglé par l’hégémonie marxiste sur le mouvement ouvrier, ce courant
ignore systématiquement les rares tentatives concrètes de dépassement de la valeur,
qui n’ont pourtant existé qu’au sein du mouvement anarchiste et dans sa composante
ouvrière, comme la CGT de 1902.
Il faut croire que Karl Marx, éternellement exhumé, n’en finira jamais d’entraver
malgré lui l’émancipation du prolétariat.

A Buenos Aires en 1905 naît la FORA, organisation ouvrière anarchiste en Argentine.
Les militantes et militants de la FORA ne sont pas favorables aux groupes anarchistes à caractère philosophique qui se limitent à faire de la propagande. Leur
position repose sur un constat : là où l’anarchisme a été essentiellement porté par des philosophes, il ne s’est pas beaucoup développé. Par contre, l’Espagne et l’Argentine, qui comptent bien peu de théoriciens anarchistes, connaissent un mouvement puissant. La FORA en conclut que l’anarchisme se propage mal des intellectuels vers le prolétariat et qu’il est préférable de le diffuser directement au cœur de la population.
Pour la FORA, « l’anarchisme n’est pas une découverte de laboratoire, ni le fruit de
penseurs géniaux, mais un mouvement spontané des opprimé.e.s et exploité.e.s qui
sont arrivé.e.s à la compréhension de la nocivité du privilège et de l’inutilité de l’État,
et qui veulent lutter pour un ordre social qui assure à l’humain son libre
développement. Car si les militantes et militants anarchistes renoncent à la
possibilité d’agir dans le monde du travail comme force autonome, en se contentant
de monopoliser le mouvement anarchiste dans de petits groupes de propagande,
leur avenir n’a rien de prometteur »
. Pour la FORA, l’élaboration théorique et la
résistance ouvrière sont inséparables.

En Espagne en 1904, une grève générale éclate pour libérer des prisonnières et
prisonniers politiques.

En Ariège de 1904 à 1911, les mineurs de Sem affrontent leurs patrons et les jaunes
pour conserver l’autogestion de la mine.

En Russie la révolution de 1905 voit naître les premiers soviets, des conseils
d’ouvriers et de paysans organisés pratiquant une forme d’anarcho-syndicalisme et
de démocratie directe. Lénine dira d’eux qu’ils sont « cent fois plus à gauche » que les bolcheviks.

En Ukraine en 1906 Daniil Novomirsky est à l’origine de la première organisation se revendiquant du terme « anarcho-syndicaliste » qui regroupe les travailleuses et
travailleurs du port d’Odessa, pour développer un mode d’action à la fois plus
stratégique et plus collectif que celui des attentats nihilistes encore en vogue à cette
époque. Leurs grèves, émeutes et insurrections armées sont très violentes et leur
organisation, le SRGAS, se développe très rapidement jusqu’à ce que la plupart
d’entre elles et eux soient déporté.e.s en Sibérie ou assassiné.e.s, les autres entrant
alors dans la clandestinité.

A Chicago en 1905, les IWW furent créés dans le but d’organiser la classe ouvrière
états-unienne. Le syndicat, encore actif aujourd’hui, avait comme objectif d’organiser
la solidarité ouvrière et la lutte révolutionnaire pour renverser la classe patronale.
Le préambule de la Constitution des IWW déclare :
« La classe ouvrière et la classe patronale n’ont rien en commun. Il ne peut y avoir
de paix tant que la faim et le besoin touchent des millions de travailleurs et que les
quelques privilégiés, qui forment la classe patronale, jouissent de toutes les bonnes
choses de la vie. La lutte entre ces deux classes doit se poursuivre jusqu’à ce que
les travailleurs du monde, en tant que classe, prennent possession des moyens de
production, abolissent le salariat, et vivent en harmonie avec la Terre... En lieu et
place du slogan conservateur, « Un salaire journalier honnête pour une journée de
travail honnête », nous devons inscrire sur notre bannière le slogan révolutionnaire,
« Abolition du salariat ». C’est la mission historique de la classe laborieuse d’en finir
avec le capitalisme. »

Entre 1915 et 1917, l’organisation des ouvrières et ouvriers agricoles des IWW
regroupa des centaines de milliers d’ouvrières et ouvriers agricoles saisonnières. Les
travailleuses et travailleurs itinérantes ne pouvant guère s’offrir d’autres moyens de
transport pour rejoindre leur lieu de travail, les wagons de marchandises étaient
fréquemment recouverts d’affiches des IWW. La carte de membre des IWW était
considérée comme suffisante pour voyager par le train. Les travailleuses et
travailleurs obtenaient de meilleures conditions de travail en utilisant l’action directe
ou le sabotage sur le lieu de production, et en faisant grève "sur le tas", ralentissant
consciemment et collectivement leur travail. Les conditions de travail des ouvrières et ouvriers agricoles saisonnières connurent alors une énorme amélioration, puis le
syndicat forestier des IWW utilisa des procédés similaires pour organiser les
bûcheronnes et bûcherons entre 1917 et 1924. La grève des forestières et forestiers
des IWW en 1917 mena à la journée de travail de 8 heures et améliora grandement
les conditions de travail. Des milliers de membres des IWW furent emprisonné.e.s et
beaucoup subirent le supplice du goudron et des plumes quand elles ou ils n’étaient
pas simplement lynché.e.s ou assassiné.e.s. Au cours d’une grève des IWW durant
laquelle plusieurs membres avaient été tabassé.e.s et conduites à l’hôpital, un chat
noir très maigre s’installa dans le camp des grévistes. Les grévistes nourrirent le chat
et il reprit force à mesure que la grève tournait en faveur des travailleuses et
travailleurs. Finalement, les travailleuses et travailleurs virent certaines de leurs
revendications satisfaites et adoptèrent le chat comme mascotte, chat noir qui est encore aujourd’hui l’emblème des IWW et de la CNT.

En 1905 et 1906 de violentes grèves et manifestations secouent la France, en 1910 la retraite à 65 ans est votée mais dans les faits cela ne concerne pas les prolétaires qui à cette époque n’atteignent jamais l’âge de 65 ans. C’est à cette époque que le travail à la tâche fut combattu.
La rémunération à la tâche, qui aujourd’hui regagne du terrain au travers de l’auto-
entreprenariat, est un mode de rémunération qui n’avantage que les exploiteurs, alors
que la rémunération horaire assure à l’exploité.e un salaire fixe les jours où sa
productivité est inférieure ou nulle.

L’organisation anarcho-syndicaliste Solidaridad Obrera voit le jour à Barcelone en
1907, et tient son 1er congrès en 1908.
Au cours du mois de juillet 1909, c’est la semaine tragique à Barcelone : suite à une série d’émeutes et une grève générale contre la guerre au Maroc espagnol et contre le rappel des réservistes, une répression sanglante s’abat sur le mouvement ouvrier, le théoricien anarchiste Francisco Ferrer sera ainsi arrêté et fusillé.
C’est dans ce contexte que le second congrès de Solidaridad Obrera est organisé à
Barcelone en 1910. Durant ce congrès, l’organisation décide de prendre de l’ampleur
en passant d’un cadre régional à un cadre national et donne naissance à la
Confédération Nationale du Travail, section espagnole de l’AIT . Juste après le
premier congrès de la CNT, en 1911, la confédération est déclarée illégale en raison
d’une grève générale, et entre en clandestinité jusqu’en 1914. Cible constante de la
répression, des centaines de militantes et militants sont assassiné.e.s.

De 1895 à 1914, d’importantes organisations syndicalistes révolutionnaires se
développèrent dans presque tous les pays d’Europe et d’Amérique.

En 1913 déjà, se réunirent, à Londres, les délégué.e.s des organisations anarcho-
syndicalistes de presque tous les pays européens afin de poser la première pierre
d’une nouvelle Internationale ouvrière devant suivre le chemin tracé par la première
Internationale.
Mais la réunion internationale des organisations révolutionnaires anarchistes fut
interrompue par la guerre éclatée en 1914, qui porta un coup d’arrêt à l’ensemble du
mouvement ouvrier. Tous les pays se fermèrent hermétiquement. Il devint presque
impossible d’organiser une liaison internationale des travailleuses et travailleurs
jusqu’à la fin de la guerre. Le prolétariat est divisé entre opposantes ou opposants à la guerre et partisanes ou partisans de la défense nationale. En France en plein milieu
de la première guerre mondiale, d’importantes grèves font plier le patronat qui craint un mouvement qui pourrait se coordonner avec les mutineries qui ont lieu sur le front.
Mais dès la fin de la guerre, les acquis sont balayés, les salaires baissent et les droits syndicaux sont bafoués.

