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Formation syndicale : quelques conseils pour s’organiser sur le lieu de travail

union-syndicat-revendicationsNous avons retrouvé dans nos archives un texte de formation syndicale intitulé « Organiser un syndicat ». Ce texte a été publié à la fin des années 1990 sur un site internet aujourd’hui disparu. Après quelques recherches, nous n’en avons trouvé aucune autre trace sur la Toile. C’est pourquoi nous le reproduisons ci-dessous.

Organiser un syndicat

Certains, quand ils sentent pour la première fois qu’ils sont traités injustement, s’énervent et commencent à protester bien fort contre le patron. Cela peut être dangereux. L’encadrement tient très fort à son autorité sur le lieu de travail et, quand tu commences à contester cette autorité, tu deviens une menace. Dans la plupart des entreprises, à partir du moment où tu contestes l’autorité, tu deviens un élément gênant aux yeux de l’encadrement. Si avant tu n’avais jamais fait de vagues là où tu travailles, il se peut que tu sois choqué, blessé ou révolté de voir à quelle vitesse l’encadrement se retourne contre toi. C’est une bonne raison pour être discret quand tu commences à parler aux autres.

Parle à tes camarades de travail et demande-leur ce qu’il pense de ce qui se passe au travail. Que pensent-ils des problèmes qui les concernent ? Écoute ce que les autres ont à dire. Récolte leurs façons de voir et leurs opinions. La plupart des gens pense qu’un syndicaliste est un agitateur (et il y a des fois où un syndicaliste doit être cela), mais un bon syndicaliste est avant tout celui qui pose les bonnes questions et écoute bien les autres. Si tu as bien écouté, tu seras capable d’exprimer non seulement ta façon de voir et tes opinions, mais aussi celles de tes collègues.

Presque inévitablement, il y aura quelques personnes qui seront plus concernées par les problèmes que nous rencontrons que les autres. Et une petite partie des ces personnes voudra faire quelque chose. Ces quelques individus forment maintenant le noyau initial de votre “organisation”. Tu peux inviter les deux les plus intéressés à prendre un café ou manger, les faire se rencontrer et poser la question « Que pensez-vous de cela ? ». S’ils sont réellement prêts à faire quelque chose et pas seulement se plaindre, alors vous êtes presque prêt à commencer à vous organiser.

Fais un plan de ton lieu de travail. Le Savoir, c’est le Pouvoir. Ou c’est au moins le début du pouvoir. Tu devras connaître tout ce que tu peux de ton lieu de travail et de ton employeur. Ce sera une formation continue de longue durée. Il vaut mieux commencer par son service. L’encadrement a depuis longtemps compris l’intérêt d’identifier les groupes de travail informels, leurs animateurs naturels et leurs faiblesses. En fait, un des principaux trucs de la formation des cadres est de développer des stratégies pour transformer la psychologie du lieu de travail. Par exemple, la multinationale United Parcel Service (UPS et ses camions de livraisons marron) a développé des techniques de manipulation psychologiques très raffinées. Le manuel de formation de l’encadrement d’UPS, intitulé “Observer les sphères ou groupes d’Influence”, montre comment faire une carte du lieu de travail pour identifier les groupes de travail informels, isoler les animateurs naturels ou agitateurs dans ces groupes, exploiter leurs faiblesses et, finalement, casser ces groupes s’ils ne peuvent être utilisés à l’avantage de l’encadrement. Bien que la plupart des entreprises n’a pas développé des techniques de gestion de la main d’œuvre d’une manière aussi raffinée que le Big Brother “UPS” l’a fait, la plupart utilise quelques-unes des mêmes méthodes. Est-ce que des travailleurs qui osaient dire ce qu’ils pensaient, des agitateurs ou des syndicalistes ont été transférés, ont reçu un poste de chef ou ont été frappés d’une sanction disciplinaire ? Est-ce que les équipes de travail sont régulièrement cassées et réarrangées ? Est-ce que le lieu de travail a été configuré pour rendre la communication difficile entre les travailleurs ? Dois-tu te déplacer pour ton travail ? Qui doit ? Qui ne doit pas ? Est-ce que l’encadrement s’en prend publiquement à certains travailleurs ? Voire les punit ? Quel effet cela a-t-il sur les collègues ? As-tu l’impression que tu es toujours sous surveillance ? Fais le point. Tout cela peut être utilisé pour briser l’unité et la communication entre les travailleurs dans ton entreprise. Cependant, cela ne rend ni nos employeurs invincibles, ni nos efforts vains pour autant (malgré toute la formation reçue par leurs cadres, les travailleurs d’UPS ont gagné une grève de masse en août 1997). Dis que tu as un message important à communiquer, mais que tu n’as ni le temps ni les moyens d’atteindre chacun de tes collègues. Si tu peux contacter les animateurs naturels des groupes de travail informels et les mettre de ton côté, tu peux parier que le mot va passer à tout le monde. Une fois que les animateurs ont été identifiés et acceptent de coopérer, il est possible de développer un réseau qui peut exercer une influence et un pouvoir considérable. Les groupes de travail informels ont l’avantage de créer une certaine loyauté parmi leurs membres. Tu peux utiliser cette loyauté pour élaborer des stratégies unifiées sur vos revendications et profiter de la tendance naturelle des individus à défendre ceux qui sont proches d’eux.