La révolution de 1917 en Russie créa une situation nouvelle. Dans un premier temps,
il était question d’une révolution sans gouvernement animée par les soviets. En
Europe, à cette annonce, les forces dispersées du prolétariat révolutionnaire recommencèrent à s’unir. Immédiatement les syndicats virent grossir leurs effectifs, la lutte sociale s’intensifia, dans les campagnes d’Andalousie les récoltes flambaient et dans les villes les grèves se multiplièrent. Les anarcho-syndicalistes croient leur idéal réalisé, mais dès 1918, sous l’impulsion de Lénine et de Trotsky, les tchékas brisent les grèves, tirent sur les manifestantes et manifestants, exécutent les anarchistes, le parti soi-disant communiste verrouille la presse et envoie l’armée contre les soviets libres. Vers 1920 les anarchistes d’Europe tombent de haut en découvrant comment le parti soi-disant communiste de Lénine exerce sa dictature sur le prolétariat, persécute les anarchistes Russes et massacre les anarchistes makhnovistes en Ukraine.

En 1921, lorsque les insurgé.e.s de Kronstadt réclamèrent « Tout le pouvoir
aux soviets, pas aux partis »
, Trostky les fit massacrer par milliers et fit emprisonner
les survivantes et survivants, gravant dans le marbre la rupture entre les anarchistes
et les partis marxistes soi-disant communistes.

Alors que, jusqu’en 1914, le mouvement ouvrier est politiquement « séparatiste »,
après guerre les partis socialistes vont l’intéresser et même l’intégrer au système
politique représentatif. Par ailleurs, le développement du phénomène marxiste-
léniniste dans les années 1920 a favorisé cette intégration et ce facteur a provoqué le
recul du syndicalisme révolutionnaire en allant jusqu’à récupérer une partie de son
héritage à des fins de propagande. Le prestige de la révolution Russe, et l’apport des
théories marxistes-léninistes voulant faire du syndicalisme une simple courroie de
transmission du parti, vont profondément affaiblir les bourses du travail et imposer un
nouveau mode d’action et de développement au mouvement ouvrier. Cette mutation
s’explique aussi par un monde ouvrier qui s’est profondément transformé en
rajeunissant suite à la première guerre mondiale. Cette boucherie, par la saignée
qu’elle commet dans le milieu ouvrier et paysan, provoque une véritable rupture
générationnelle au sein du mouvement ouvrier. Beaucoup de militantes et militants
syndicalistes, très investi.e.s dans les bourses du travail ne sont plus là au lendemain de la guerre pour passer le relais, pour transmettre une expérience et une conception du mouvement ouvrier susceptibles de faire barrage aux ambitions marxistes-léninistes. Celles et ceux qui ne sont pas mortes sont bien souvent celles et ceux qui ont trahi, qui tel Léon Jouhaux ont accepté l’union sacrée dans la guerre et ont même collaboré au sein de l’appareil d’État.

En 1918, la Révolution allemande remplace l’Empire par une République et tente
d’instaurer les conseils ouvriers, mais les soulèvements sont violemment réprimés
l’année suivante. Les dérives réformistes, hiérarchiques et cogestionaires du
syndicalisme ont pris une telle place dans la social-démocratie allemande que des
auteur.e.s comme Rosa Luxemburg ou Anton Pannekoek ont cherché à s’en
démarquer par le terme de conseil ouvrier, qui décrit simplement un syndicat
débarrassé de toute hiérarchie, un syndicat basé sur des principes anarchistes. En
s’attaquant au syndicalisme réformiste de la social-démocratie allemande, ces
auteurs ont apporté leur contribution au syndicalisme révolutionnaire par le conseillisme et ses particularités.

En France en 1919 une tentative de grève générale est sabotée par la direction de la
CGT devenue réformiste.

Dès 1920, les luttes reprennent alors de plus belle.
A Toulouse dès 1920 le fascisme est connu et combattu. Les premières et premiers
exilé.e.s politiques italiennes et italiens n’ont de cesse d’expliquer le danger que
représente Mussolini, et les espagnols rapportent les atrocités de Primo de Rivera.
Mais il y a aussi une extrême droite française, souvent royaliste, réceptive aux thèmes fascisants, qui multiplie agitations et provocations. Dès le début, c’est par la
résistance physique et violente qu’anarchistes et marxistes empêcheront la
propagation du fascisme en France.

Après la guerre, la CGT se réorganise, le pouvoir échappant aux syndicats pour
passer entre les mains de la Commission Administrative et du Bureau Confédéral :
c’est le début du centralisme, elle s’enfonce dans le réformisme passif tendance
social-démocrate, et une scission en 1922 donne naissance à la CGT-U affiliée au
parti soi-disant communiste au sein de laquelle les anarcho-syndicalistes se
retrouvent rapidement coincés.

Une grève générale très impressionnante eut lieu à Barcelone durant un mois et demi
en 1919. Pour le militant espagnol de cette époque, la révolution n’est pas une
abstraction philosophique. Il s’agit de justice sociale, de travail organisé
solidairement, de fraternité active grâce à la jouissance commune des biens et des
services. La vie du paysan anarchiste est alors si dure qu’il ne peut chevaucher des
chimères lorsqu’il s’agit de la question sociale.

Le congrès de la CNT en 1919 confirme donc que le but de la CNT est le communisme anarchiste.

De 1921 à 1931, sous la dictature de Primo de Rivera, la CNT est à nouveau clandestine, la chasse aux cénétistes recommence. Les prisonnieres et prisonniers politiques se comptent par milliers, parqué.e.s dans des arènes et déporté.e.s sur l’île de Mahon ou dans les lointaines provinces de l’Espagne, déportations qu’elles et ils mettront à profit pour propager les idées anarcho-syndicalistes notamment en Andalousie.

En Italie en 1922 Mussolini instaure une dictature fasciste, les opposantes et
opposants qui ne sont pas emprisonné.e.s ou assassiné.e.s quittent l’Italie, souvent
pour rejoindre la France. L’Union Syndicale Italienne anarcho-syndicaliste résiste
pourtant durant trois ans jusqu’à ce que le fascisme la détruise totalement.

En Espagne en 1923 le dictateur Primo de Rivera singe la stratégie mussolinienne,
pourchasse les camarades qui sont torturé.e.s, emprisonné.e.s, garrotté.e.s, ou
s’exilent dans le sud de la France, souvent à Toulouse. Le secrétaire général de la
CNT Salvador Segui est assassiné par les hommes de main du syndicat patronal.

De nombreuses organisations syndicales européennes se déclarèrent d’accord pour
la création d’une « Internationale Syndicaliste ». L’éventualité de collaborer avec les
bolchéviques fut finalement écartée, puis en janvier 1923, à l’initiative des anarcho-syndicalistes allemandes et allemands fut ressuscitée l’A.I.T.

« Le syndicalisme révolutionnaire, se basant sur la lutte de classe, tend à l’union de
tous les travailleurs manuels et intellectuels dans des organisations économiques de
combat luttant pour leur affranchissement du joug du salariat et de l’oppression de
l’État. Son but consiste en la réorganisation de la vie sociale sur la base du
communisme libre, au moyen de l’action révolutionnaire de la classe ouvrière elle-
même. Il [...] tend vers l’abolition de tout monopole économique et social au moyen
de communes économiques des ouvriers des champs et des usines sur la base d’un
système libre de Conseils affranchis de toute subordination à tout pouvoir ou parti
politique. Il érige contre la politique de l’État et des partis l’organisation économique
du travail ; contre le gouvernement des hommes, la gestion des choses. Il n’a pas,
par conséquent, pour but la conquête des pouvoirs politiques, mais l’abolition de
toute fonction étatiste dans la vie sociale. Il considère qu’avec le monopole de la
propriété doit aussi disparaître le monopole de la domination, et que toute forme
d’État, la forme de la « Dictature du Prolétariat » y comprise, ne peut jamais être un
instrument d’affranchissement, mais sera toujours créateur de nouveaux monopoles
et de nouveaux privilèges.
Le syndicalisme révolutionnaire se place sur le point de vue de l’organisation
fédéraliste, c’est-à-dire de l’organisation de bas en haut.
Le syndicalisme révolutionnaire rejette toute activité parlementaire et toute
collaboration avec les organismes législatifs. Le suffrage le plus libre ne peut faire
disparaître les contradictions flagrantes existant au sein de la société actuelle ; le
système parlementaire n’a qu’un seul but, celui de prêter un simulacre de droit légal
au règne du mensonge et de l’injustice sociale ; amener les esclaves à apposer le
sceau de la Loi à leur propre esclavage.
Le syndicalisme révolutionnaire rejette toutes les frontières politiques et nationales
arbitrairement fixées et ne voit dans le nationalisme que la religion de l’État moderne,
derrière laquelle se cachent les intérêts matériels des classes possédantes.
C’est pour les mêmes raisons que le syndicalisme révolutionnaire combat le
militarisme sous toutes ses formes et considère la propagande anti-militariste comme
une de ses tâches les plus importantes dans la lutte contre le système actuel.
Le syndicalisme révolutionnaire se place sur le terrain de l’action directe. Les moyens
de lutte sont : la grève, le boycottage, le sabotage, etc. L’action directe trouve son
expression la plus profonde dans la grève générale qui, en même temps, doit être,
du point de vue du syndicalisme révolutionnaire, le prélude de la révolution sociale.
Ennemis de toute violence organisée entre les mains d’un gouvernement
quelconque, les syndicalistes n’oublient pas que les luttes décisives entre le capitalisme d’aujourd’hui et le communisme libre de demain ne se passeront pas
sans collisions sérieuses. Ils reconnaissent, par conséquent, la violence comme
moyen de défense contre les méthodes de violence des classes régnantes dans la
lutte pour l’expropriation des moyens de production et de la terre par le peuple
révolutionnaire. »

En 1924 à Paris au meeting de la Grange-aux-Belles des membres du Parti soi-disant
Communiste tirent sur les anarchistes et font deux morts. Du coup, les anarcho-
syndicalistes quittent la CGTU.

En 1925 l’Union Syndicale Italienne est dissoute par Mussolini.

La nouvelle A. I. T. tient son 2e Congrès en Hollande, au printemps 1925.
L’organisation y est fortifiée. Elle poursuivra son existence tout au long du 20ème
siècle.

En Angleterre en 1926, une grande grève générale éclate. Aux états-unis, Sacco et
Vanzetti sont condamnés à mort.

En France en 1926, les syndicalistes fidèles aux principes révolutionnaires fondateurs de la CGT fondent la CGT-SR (syndicaliste révolutionnaire). La CGT-SR va plus loin que la CGT des origines, se réfère à l’A.I.T. et se déclare l’ennemie des partis politiques.

En 1926, quelques makhnovistes et anarchistes russes en exil publient la « plate-
forme d’Archinov », stratégie politique unitaire pour les anarchistes. Cette plate-forme
communiste anarchiste s’oppose enfin clairement à l’anarchisme individualiste et au
courant synthésiste qui essaie de rassembler les tendances les plus antagonistes de
l’anarchisme. Le plate-formisme sera beaucoup critiqué par les individualistes.

En 1931 il y a 24 millions d’habitantes et habitants en Espagne dont la moitié sont
analphabètes et la moitié sont paysans. L’église, l’armée et la police sont les trois
piliers sur lesquels repose l’ordre social. La monarchie espagnole est mise en déroute
par les républicains grâce au soutien des anarchistes, la république espagnole est
proclamée, ouvrant l’ère d’une grave crise sociale.

En 1932 une loi de redistribution des terres inoccupées est votée mais jamais
appliquée, entraînant un nouveau soulèvement anarchiste. Les réformes réalisées par
la gauche républicaine n’amélioraient que la vie des professions intellectuelles, mais
n’apportaient rien au reste de la population, qui avait toujours aussi faim.

De 1931 à 1936 de nombreux essais publiés en Espagne ont préparé les réalisations
constructives de la révolution. Plusieurs insurrections et grèves générales locales,
régionales et nationales menées par les syndicats de la CNT, instaurent un climat
pré-révolutionnaire. La CNT est d’ailleurs de nouveau contrainte à la clandestinité,
cette fois par la République à partir de 1933, ce qui n’empêche pas les révoltes de se
poursuivre.

Début 1933 Hitler accède au pouvoir, l’organisation anarcho-syndicaliste allemande
FAUD est interdite, la question d’une guerre antifasciste commence à se poser.
En Espagne la CNT appelle à ne pas voter et à prendre les armes. La droite
républicaine triomphe. Plusieurs soulèvements sont réprimés. La CNT enclenche une
grève générale nationale de trois jours. Les gardes d’assaut assassinent les
villageoises et villageois de Casas Viejas, les piègent dans une maison pour les brûler vivantes.

En 1934 la CNT compte 1 million et demi de syndiqué-e-s, et il y a autant de
syndiqué.e.s dans les organisations réformistes. Une insurrection est déclenchée par
la CNT aux Asturies, Bilan : 3.000 assassiné.e.s et 40.000 emprisonné.e.s.

En France en 1934, les ligues d’extrême-droite manifestent et déstabilisent le
gouvernement par de très violentes émeutes, qui feront en une journée 16 mortes et
morts et plus de 14 000 blessé.e.s. Cette émeute est un électrochoc pour la gauche
française qui se rassemble progressivement. Cet élan unificateur donnera naissance
au front populaire de 1936 qui mettra tout en œuvre pour freiner le mouvement
gréviste expropriateur, trahissant le mouvement ouvrier en France avant de trahir les
révolutionnaires en Espagne.

En 1936 en Espagne, pour la première fois la CNT n’appelle pas à l’abstention afin
que le Front Populaire libère les 40.000 camarades emprisonné.e.s en 1934. Cet
engagement sera respecté à contrecœur par le Front Populaire d’Espagne suite à sa
victoire, sous la pression des actions directes dans et en-dehors des prisons.
Dès ce moment, les fascistes préparent le coup d’État, et annoncent ouvertement leur projet. Le Front Populaire d’Espagne ne fait rien contre le danger qui augmente
chaque jour. Il aurait pu armer la population, licencier les troupes, arrêter ou révoquer
les généraux comploteurs, mais il ne bougea pas, se contentant d’énergiques
déclarations.

Le 18 juillet 1936, les fascistes et militaires aidés des monarchistes tentent un coup
d’État pour reprendre le pouvoir, ils triomphent au Maroc et dans une grande partie de
l’Espagne. Bon nombre de gouverneurs républicains rejoignirent le parti fasciste et
l’aidèrent très efficacement à arrêter les antifascistes les plus déterminé.e.s.

Le lendemain, la CNT appelle à la grève générale insurrectionnelle comme réponse
au fascisme. La prison de femmes de Barcelone est détruite. La colonne Durutti et
d’autres libèrent de nombreuses provinces, elles font reculer les fascistes. Toutes et
tous font simultanément la guerre et la révolution.

La population et en particulier les anarchistes s’en prend très violemment au clergé et
aux églises, pour deux principales raisons. Les anarchistes sont par essence opposés aux religions, que nous considérons comme une manipulation des faiblesses irrationnelles de l’humain dans le but de servir les puissants. Dans le contexte espagnol, le clergé soutenait ouvertement les dictatures et le fascisme, il est donc l’ennemi des antifascistes. Mais pourtant, il n’a jamais été question de s’en prendre aux croyantes et croyants. Les principes anarchistes ne permettent pas de confondre une personne qui utilise la religion pour manipuler autrui, d’une personne qui a ses propres croyances. C’est la même idée qui nous anime lorsque nous refusons de stigmatiser, par exemple, une femme qui porte un voile, alors que nous nous opposons fermement à toute forme de propagande religieuse, contrairement à
certains confusionnistes libertaires qui n’hésitent pas, sous couvert de laïcité, à tenter d’imposer leur athéisme, uniquement aux musulmanes bien évidemment.

Durant les trois années suivantes, un million et demi de cénétistes combattirent le
capitalisme sous sa forme la plus aboutie qui est le fascisme, tout en réalisant
partiellement le projet de société communiste anarchiste dans leurs bases arrières,
collectivités agricoles et certaines villes telles que Barcelone.

En France les anarcho-syndicalistes solidaires envoient des camions de vivres et de
médicaments qui contiennent également des armes dissimulées. Dans cette guerre
qui oppose les déshérité.e.s aux privilégié.e.s, l’antimilitarisme n’est plus à l’ordre du
jour, la guerre n’est pas évitable.

Mais les franquistes sont soutenus par Mussolini et Hitler qui envoient 700 avions,
des canons, des tanks, 70.000 fascistes italiens, 20.000 nazis de la légion Condor...
Comparé aux 10.000 antifascistes des Brigades Internationales, et aux quelques
fusils distribués au compte-goutte par l’URSS contre tout l’or de l’Espagne, le combat
était disproportionné.
La France du Front Populaire et l’Angleterre refusent de porter secours aux révolutionnaires, le parti soi-disant communiste élimine les anarcho-syndicalistes et le POUM, la gauche espagnole s’oppose à la révolution en cours, le Pape soutient le fascisme qui triomphe.

Malgré ce contexte, plus de 1600 collectivités agricoles mettront en pratique le
communisme anarchiste à partir de 1936 jusqu’à leur propre mort. Cette expérience
fut principalement l’œuvre du mouvement anarchiste, notamment de la CNT dont les
militantes et militants, formé.e.s aux pratiques de l’organisation syndicale, purent
rapidement créer avec les populations de nouvelles formes d’organisation sociale. De
nombreux fonctionnements économiques égalitaires ont été pratiqués allant parfois
jusqu’à l’abolition de la valeur marchande par la prise au tas et le rationnement.