En plus de travailler avec les animateurs de groupes, il est important d’entraîner les travailleurs isolés aussi. Il est plus que probable que leur apathie, leur isolement ou leurs opinions anti-syndicales viennent de leur sentiment personnel d’impuissance et de peur. Si l’action collective réussit et qu’une certaine sécurité s’instaure grâce à l’action du groupe, la peur et le sentiment d’impuissance peuvent être diminués.

Si vous avez une personne sur votre lieu de travail qui menace sérieusement l’unité, ne soyez pas effrayés d’utiliser la pression du groupe de travail pour que cette personne se tienne tranquille. Ceci s’applique au personnel d’encadrement aussi, spécialement aux chefs qui aiment penser qu’il ou elle est l’ami de tout le monde.

Le but de cette organisation sur le lieu de travail est de faire pencher le rapport de force à la faveur des travailleurs. Cela peut permettre de gagner des revendications. Si les revendications restent des problèmes individuels ou sont délégués à des responsables syndicaux, l’organisation naturelle et la loyauté qui existe parmi les groupes de travail est perdue. Il y a beaucoup de chances que les revendications aussi.

Si les groupes de travail peuvent être utilisés pour faire démonstration de notre unité, la menace que la production puisse être interrompue peut être suffisante pour forcer l’encadrement à un accord. Les revendications peuvent être seulement gagnées quand l’encadrement a compris que la revendication ne concerne plus seulement un individu, mais est devenu la préoccupation de tous et qu’il y aura toujours des problèmes tant que cela ne sera pas résolu.

Quelques principes basiques

La liste suivante est composée des principes que les syndicalistes victorieux trouvent les plus importants.

Contester l’autorité
L’organisation syndicale commence quand les gens contestent l’autorité. Quelqu’un dit : “Qu’est-ce qu’ils nous font ? Pourquoi font-ils ça ? Est-ce que c’est juste ?”. Il faut amener les gens à se demander : “Qui prend les décisions ? Qui est obligé de subir ces décisions ? Et pourquoi ce serait comme ça ?”. Les gens ne devraient pas accepter une loi ou une réponse simple parce que cela vient d’une autorité, que cette autorité soit le gouvernement, le patron ou le syndicat ou toi-même. Un syndicaliste doit encourager ses collègues à penser par eux-mêmes.

Parler à chacun
Presque tous les syndicalistes expérimentés sont d’accord pour dire que “la chose la plus importante pour organiser est de discuter personnellement avec chacun.” Les tracts sont nécessaires, les réunions sont importantes, les rassemblements sont merveilleux, mais rien ne remplace une discussion personnelle. Souvent, quand tu écoutes un de tes collègues et que tu comprends ce qu’il a dans la tête, tu l’as gagné parce que tu es le seul ou la seule qui l’écoutera. Quand tu parles à Isabelle à côté de toi à la chaîne (ou au bureau) et que tu surmontes ses peurs, réponds à ses questions, remonte lui le moral, invite-la à la réunion ou au rassemblement. C’est tout cela l’organisation syndicale.

Trouver les animateurs naturels
Chaque lieu de travail a ses groupes de collègues et d’amis. Chaque groupe a son faiseur d’opinion, son animateur naturel. Ils ne sont pas toujours les plus bruyants ou causants, ils sont ceux que les autres écoutent et respectent. Tu auras fait un bon bout de chemin si tu gagnes ces animateurs naturels.