Généralement le salaire familial est proportionnel non plus au travail fourni mais aux
besoins qui se résument souvent aux nombre de bouches à nourrir, les services
notamment médicaux sont totalement gratuits. Les collectivités sont totalement
autonomes mais fédérées de manière à pouvoir partager les ressources spécifiques à
chaque région, et aussi pour l’export, d’oranges notamment, qui permet d’obtenir de
l’argent pour l’import, d’armes notamment. Par exemple, en février 1937 eut lieu en
Saragosse le congrès constitutif de la fédération des collectivités d’Aragon,
concernant 275 villages collectivisés comprenant 141.430 familles.
Malgré l’inévitable augmentation de travail pour faire face aux besoins économiques
de la guerre, les conditions matérielles de la vie sont nettement améliorées pour
toutes et tous.

Au cours de cette période, certaines figures de la CNT ont soutenu une propagande
ayant pour objectif de pousser les prolétaires à augmenter leur productivité. Si cela
peut s’expliquer par le contexte économique propre à une guerre au cours de laquelle
les révolutionnaires manquaient de tout, il s’agissait toutefois d’une des principales
erreurs politiques commises au cours de cette période. Si la CNT a beaucoup été
critiquée pour cette erreur, il convient de rappeler qu’avant la guerre, notamment de
1931 à 1936, la ligne politique était anti-productiviste : diminuer le rythme et la durée
du travail faisaient partie des principales revendications, souvent obtenues par les
grèves et notamment par la pratique collective du ralentissement du travail, qui est
une des nombreuses formes que peut prendre le sabotage. Le ralentissement collectif
du travail provoqua même une diminution de moitié de la production dans la
métallurgie en 1934 et 1935, et obtenant par cette manière le raccourcissement de la
semaine de travail. Il faut également noter que la propagande productiviste au cours
de la guerre donna lieu à de nombreux conflits internes et n’eut aucune influence en-
dehors des grands centres urbains, dans les collectivités agricoles notamment.

De toute l’histoire de la CNT, la plus grave erreur politique correspond à l’épisode des
ministres. Contrairement à la CNT actuelle, la CNT de cette époque fonctionnait
encore avec des permanentes et permanents, des militantes et militants aguerri.e.s
qui étaient salarié.e.s par la confédération. Certaines et certains de ces permanentes
et permanents sont alors désigné.e.s comme ministres au gouvernement du Front
populaire, considérant la lutte contre le franquisme plus urgente que la lutte
révolutionnaire, et compromettant les espoirs de la population en armes.

Cet épisode douloureux reste pour la CNT d’aujourd’hui un argument éloquent contre
toute forme de professionnalisation du militantisme, prouvant que l’anarchisme n’est
pas vacciné contre le risque de confiscation du pouvoir par ses propres éléments.
Cette grave erreur a servi d’exemple à toutes les générations suivantes pour renforcer
leur vigilance face aux dérives bureaucratiques.

Dès 1938 de nombreuses caravanes de révolutionnaires en déroute passent les
Pyrénées et seront ensuite emprisonné.e.s dans les camps de concentration du sud-
ouest de la France, notamment au Vernet d’Ariège.

En 1939, après un million de victimes, l’Espagne est entre les mains de Franco, des
milliers de cénétistes sont enfermé.e.s, torturé.e.s, exécuté.e.s.

Le fascisme c’est la gangrène, on l’élimine ou on en crève.

En France la CGT-SR est interdite et entre en clandestinité, le mouvement ouvrier est
alors réduit en cendres dans toute l’Europe. Staline s’allie avec les nazis, de
nombreux communistes déchirent leur carte alors que le PCF continue de suivre les
ordres du Kremlin, les nazis attaquent la Pologne, la France entre en guerre.

En 1940 la France est vaincue par les nazis, Pétain se substitue au président de la
République et applique son régime collaborationniste.
Durant toute la guerre, les organisations anarchistes ne continuent à fonctionner
qu’en petits groupes clandestins de résistance.

A Saint-Girons en Ariège, des résistantes et résistants cénétistes espagnols en exil,
groupés en union locale CNT, créent le maquis « bataillon del Rio ».
José Alpuente, Marcelino Massana Bancells, Eduardo Viscaya, Fullola, José Ester
Borras, Francisco Ponzan Vidal, et beaucoup d’autres cénétistes joueront un rôle
important dans la résistance en Ariège. La plupart s’évaderont du camp de
concentration du Vernet d’Ariège et organiseront le franchissement clandestin des
Pyrénées au sein du célèbre réseau Ponzan, le maquis « Bataillon del Rio », puis les
groupes de guerilléros.

Le 19 aout 1944 les maquis cénétistes libèrent Foix en Ariège.

Le 24 août 1944 les chars de la « Nueve », 9ème compagnie espagnole
principalement composée d’anarchistes, entrent dans Paris pour la libération.

En Ariège, à la libération, on dénombre parmi les espagnols en exil 1300 cénétistes,
500 républicains socialistes et 300 léninistes. En 1946 la CNT exilée en Ariège
regroupe 21 fédérations locales avec 1000 adhérentes et adhérents.

Au sein de la CNT en exil, une scission éclate au congrès de Paris de mai 1945 entre
les cénétistes qui soutiennent la participation au gouvernement au nom de
l’antifascisme de salon, et les cénétistes très largement majoritaires qui sont partisans d’un retour aux principes de base de l’anarcho-syndicalisme.

A la Libération, les camarades syndicalistes pensent pouvoir reprendre au
gouvernement tous les avantages perdus depuis 1936. Mais seulement, le PCF qui
en 39 pactisait avec les nazis est resté fidèle au patriotisme national-bolchévique. Il
fallait retrousser ses manches, rebâtir la grande France... Une fois encore, comme à
la suite des grèves de 36 : trahison de la part du PCF et des autres partis politiques
se réclamant de la classe ouvrière.
Et alors, les prolétaires ont repris le travail, ont retroussé leurs manches et certaines
et certains ont même accepté l’abandon de leurs vacances pour rebâtir la France.
Donc, retour à la case départ et au turbin.

Le ministre du Travail du PCF a élargi la possibilité d’heures de travail à un temps
illimité, puisqu’il fallait relever la France. Dans certaines usines de métallurgie les
prolos couchaient dans l’usine pour continuer le boulot. Des camarades qui avaient
toujours été réfractaires aux heures supplémentaires se sont mis à en faire à tout va.
Les patronnes et patrons ayant toutes et tous plus ou moins trafiqué avec l’occupant
s’étaient fait des fortunes. Les camarades auraient eu la possibilité d’imposer leur
volonté à la suite de la Libération, mais ne l’ont pas fait.

La CGT-SR n’existait plus depuis son interdiction en 1939. A la libération de
nombreuses et nombreux camarades ont pris leur carte à la CGT. La CGT calquait
soigneusement ses stratégies d’intervention, dictées par le PCF, sur la politique
étrangère de l’URSS. Par exemple, en 1947 le Secrétaire Général du PCF affirmera ainsi, « il faut savoir arrêter une grève ». La CGT déclenche, conduit, et stoppe ainsi
les mouvements sociaux en fonction d’autres intérêts que ceux des salarié.e.s, puis
finira par abandonner sa référence à l’abolition du salariat, jusqu’alors inscrite dans
les statuts.

Au bout d’un certain temps, il est devenu impossible pour les camarades de continuer
à vivre dans les conditions imposées par le PCF. La question de la reconstitution de la CGT-SR est posée, mais les camarades se sont rallié.e.s à une proposition de
Toulouse, de prendre le titre de CNT en souvenir de la lutte menée par la CNT
espagnole pendant la guerre civile et pour fournir une couverture légale aux activités
de la CNT en exil. La CNT en France voit donc le jour en décembre 1946. Dans sa
charte constitutive, le congrès proclame que la CNT est la continuation de la CGT de
1906. Celles et ceux qui jouent un rôle dans la création de la CNT en 1946 sont soit
des acteurs directs de la révolution espagnole, c’est-à-dire des militantes ou militants
en exil, soit des camarades françaises et français issu.e.s de la CGT-SR fortement
marqué.e.s par cette révolution, ou encore des jeunes formé.e.s par la résistance.

« Le combat syndicaliste », périodique de la CGT-SR fondé en 1928, devient le
périodique de la CNT française à partir de 1946.

A la suite de l’annonce de la constitution d’une organisation syndicale s’opposant à la
CGT, il y a tout d’abord eu afflux, dès le début environ 20.000 syndiqué.e.s, puis un
déclin rapide.
La création de Force Ouvrière en 1947, partiellement financée par la CIA dans le but
d’affaiblir la CGT, apporta une seconde alternative syndicale à la CGT, et fut
certainement un facteur important du rapide déclin de la CNT.

Par sa critique systématique à l’égard des organisations réformistes et de leurs
modes d’action, par son refus du jeu institutionnel visant selon elle à intégrer les
syndicats dans la collaboration de classes, la CNT fut rapidement marginalisée du
mouvement ouvrier et n’y joue plus aucun rôle dès 1950. Par ses reproches adressés
à certaines et certains anarchistes qui préfèrent adhérer aux grandes centrales
réformistes, elle se voit isolée même au sein du mouvement anarchiste. Esseulée, sur le déclin et par conséquent de plus en plus sectaire, elle doit son salut à la CNT
espagnole en exil. Sans cette dernière, la CNT aurait pu dans les années soixante se
dissoudre et disparaître définitivement. Elle devient une section française de la CNT
espagnole en même temps que se manifeste la solidarité avec les espagnol.e.s dans
la lutte anti-franquiste. En France les organisations communistes espagnoles sont
interdites en 1950, et les cénétistes espagnol.e.s, très contrôlé.e.s par la police, ne
peuvent pas intervenir dans la vie politique. Régulièrement, la CNT française leur sert
de caution légale pour la publication d’un journal, l’organisation d’une réunion
publique, ou la fête anarchiste annuelle en mémoire du 19 juillet 1936.
Les cénétistes espagnol.e.s qui avaient, pour certaines et certains, participé à la
Résistance en France, principalement dans le Sud-ouest, pensaient poursuivre ce
mouvement de résistance en Espagne, dans la lutte contre le régime de Franco. Pour
eux, la guerre n’était pas finie. Malgré le désarmement de la Résistance qui s’opère en France en 1945, les espagnol.e.s conservent leurs armes et constituent des
maquis de l’autre côté des Pyrénées. Cette guérilla anti-franquiste se poursuit jusqu’à
ce que les franquistes liquident le plus gros de ces maquis dans les années
cinquante, les dernières et derniers guérilleros étant abattu.e.s jusqu’en 1963. Soit, si
l’on compte depuis 1936, une guerre antifasciste qui a duré 27 ans, jusqu’à ce que la
relève soit prise plus tard par les équipes du MIL.
La CNT espagnole en exil se tournait vers l’action directe violente et armée. Elle
soutint en effet les différentes actions violentes de propagande contre le régime
franquiste sur le territoire espagnol. Le siège de la CNT espagnole en exil situé à
Toulouse était alors présenté par le régime franquiste comme l’“école des terroristes
anarchistes”
.

Le sectarisme de la CNT qui s’est traduit par des exclusions mais aussi par des
départs, auquel il faut ajouter la lutte anti-franquiste, a eu pour résultat de transformer
l’organisation en une coquille vide.

Le 10ème congrès de l’AIT s’est tenu à Toulouse en 1958, il y est décidé que seules
les organisations ayant pour finalité le communisme libertaire peuvent faire partie de
l’AIT.

En 1961 un décret du gouvernement français interdit les publications de la CNT en
exil.
La CNT n’est alors plus vraiment une confédération syndicale, mais un groupe de
quelques militantes et militants qui restent fidèles à une certaine pureté anarcho-
syndicaliste. Le nombre de syndiqué.e.s est de quelques dizaines sur l’ensemble de
la France. Elle n’a donc aucune activité réelle - sinon la participation aux
manifestations - et se limite à observer et analyser les événements. Ainsi, à la veille
de mai 68, la CNT est complètement résiduelle et ne peut évidemment pas peser sur
les événements, mais semble y trouver un nouveau souffle lorsque réapparaissent les thèmes d’autogestion, d’action directe et de démocratie directe qui rencontrent son adhésion. De plus, les grandes centrales syndicales agissent pour le réformisme en cassant le mouvement révolutionnaire de mai 68, ce contre quoi s’élèvent les
cénétistes. S’ensuit un grand nombre d’adhésions de jeunes militantes et militants
mais l’arrivée de cette nouvelle vague, trop turbulente pour les "anciennes et
anciens", marque une rupture entre les deux générations. La lassitude pour certaines
de ces vieilles militantes et certains de ces vieux militants de la période "espagnole"
empreinte de culture ouvrière, se conclut par leur départ, alors que dans le même
temps, les jeunes issu.e.s de mai 68 délaissent une organisation anéantie et quasi-
inexistante.

Les jeunes utopistes qui étaient venu.e.s à la CNT au lendemain de mai 68 cessèrent
de militer ou se tournèrent pour certaines et certains vers les communautés
libertaires. Ce phénomène est surtout visible dans le sud-ouest.
Des liens existaient en effet entre les communautés libertaires du sud-ouest et la CNT. Les fondatrices et fondateurs de ces communautés étaient parfois des
cénétistes. C’est le cas par exemple d’un cénétiste de Marseille qui participa à la
création de la communauté de Villeneuve-du-Bosc en Ariège.

À cette époque, la CNT bénéficie de peu de sympathie au sein du milieu libertaire.

Quand celui-ci n’est pas carrément anti-syndicaliste, il est hostile à la CNT
considérée comme un groupe idéologique et non pas comme une organisation
syndicale.

En 1975, le dictateur Franco est mort, la transition soi-disant démocratique est
amorcée.

En 1977, des anciennes et anciens de la CNT espagnole en exil contribuent à recréer
la FAU, organisation anarcho-syndicaliste allemande, interdite sous le régime nazi.

Fin 1977, la CNT espagnole est la seule organisation qui refuse le pacte de la
Moncloa visant à mettre en place une parodie d’avancées démocratiques, notamment
en légalisant le parti soi-disant communiste. C’est une période de renouveau pour la
CNT espagnole, qui réunit alors des foules allant jusqu’à 500.000 personnes pour ses
meetings.

Début 1978, en marge d’une manifestation cénétiste, des cocktails molotov sont
lancés contre une salle de spectacle, la Scala, dans laquelle quatre salarié.e.s dont
deux syndiqué.e.s à la CNT meurent carbonisé.e.s. Les autorités politiques
espagnoles tentent alors d’en rendre responsables les organisations anarcho-
syndicalistes. Les faits seront finalement attribués à Joaquim Gambin, indicateur de
police infiltré au sein de la CNT juste avant les faits. Plusieurs indicateurs infiltrés
dans la CNT avaient pour mission de discréditer le syndicat parmi la classe ouvrière
et enrayer ainsi sa constante progression, de plus de 300.000 syndiqué.e.s sur toute
l’Espagne. L’indicateur Joaquim Gambin avait été recruté par la Brigade d’Information
et par sa cellule anti-anarchiste. Cet indicateur est déjà à l’origine de l’arrestation de militantes et militants en janvier 1977 qui voulaient reconstruire la Fédération
Anarchiste Ibérique. Volatilisé, on le retrouve à Barcelone en janvier 1978. Après
avoir infiltré un groupe de jeunes cénétistes, il les incite à commettre un attentat, pour disparaître à nouveau. Par ailleurs, l’enquête montre que l’incendie du bâtiment n’a pas pu être causé par de simples cocktails Molotovs. De manière générale, le procès est parsemé d’incohérences et d’irrégularités. Malgré la condamnation de l’infiltré en 1983, cette affaire porta un grave préjudice à la CNT espagnole dont le nombre de syndiqué.e.s diminua nettement.

En effet, des milliers de camarades n’étaient pas disposé.e.s à militer au sein de la
CNT au point d’affronter une répression policière de cette envergure. La situation était
vraiment périlleuse et les arrestations fréquentes créèrent une grande insécurité
parmi les cénétistes. L’image de la CNT s’est vue détériorée par cette affaire car une
grande partie de l’opinion publique croyait vraiment que la CNT et les anarchistes
étaient impliqué.e.s dans l’incendie. Si l’on ajoute à cela les nombreuses agressions de la part de groupes fascistes protégés par le pouvoir, on peut se faire une idée de la situation. Être anarchiste à cette époque était quelque chose d’assez désagréable.
Les médias rendirent les idées anarchistes impopulaires, tandis que la police et les
groupes d’extrême droite les rendirent dangereuses.

La meme année, le cénétiste Agustin Rueda est assassiné par des matons de la
prison de Carabanchel.

Cette meme année encore, Enrique Marcos est mandaté comme secrétaire général
de la CNT espagnole et commence à raconter sa légende de rescapé des camps
nazis qui sera plus tard démentie. L’imposteur est exclu l’année suivante et participe à une scission en rupture avec les principes de l’anarcho-syndicalisme. Difficile de ne
pas conclure à la manipulation quand tant de zones d’ombres subsistent sur une si
courte période.

En France, seule une poignée de cénétistes s’obstinent lentement mais sûrement à
reconstruire la CNT sur une vingtaine d’années. Le bilan de ce renouveau est positif :
un peu moins d’une cinquantaine d’adhérents en 1973 contre un peu plus de cinq-
cent en 1993.

Dans les années 90, un grand nombre de jeunes attiré.e.s par les principes
communiste-anarchistes associés au syndicat multiplient les sections cénétistes dans les lycées et les universités un peu partout en France et accroissent l’audience du syndicat. Par ailleurs, des syndicalistes déçu.e.s par les pratiques des organisations réformistes rejoignent la CNT, tout comme un certain nombre de jeunes salarié.e.s qui débutent un engagement syndical sur leur lieu de travail et portent un nouveau regard sur la notion de collectif et de pratiques syndicales.