Impliquer chacun dans l’action
La vie n’est pas une classe d’école et les gens n’apprennent pas seulement en allant aux réunions et en lisant les tracts. La plupart des gens apprennent, changent et progressent au cours de l’action. Prendras-tu ce tract ? Le passeras-tu à un collègue ? Signeras-tu la pétition ? Si tu veux qu’il y ait de nouveaux syndicalistes, il faut impliquer les collègues dans l’organisation.

Nous sommes le syndicat !
Le but de l’organisation syndicale n’est pas seulement d’impliquer les individus, mais de les relier par une conscience d’être un groupe solidaire. Nous voulons créer un groupe qui se considère comme un ensemble : « Viendras-tu à la réunion ? Peut-on entraîner tout le service pour aller voir ensemble le patron ? Peut-on compter sur tout le monde pour le piquet de grève ? ».

Les actions doivent progresser dans le temps
Demande aux gens de s’impliquer dans des activités plus risquées et difficiles progressivement. « Porteras-tu un badge du syndicat ? Voteras-tu pour la grève ? Es-tu prêt à participer au piquet de grève ? Es-tu prêt à être arrêté ? ». Des campagnes syndicales ont vu des centaines de militants aller en prison pour ce qu’ils croyaient être juste ? Pour la plupart, cela a commencé par cette première question : “Prendras-tu ce tract ?”.

Affronter l’encadrement
Le syndicalisme a pour but de changer les relations sociales, le rapport de force entre le patronat et les travailleurs. La confrontation avec l’employeur doit être préparée dans le temps par la progression des actions. Si les collègues ont peur de faire de la peine au patron, ils perdront.

Gagner des petites victoires
La plupart des mobilisations, d’un petit groupe sur un lieu de travail à la grève générale se développe sur la base de petites victoires. La victoire donne la confiance que l’on peut faire plus. Elle permet de rallier de nouveaux soutiens qui réalisent que l’”on peut battre l’employeur”. Avec chaque victoire, le collectif de travailleurs prend confiance et devient capable d’emporter de plus grandes victoires.

Se préparer à la retraite
Rien ne s’est passé comme on voudrait dans la vie et le syndicalisme ne fait pas exception. Si ça ne marche pas au début, sois patient. Les données changent toujours avec le temps, de nouvelles personnes vont et viennent. Peut-être qu’en quelques mois, tes camarades de travail seront plus intéressés qu’ils ne le sont actuellement. Tôt ou tard, ton employeur fera quelque chose qui accélérera les choses.

Ne pas oublier que tu fais partie d’une grande famille : le prolétariat
Les conflits entre les travailleurs et leur patron ont une grande influence sur la confiance des autres travailleurs à se mobiliser pour eux-mêmes. C’est notre intérêt de construire des liens et des réseaux de soutiens mutuels avec les travailleurs des autres entreprises et des autres industries car, en se battant ensemble, nous augmenterons grandement notre capacité à gagner plus de contrôle sur nos propres conditions d’existence.

Produire sa propre propagande
C’est la meilleure manière de faire passer son message, mais n’oublie pas d’impliquer tes collègues dans sa production.

Garder le sens de l’humour
Ne sois jamais mortellement sérieux dans tout ce que tu fais. Faire du syndicalisme peut et doit être sympa. Utilise des dessins, des chansons, des blagues et des histoires. Dans ta propagande, ne parle pas seulement de la dure réalité mais aussi des tes aspirations et désirs.

Tout est dans l’organisation
L’organisation syndicale ne nécessite pas un excès de formalisme ou une lourde structure, mais elle doit être effective. Une chaîne téléphonique et une liste d’adresses peuvent suffire à une organisation. Mais si vous avez besoin de cela, vous devez alors les avoir. L’histoire du mouvement syndical est remplie d’exemples de sections syndicales qui se sont durement battues, qui eurent des victoires et qui disparurent simplement parce qu’elles ne restèrent pas organisées. Comme disent les syndicalistes : “Seules les organisés survivent”.

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Autres ressources intéressantes :

> Conseils pour mener une lutte syndicale
> Conseils pour mener une négociation avec l’employeur
> Comment organiser une assemblée générale
> Comment organiser un piquet de grève
> Le représentant de la section syndicale (RSS)
> Le délégué du personnel (DP)
> La section syndicale (vidéo 1)
> La section syndicale (vidéo 2)
> Interview vidéo de deux RSS de la CNT 59/62
> Syndicalisme révolutionnaire et droit syndical
> Page juridique du site CNT 59/62

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