En 1993, un désaccord stratégique entraîne une scission au sein de la CNT. Depuis
cette époque, la CNT tendance « rue des Vignoles » reste très largement majoritaire,
et aujourd’hui deux autres organisations, la CNT-AIT et depuis 2012 la CNT-SO,
existent parallèlement pour satisfaire les tendances divergentes.

La CNT-AIT, sur une ligne anarchiste puriste orthodoxe, ne rassemble plus
aujourd’hui qu’une poignée d’adhérentes et adhérents dispersé.e.s.

A l’opposé politique la CNT-SO, qui a été fondée pour pouvoir salarier un permanent,
ne peut plus dès lors se revendiquer de l’anarcho-syndicalisme, mais simplement d’un
syndicalisme révolutionnaire assez proche idéologiquement de celui que l’on
rencontre à l’union Solidaires.

L’impact de ces scissions fut, paradoxalement, plutôt positif sur l’augmentation des
adhésions ou la qualité des luttes, la ligne syndicale de la CNT Vignoles gagnant
chaque fois en clarté et en cohérence.

Les années 2000 représentent une période d’implantation syndicale par un élargissement de son champ d’action, et le développement de contacts avec d’autres
organisations sur les pratiques de lutte des classes, l’antimilitarisme, l’antisexisme,
l’antifascisme, l’antihomophobie, la mobilisation lors des sommets internationaux
capitalistes, le soutien aux sans-papiers, etc...

Le patronat a compris le danger que représente l’anarcho-syndicalisme et n’hésite
pas à licencier les cénétistes au sein de ses entreprises, ou à leur faire la vie dure
quand il ne peut pas les virer, ce qui donne régulièrement lieu à des mobilisations de
solidarité, souvent très efficaces.

La lutte de 2010 pour le maintien de la retraite à 60 ans a encore élargi les rangs de la
CNT Vignoles, jusqu’au reflux militant spécifique à la période actuelle.

En filigrane, la chronologie que nous venons de survoler sur 150 ans laisse entrevoir
un des aspects essentiels de l’anarcho-syndicalisme, l’action révolutionnaire
collective organisée
. Contrairement aux idéologies purement théoriques, il ne s’agit
pas uniquement d’avoir un objectif, mais surtout de s’en donner les moyens. L’objectif
prenant inévitablement la forme des moyens que l’on se donne pour l’atteindre, la
stratégie doit être cohérente.

L’objectif à long terme de la CNT est la mise en œuvre d’une société communiste-
anarchiste, c’est-à-dire l’auto-organisation de l’ensemble de la population pour répartir
les richesses en fonction des besoins de chacune et chacun.

Comme moyen pour atteindre cet objectif, la CNT préconise de lutter ici et maintenant afin de se réapproprier les espaces et outils de production, puis de les utiliser pour s’émanciper des patrons, de l’État, du capitalisme et de la valeur marchande. Le communisme-anarchiste est l’objectif, l’anarcho-syndicalisme est le moyen de l’atteindre.

En se groupant pour pratiquer une démocratie directe sans aucune délégation de
pouvoir, à l’aide du mandat impératif, l’anarcho-syndicalisme propose une stratégie
cohérente que chacune et chacun peut s’approprier, il n’y a alors pas de place pour
les professionnel.le.s de la politique.

Il s’agit donc de commencer, ici et maintenant, à apprendre à s’organiser afin d’être
mieux préparé.e.s pour agir collectivement contre le régime capitaliste.

Le fonctionnement interne de la CNT correspond donc à la manière dont nous pensons que la société dans son ensemble peut être organisée.

Les syndicats sont des groupes humains de taille modeste au sein desquels chaque
personne prend une part active aux décisions. Pour la CNT, ce qui est fondamental,
c’est que chaque personne prenne elle-même les décisions qui la concernent. Les
prises de décisions sont effectuées à la base, dans les syndicats : pas de mots d’ordre parachutés, pas de « ligne » à suivre, pas d’arrière-pensées politiciennes...

La CNT n’est qu’un outil dont chaque syndiqué.e peut se saisir, afin de mieux
s’organiser pour faire face au régime capitaliste qui, lui, est très bien organisé.

S’organiser, cela implique de s’investir sur le long terme, et donc un engagement qui est la condition nécessaire pour un minimum de planification.

Se syndiquer à la CNT, c’est faire preuve de ce minimum d’engagement qui nous permet de savoir sur qui l’on peut compter pour agir et décider collectivement.

Dans une époque où l’absence d’engagement nous est vendue comme un gage de liberté et d’autonomie, la notion d’engagement semble désuète, quand elle n’inspire pas la méfiance. Mais sans engagement personnel, aucune organisation n’est possible.

Dans une époque où le court-termisme mène l’humanité à sa perte, la planification n’est plus une option, c’est une obligation.

Ne pas planifier ou ne pas s’organiser, c’est le meilleur cadeau que l’on puisse faire au capitalisme.

C’est dans l’action bien plus que dans les dogmes que la CNT se construit. Parfois
accusée d’activisme, soupçonnée d’oublier la réflexion et d’étouffer les débats
internes dans un mouvement perpétuel, elle assume ces critiques en considérant la
réflexion comme fruit de l’action, l’idéologie issue de la pratique, et non l’inverse.

Il est révélateur que l’un de nos principes primordiaux soit un principe d’action, « l’action directe ».
Que faut-il entendre par ce terme ?

Souvent, il est détourné de sa signification subversive, en ne renvoyant qu’à une idée
caricaturale de violence. En réalité, si une action directe peut être violente, le plus
souvent, elle ne l’est pas.

L’action directe, c’est une forme de lutte, décidée, mise en œuvre et gérée
directement par les personnes concernées. Piquets de grève, occupations, boycott, sabotage, manifestations devant les sièges des entreprises sont des formes d’action directe que nous pratiquons régulièrement.

Alors que pour les trotskystes la grève générale est considérée comme l’occasion
rêvée de prendre le pouvoir, la stratégie anarcho-syndicaliste voit dans la grève
générale un moyen d’ouvrir des espaces de répartition des richesses pour les besoins
de la population.

Aujourd’hui, c’est un fait, il y a pourtant plus de camarades et de sections syndicales
combatives dans les centrales syndicales de cogestion qu’à la CNT. Il n’est pas
question de critiquer ces camarades que nous respectons, et que nous ne
confondons pas avec leur appareil bureaucratique. Ces camarades sont
malheureusement regroupé.e.s dans des organisations qui n’ont pas pour objectif de
transformer la logique de production.

Actuellement, les centrales syndicales de cogestion assument pleinement leur
sobriquet de « partenaires sociaux » et accompagnent ouvertement le recul social. La
présence dans leurs rangs de syndicats des forces de l’ordre montre clairement leur
acceptation du pouvoir en place.

Par ailleurs, ces « partenaires sociaux » salarient des permanentes et permanents.
Passons le fait que certaines et certains ne font pas leur boulot d’information quand
elles et ils ne sont pas carrément corrompu.e.s. Oublions cette réalité et imaginons
que chaque permanente ou permanent serait combative ou combatif, informerait les
salarié.e.s, fassent des comptes rendus de leurs entrevues avec les patrons, etc.
Même dans ce cadre là, la délégation du pouvoir à une personne, aussi valeureuse
soit-elle, dépossède de fait les syndiqué.e.s de leur capacité d’action et les rend
dépendantes ou dépendant d’une hiérarchie. Ce processus de délégation de pouvoir,
qui aboutit au mieux à l’inaction, est exclu de l’anarcho-syndicalisme. Comme son
nom l’indique, l’anarcho-syndicalisme est fondé sur le refus de la hiérarchie et du
pouvoir, et affirme que la démocratie directe passe par la suppression des
permanentes et permanents.

Deuxième problème de la permanente ou du permanent : la propension à faire du
copinage avec le patronat. Là encore, en lui supposant des intentions les plus
louables, sa fréquentation hebdomadaire ou mensuelle avec la patronne ou le patron
fait qu’un lien se crée, c’est humain. Mais lorsqu’il faudra prendre des décisions
contre la volonté de la patronne ou du patron, le lien créé sera source de manipulation
et de compromis, toujours défavorable aux syndiqué.e.s, c’est le premier pas vers la
collaboration de classe.

Enfin et surtout, une permanente ou un permanent n’a pas les mêmes intérêts que les autres salarié.e.s de l’entreprise. Parfois, elle ou il est coupé.e de son milieu
professionnel depuis des années. Salarié.e par l’organisation, elle ou il tend à
préserver l’intérêt de sa bureaucratie syndicale plutôt que celui des salarié.e.s.

Par-dessus le marché, quand la CGT reçoit 150 millions d’euros de subventions
annuelles qui représentent les deux tiers de son budget, elle n’est pas en mesure de
dire non au gouvernement.
Comment bloquer l’économie contre un État qui vous fait vivre ?
Qui paie l’orchestre choisit la musique.

L’indépendance d’une organisation syndicale, son autonomie n’est possible que si
aucun groupe de pression n’a de prise sur la conduite de son activité. La pression
financière, le “nerf de la guerre”, est un moyen puissant pour qui veut contrôler une
organisation.

La CNT ne reçoit donc aucun subside, aucune subvention, ni de l’État ou d’une
collectivité locale, ni d’une quelconque organisation politique ou confessionnelle et ni,
bien évidemment, d’aucune entreprise. Cette précision est d’importance alors que le
35système a toléré le financement des organisations politiques et syndicales par tous
les groupes de pression en utilisant les moyens les plus crapuleux : caisses noires,
fausses factures, études bidons, etc.

La CNT finance ses activités avec les seules cotisations de ses syndiqué.e.s. Les
concerts de soutien, les caisses de solidarité en cas de grève ou de répression ne
mettent à contribution que celles et ceux qui ont choisi librement d’y participer, sans
autre contrepartie que de favoriser l’entraide et la solidarité ouvrière.

Si l’expression « Autonomie Ouvrière » a connu son heure de gloire dans les années
70, la réalité qu’elle recouvre est plus ancienne. Les syndicats de la CNT s’y réfèrent
dans le sens où l’autonomie ouvrière signifie l’organisation libre, indépendante et
autonome des exploité.e.s, conformément à la devise de la première internationale :
“L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes”.

Pour la CNT si la classe des exploité.e.s ne doit rien à personne, elle ne doit pas non
plus attendre quoi que ce soit de l’État, de ses institutions, des élections, des
organisations politiques ou des intellectuel.le.s qui parlent soi-disant au nom de toutes et tous.

Pour la CNT, l’autonomie n’a d’intérêt que si elle est en contact continu avec la
population organisée par et pour elle-même. Que cette auto-organisation prenne une
forme violente ou pas est une question secondaire, l’essentiel pour nous est qu’elle
soit réellement et directement démocratique.

Par son approche révolutionnaire, la CNT se préoccupe aussi bien des problèmes liés
au travail et au salariat que des questions politiques. Le syndicat est un groupement
de résistance quotidienne en même temps qu’il prépare la révolution.

Lorsque nous affrontons l’exploitation humaine, il arrive bien souvent qu’une lutte
apporte concrètement des améliorations immédiates dans la vie de tous les jours des
plus démuni.e.s. C’est déjà très important, mais ce qui est encore plus important, c’est que le patronat rencontre une résistance très concrète à son exploitation.

Chaque lutte gagnée renforce l’espoir et les solidarités, et la peur peut changer de camp. Une lutte, même perdue, est une expérience qui nous renforce, et restreint la liberté de nos oppresseurs.

Quel acquis social n’a pas été obtenu par la lutte ? Nous n’aurons que ce que nous
prendrons.

Les droits politiques ne proviennent pas des parlements : ils leur sont imposés par la
pression populaire. Leur promulgation sous forme de lois n’en garantit pas le respect.
Les droits politiques n’existent pas parce qu’ils ont été inscrits dans la loi, ils existent
uniquement lorsqu’ils sont devenus des usages à ce point ancrés dans une population que toute tentative de leur porter atteinte rencontre une violente résistance. C’est aux luttes qu’elles ont menées et non à la bonnes volonté des gouvernements que les populations doivent les droits dont elles bénéficient aujourd’hui. Sans les luttes incessantes et combats acharnés il n’existerait pas, aujourd’hui encore, de droit de s’associer ou de se syndiquer. C’est seulement après que les exploité.e.s eurent recouru à l’action directe pour mettre le parlement devant des faits accomplis que celui-ci fut contraint de prendre en compte la nouvelle situation et de reconnaître légalement les syndicats. Les lois évoluent au gré du poids des forces antagonistes en présence. Quand le patronat et ses alliés sont forts, des lois antisociales sont votées. Quand le mouvement social a su se mobiliser pour faire valoir ses intérêts, sous la pression populaire et suite à de longues luttes, la loi ne vient alors qu’enregistrer un droit que ce mouvement social a, en fait, imposé.

Mais alors pourquoi se préoccuper de la loi ?
Comment se fait-il qu’une organisation qui se réfère régulièrement aux principes anarchistes s’abaisse à utiliser la loi ?
N’est-il pas pour le moins paradoxal que la CNT, qui ne reconnaît pas la légitimité de
l’État et vise à sa disparition, fasse parfois appel à la justice pour soutenir des
camarades ?

Nous sommes contraintes et contraints de connaître et d’utiliser la loi pour maîtriser
les armes de nos adversaires. Tout comme le Black Panther Party armé, entre autres, de livres de droit et de magnétophones, se servait de la loi en la retournant contre la police d’Oakland, nous utilisons la loi autant que nécessaire pour mettre le système face à ses propres incohérences. En effet, lorsqu’un de nos adversaires emploie une posture légaliste pour porter atteinte à l’une ou l’un d’entre nous, il n’est pas rare qu’une loi en notre faveur soit susceptible d’appuyer un rapport de forces constitué autour d’actions directes collectives.
Nous n’attendons rien de la loi qui est conçue contre les opprimé.e.s et au service du
capital, mais qu’on le veuille ou non la loi réglemente nos vies et nul.le d’entre nous ne peut s’y soustraire. La moindre des choses est donc que nous l’utilisions pour freiner l’exploitation chaque fois que nous en avons la possibilité.

La lutte contre une loi et la pratique de l’illégalité, peuvent donc être une nécessité
pour faire avancer les droits du plus grand nombre. Les anarcho-syndicalistes ne sont
pas les seul.e.s à avoir choisi, en certaines circonstances, de lutter contre une loi ou
de la transgresser. Des réquisitions de logements vides à la revendication publique
d’avoir avorté quand c’était encore un délit, les exemples sont nombreux d’actions
illégales, mais combien légitimes, qui ont conduit à des libérations.
Mais érigé en principe absolu et irrationnel, l’illégalisme comme fin en soi n’a pas
d’intérêt. Notre rapport à la loi est donc uniquement fonction de la stratégie la plus
appropriée à un contexte.

En aucun cas action légaliste et action directe ne devraient être opposées, car elles
sont complémentaires. Étudier l’inévitable « Code du travail » est aussi important que
de savoir préparer une occupation. Le plus grand nombre des victoires quotidiennes sont précisément remportées par la combinaison d’un travail légaliste de fond appuyé
fermement par l’action directe collective ponctuelle. C’est généralement par la
combinaison d’intenses mobilisations et d’une défense juridique soigneusement
préparée que sont prononcées les sentences les moins sévères pour des camarades
inculpé.e.s. Tout comme il serait stérile d’opposer la théorie à l’action, des méthodes
considérés à tort comme opposées sont nécessaires et complémentaires au sein
d’une organisation qui se nourrit de chaque compétence apportée.

Nous vivons sous un régime dans lequel il est devenu dangereux de ne pas connaître
ses droits, c’est précisément pour cette raison que de nombreuses brochures
récapitulant nos droits sont distribuées notamment via les infokiosques, afin de
maîtriser au mieux ces lois qui sont si souvent utilisées contre nous. Nous devons
connaître nos droits en garde à vue et les erreurs à ne surtout pas commettre, comme par exemple accepter une comparution immédiate. C’est bien par la connaissance de ces rudiments d’autodéfense juridique que nous réduisons l’impact de la loi sur nos vies.

Tout comme l’utilisation de la loi, il ne sera jamais question de glorifier ou de dénoncer uniformément toute forme de violence, de critiquer une forme de lutte par rapport à une autre. Toutes les formes de lutte sont nécessaires, et la violence est un extrême dont les conséquences sont souvent regrettables mais qui dans certains cas est inévitable.

La CNT est un syndicat de combat, qui lutte par tous les moyens qui lui semblent
appropriés : la voie légale qui limite la casse sans prendre trop de risques, la
désobéissance civile et l’action directe collective, qui n’est pas nécessairement
violente. L’action directe exercée par les dominé.e.s elles et eux-mêmes contre les
dominantes et dominants, sans médiation, peut prendre des formes très variées.

Parmi toutes les armes de l’arsenal anarcho-syndicaliste, le sabotage est l’une des
plus redoutées par les patrons et des plus sévèrement condamnées par la justice. En
réalité, dans cette petite guerre économique, nous avons affaire ici à une méthode
aussi vieille que le système d’exploitation et d’oppression politique lui-même. Dans
certains cas, lorsque d’autres méthodes ont échoué, celle-là s’impose. Pour les
travailleuses et travailleurs, le sabotage consiste à opposer tous les obstacles
possibles au bon déroulement du travail, pouvant être résumé par la formule « A
mauvaise paye mauvais travail, action directe contre le capital »
.

La première et la plus simple des formes de sabotage consiste à travailler sans se presser, voire le plus lentement possible. La grève d’occupation, consistant à demeurer dans une usine dont les machines ont préalablement été mises hors service, est une autre forme de sabotage, mais il en existe bien d’autres, amplement détaillées dans l’ouvrage « Le sabotage » d’Emile Pouget, un incontournable guide de survie en milieu professionnel, toujours autant d’actualité.

Mais en ces temps de chômage de masse où le salariat n’est déjà, pour beaucoup, qu’un lointain souvenir, à quoi peut bien servir l’anarcho-syndicalisme ?
Toute forme de syndicalisme n’est-elle pas de fait obsolète ?

Les 100 dernières années ont témoigné d’une réduction constante des effectifs
populaires subversifs, entrecoupée de sursauts chaque fois qu’un nouvel espoir se
faisait sentir. Au gré des massacres d’anarchistes, au fur et à mesure que les
aptitudes à s’auto-organiser sont perdues, la population semble admettre comme une
fatalité la nécessité d’une organisation hiérarchique, l’inévitable collaboration avec un
État esclavagiste et fascisant. Ce qui apparaît donc comme essentiel aujourd’hui,
c’est de réapprendre à s’organiser sans hiérarchie, afin de largement démontrer par
les faits qu’une organisation sociale horizontale structurée est préférable, et que le
système actuel n’est pas inévitable. Démontrer qu’une véritable alternative est
possible afin de sortir du fatalisme qui incite à la collaboration.

A l’inverse du sentiment affectif, le politique doit se donner l’objectif d’éviter le repli et
l’entre-soi. Le politique est là pour permettre les relations sociales entre des
personnes qui justement ne s’apprécient pas forcément. Le politique est la manière
de s’organiser avec tout le monde, même les personnes pour qui l’on n’a pas
d’affinités. Le politique est ce qui peut permettre à des gens qui ne sont pas ami.e.s de ne pas s’entre-tuer pour un morceau de pain. Le politique permet des relations
économiques entre des personnes qui n’ont pas confiance les unes envers les autres.
Des personnes qui n’ont pas de respect ou de confiance l’une envers l’autre ont
besoin de s’accorder par des règles afin d’éviter tant que possible que la force impose
sa volonté.
L’idée même du politique est d’organiser les relations sociales, notamment la
répartition du travail, et il est illusoire d’imaginer que la confiance amicale pourrait
suffire pour répartir équitablement le travail et les richesses.

Quiconque envisage constituer une nouvelle manière de faire société sur des bases
affinitaires doit s’attendre à voir apparaître le sentiment identitaire qui est la finalité du
sentiment affinitaire.
Le groupement affinitaire est une fausse solution pour ne pas se poser la question de
l’organisation, et laisse la voie libre aux professionnels de la politique. L’anarcho-
syndicalisme est un outil pour dépasser le groupement affinitaire.

L’anarcho-syndicalisme comporte deux aspects : le plus connu est la lutte immédiate pour l’amélioration du quotidien par le syndicalisme, mais il est également nécessaire de lutter contre le fatalisme par des réalisations constructives. Cet aspect constructif est sans doute plus à même de concerner les camarades qui ne sont, volontairement ou non, plus concerné.e.s par le salariat.

L’aspect constructif de l’anarcho-syndicalisme donne un objectif révolutionnaire aux
luttes dont le caractère réformiste est parfois inévitable. L’aspect constructif de
l’anarcho-syndicalisme permet d’entrevoir des réalisations ancrées sur le long terme.

Les anarcho-syndicalistes proposent que l’ensemble de la société soit directement
géré par la population, au travers de groupes que nous appelons syndicats, mais qui
pourraient aussi bien être appelés conseils, soviets, ou bourses du travail. Il s’agit
simplement de groupes à échelle humaine au sein desquels une véritable démocratie
directe est possible, fédérés entre eux pour s’organiser sans État ni patron, ni
gouvernement, ni bureaucratie.

Les patrons et l’État ont besoin de toi, tu n’as pas besoin d’eux.

Les bourses du travail à l’époque de la première CGT, dont le but était de permettre à
la population d’organiser elle-même la vie économique, ont commencé une œuvre qui
mériterait d’être poursuivie, la question étant particulièrement d’actualité alors que les
difficultés économiques des populations grandissent chaque jour.

Durant la révolution espagnole, la mise en pratique de collectivités communiste-
anarchistes fut à l’image des idéaux anarcho-syndicalistes de l’époque : critiquable
sur certains points par exemple sur le sexisme, mais tout de même remarquable
compte-tenu du contexte, et aujourd’hui inégalée dans l’histoire. Ces communes ont
prouvé que leur fonctionnement était économiquement et politiquement préférable, et
sont une source d’expérience pour les réalisations présentes et à venir. Aujourd’hui la
décrépitude du mouvement ouvrier ne permet pas ce type de fonctionnement à très
grande échelle, et ce qui s’en approche le plus est l’organisation interne de la CNT.

Mais on pourrait imaginer d’autres réalisations importantes à l’avenir.

Au sujet de la guerre d’Espagne, nombreux sont les ouvrages qui traitent amplement
des aspects militaires et stratégiques, mais l’aspect constructif des collectivités est
trop souvent relégué au second plan.
Se battre est valorisé, assurer le quotidien l’est moins.
Cette hiérarchisation de l’action révolutionnaire relève d’un romantisme viriliste encore
trop présent dans l’imaginaire militant. La représentation guerrière occulte la
nécessité de reprendre l’œuvre constructive, comme s’il ne s’agissait que d’un aspect
secondaire, qui ne concerne pas les hommes, les vrais...
Pourtant, une révolution ne se gagne pas qu’avec des munitions, mais surtout avec des repas chauds.
L’organisation d’un quotidien révolutionnaire pourrait commencer bien avant toute
forme d’affrontement, et les hommes modernes ne devraient plus rechigner à s’en
préoccuper.

L’exemple des collectivités espagnoles reste notre meilleur argument pour prouver
qu’une autre organisation sociale est possible. Il est urgent de renouveler cette
expérience, et, étant donné les conditions matérielles très favorables dont nous
bénéficions en comparaison, de la dépasser.

La situation exceptionnelle que nous voyons venir, celle d’une décrépitude de notre
cher État providence, vient creuser un vide historique que nous pourrions venir
combler par nos propres moyens. Aujourd’hui, l’absence totale d’auto-organisation de
la population par elle-même permet encore à l’État de faire croire à son utilité. Mais il
ne tient qu’à nous de transformer cette situation.
Organisons-nous par nous-même et nous remplacerons l’oppression étatique par l’auto-organisation à grande échelle.

En 1896 Pierre Kropotkine écrivait dans l’ouvrage « L’Anarchie, sa philosophie, son
idéal »
les phrases suivantes :
« Mais ce n’est pas assez de démolir. Il faut aussi savoir bâtir, et c’est faute d’y avoir pensé que le peuple fut toujours leurré dans toutes ses révolutions. Après avoir
démoli, il abandonnait le soin de reconstruire aux bourgeois, qui, eux, possédaient
une conception plus ou moins nette de ce qu’ils voulaient réaliser, et qui reconstituaient alors l’autorité en leur faveur. »

Parallèlement à une CNT qui lutte traditionnellement contre l’exploitation capitaliste, il
est possible d’utiliser les principes anarcho-syndicalistes pour organiser une nouvelle
forme de production et de distribution, notamment dans les zones désindustrialisées
comme l’Ariège.

Comme la CGT de 1902, nous pourrions supprimer la valeur et décider la production
et la distribution en utilisant comme seul critère nos besoins.

Sans valeur, sans échange, sans troc, sans capitalisme, nos besoins pourraient être
planifiés collectivement par nous-mêmes au sein de petits groupes géographiques.
Pour fournir les produits non locaux, les petits groupes géographiques pourraient être
fédérés avec d’autres groupes éloignés.

La valeur matérialisée aujourd’hui par la monnaie capitaliste n’est qu’une forme de
garantie rendue nécessaire par l’absence de règles communes convenues entre
nous.
Si nous acceptions la nécessité de formaliser nos propres contraintes et un
minimum d’engagement alors nous pourrions briser l’emprise sur nos vies de l’absurdité mercantile.

Nous pourrions alors reprendre en main nos propres vies et affronter l’anomie capitaliste.

Pour contribuer à tout ça, vous pouvez rencontrer des anarcho-syndicalistes à
l’occasion des AG de la CNT au squat « Le Palmier » à St Girons chaque 1 er et 3ème dimanche du mois à 19h00.

Vous pouvez aussi écrire à cnt.09@cnt-f.org, toute aide est la bienvenue car un
syndicat n’est que le reflet de celles et ceux qui y participent.